DELESTAGES : AES Sonel, le complot et la trahison

CAMEROUN - DELESTAGES : AES Sonel, le complot et la trahisonL’opérateur se présente aujourd’hui en victime, alors que jusqu’au bout, sa logique n’est pas de servir l’intérêt du peuple, mais celui du capital.

Agrands coups de publi-reportages, l’opérateur en charge de la distribution de l’énergie électrique au Cameroun a réagi face à la vague des protestations intervenues contre les délestages dont souffrent les populations de Yaoundé et de Douala. La dernière action en date, largement reprise par certains médias, est la rencontre avec des associations de consommateurs. A ces organisations, l’opérateur a fait savoir que les problèmes actuels d’énergie électrique du Cameroun trouvent leur origine dans la survenance de la saison sèche. Celle-ci rendrait l’offre en énergie électrique insuffisante par rapport à la demande. « Les statistiques réalisées par AES-SONEL au 10 février 2013 font état d’une capacité disponible de 620 mégawatts pour une demande totale à la point évaluée à 722MW, soit un déficit de 152MW » a indiqué d’emblée monsieur Bile Jean David, le Directeur Général d’AES-SONEL. Au passage, il ne manque pas de revenir sur son argument majeur utilisé depuis le début de la crise, à savoir qu’un retard enregistré dans l’approvisionnement du gaz à la centrale de Kribi (216 MW attendus) et l’absence de gasoil pour le fonctionnement des quatre centrales du Programme Thermique d’Urgence (PTU) d’une puissance installée de 100MW ont affecté la gestion de l’offre disponible surtout dans la période d’étiage.

DES EXPLICATIONS PASSE-PARTOUT

L’opérateur fait aussi savoir qu’il n’est pas resté les bras croisés et qu’il a demandé à certains gros clients une diminution de leur consommation de l’ordre de 20MW et a fait appel à ses centrales thermiques de Limbé et Dibamba. AES annonce avoir aussi diminué la demande du secteur public et investi près de 3 milliards de surcoût. Pourtant au final, le problème reste entier. L’opérateur indique qu’il ne peut dire avec exactitude lorsque reviendra la stabilité. Seul le lancement de la centrale de Kribi apportera cette garantie et toujours selon le top management d’AES-SONEL, on n’y sera pas avant avril. « Le temps de faire des tests au gaz et de s’assurer que tout fonctionne », indique monsieur Bile. Ces explications, si elles peuvent apaiser les consommateurs moyens qui ne comprennent pas grand-chose au management des opérations en rapport avec la distribution de l’énergie électrique, méritent d’être revisitées à la lumière de l’historique de la concession à l’opérateur, de la distribution de l’énergie électrique au Cameroun.

En 2001, lorsque le gouvernement du Cameroun, dans une vague de privatisation de certains secteurs, décide de concéder pour la modique somme de 51 milliards de FCFA la gestion de son entreprise de distribution d’électricité au groupe AES, à l’époque déjà, le groupe avait déjà su manier les armes de la communication. Les promesses étaient grandes, allant de la construction et la rénovation des centrales thermiques, dont celle de Bertoua pour 300 milliards de FCFA et celle de Kousseri dans l’Extrême nord pour près de 500 milliards. Le groupe promettait aussi de remplacer quelque 2500 transformateurs, pour accroître l'offre d'électricité. AES-SONEL avait même lancé un slogan pour dire que la clientèle était la priorité numéro un. Des initiatives, qui, à leur époque, avait été appréciée même par des représentant des Bailleurs, notamment la Banque mondiale. Le résultat aujourd’hui parle de lui-même. Le nombre de personnes connectées n’a pas significativement augmenté dix ans après. AES Sonel revendique quelques 650 mille ménages, alors que normalement, on aurait déjà dû atteindre le million. De même, si l’entreprise est présente dans de nombreux médias, le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle communique vraiment. Facilement, on se retrouve dans des termes techniques incompréhensibles de la majorité et jamais la clientèle ne s’est montrée satisfaite de l’opérateur.

Aujourd’hui, le groupe accuse certainement avec raison le fournisseur de gaz. Mais bien avant Kribi, les problèmes de délestages existaient déjà au Cameroun. Une promesse qui avait été aussi faite et qui aujourd’hui est oubliée, celle de son ancien Directeur Général Mark. Miller surnommé le DARK Miller en raison du taux de délestages connus à son époque. «Nous prenons l'engagement d'améliorer les aspects de notre entreprise et de fournir une électricité propre et sûre, fiable et pas trop cher pour le Cameroun », disait-il. Un peu plus tard, AES-SONEL a dévoilé un plan ambitieux pour connecter quelque 750.000 Camerounais en énergie électrique. Il a promis, aussi, qu'un service de pôle à moins de 40.000 FCFA est disponible de sorte que de nombreux camerounais pourraient être reliés au réseau électrique à moindre coût et facilement. Pour de nombreux clients, se connecter chez l’opérateur reste un gros défi et l’énergie n’a jamais coûté aussi cher au Cameroun.

