Décryptage: L’arithmétique sociologique des 30 sénateurs nommés

Douala, 10 mai 2013
© Rodrigue N. TONGUE | Le Messager

Attendu au tournant, pour procéder aux équilibres sociologiques, politiques, et géographiques qu’on envisageait large, Paul Biya est allé choisir ses hommes du Sénat dans un mouchoir.

Zéro handicapé sur 30

Paul Biya est resté sourd à l’appel de la plateforme inclusive de la société civile pour la défense des intérêts des personnes handicapées. Ce regroupement de la société civile avait proposé 12 noms de ses membres au chef de l’Etat pour tenter de réparer le tort commis par les partis politiques qui n’avaient pas su intégrer les personnes handicapées dans leurs listes de candidats aux élections sénatoriales. En guise de consolation, le président a juste nommé Robert Oyono Zambo, handicapé, comme suppléant dans la région du Sud. Mais les suppléants ne siégeant au parlement qu’en cas exclusif de démission du titulaire (même pas en cas de décès), les handicapés devront attendre longtemps certainement pour participer aux travaux de la chambre haute.


Un ancien Premier ministre sur 30

Peter Mafany Musonge est sans doute la grosse surprise du chef. Alors que Paul Biya l’avait confiné aux fonctions de grand chancelier des ordres nationaux depuis quelques années, celui qui aura été Premier ministre de septembre 1996 à décembre 2004 (record de longévité à ce poste dans l’histoire des institutions camerounaises, même devant Paul Biya lui-même qui fit sept ans) faisait déjà partie des meubles de la République. Il figurait déjà au panthéon de ces rares thuriféraires crédités d’un gros capital de sympathie. Peter Mafany Musonge réputé « bosseur » et intègre jouera certainement un rôle décisif dans la chambre haute du parlement si tant est que le président de la République veuille donner une étoffe à cette institution. Il retrouve au Sénat un