DES PROMESSES NON TENUES

La solution de Kribi aujourd’hui présentée comme la pilule miracle cache de grosses inconnues. Pourquoi, aujourd’hui Kribi qui n’existait pas en 2012 est au centre de la solution stratégique des délestages. À l’analyse, la vérité est toute simple. AES et le gouvernement sont en complot contre les populations du Cameroun, qui paient cher les ambitions capitalistiques du groupe. Dès le départ, la quasi-totalité de la production de la centrale hydroélectrique d’Edéa (plus de 250 MW) est destinée à alimenter l’usine d’aluminium ALUCAM, succursale locale du groupe angloaustralien, RIO TINTO ALCAN et dont l’apport aujourd’hui sur le produit intérieur brut du pays (1,7%) n’atteint pas celui cumulé de toutes les PME camerounaises, dont le fonctionnement pourrait exiger moins d’électricité. La centrale de Song Lulu (356 MW) quant à elle ravitaille le « secteur public », c'est-à-dire tous les clients Moyenne tension (MT) et Basse tension.

Or ce qu’il faut dire à propos de ce côté des choses, c’est que la quantité d’énergie qui arrive chez les consommateurs subit des pertes de l’ordre de près de 45%. Le groupe dit avoir fait des travaux d’amélioration du réseau, mais aucune étude indépendante ne valide les résultats présentés par AES. De plus, Il faut noter que la demande cumulée des ménages et des entreprises croit en moyenne de 40 MW chaque année. Quant aux nombres d’usagers connectés au réseau public d’électricité, l’opérateur AES/SONEL brandit le chiffre de 610.000 abonnés dûment répertoriés dans ses cahiers, parmi lesquels 1300 clients MT et 03 abonnés dits « Grands comptes ». Il faut dire que ces chiffres avancés par l’opérateur ne sont pas vérifiés par une source indépendante. D’un autre côté, même si ces chiffres sont vrais, l’opérateur n’aura pas tenu son engagement contractuel de brancher 50 000 ménages par an. Alors qu’on parlait de plus de 500.000 abonnés en juillet 2001, 610 000 branchements signifieraient deux choses.

A QUI PROFITE LE MENSONGE

Soit l’opérateur n’a pas tenu sa promesse, soit il ne dit pas toute la vérité des chiffres. Or la transparence dans ce domaine est indispensable pour une étude plus objective du secteur de l’électricité, qui nécessite des investissements lourds. En tenant compte du fait que le contrat de concession lui fait obligation d’effectuer 50 à 60.000 branchements par an, on aurait dû aujourd’hui tourner autour de 1,2 millions de branchements effectués. Certains observateurs estiment que la vérité des chiffres est volontairement dissimulée pour des raisons obscures. Lorsqu’on regarde bien le système de tarification de l’énergie électrique en vigueur au Cameroun, on constate que l’opérateur AES/SONEL utilise une partie des énormes revenus des pertes transport (près de 45%), pour financer l’exploitation des centrales thermiques), au lieu de les affecter à leur réduction par la réhabilitation  du réseau. Chaque année, on estime à 40 milliards de FCFA, le montant payé par les consommateurs d’énergie Moyenne et Basse tension, pour combler le déficit de management de l’entreprise dans ce domaine.

C’est ce qui pourrait justifier le fait que le prix de l’énergie ne cesse de grimper. Le kilowatt sorti d’une centrale comme Yassa à Douala coûte jusqu’à 110 FCFA. La Sonel n’a jamais indiqué comment elle compense le manque à gagner. Mais des analystes proches du secteur ne manquent pas de dire que ce sont les clients du segment grand public qui paient le prix fort. Pour de nombreux observateurs, le groupe AES Sonel jusqu’ici, n’a toujours agi que dans le but de faire du bénéfice au mépris des exigences du développement des populations camerounaises. Certains, qui ont poussé l’analyse loin, croient savoir que les délestages ont une seule cause. Le groupe ayant signé un contrat avec ALUCAM pour l’extension de cette dernière a réduit la part d’énergie produite à Song Loulou et destinée au secteur public, pour satisfaire l’exigence contractuelle de lui fournir un supplément d’énergie dès janvier 2013. D’un autre côté, présenter la centrale de Kribi comme « La solution s’apparente à un mensonge ». Déjà, le coût de l’électricité qui en sortira est inconnu. Les experts penchent pour 60 et 80 FCFA le KW contre 12 FCFA maximum pour le thermique. Le gouvernement actionnaire à SONEL et ALUCAM semble avoir fermé les yeux sur ce complot, bien que ses responsables et son chef aient annoncé qu’on marchait vers l’émergence.

© www.integrationafrica.org : Bobo Ousmanou


24/02/2013
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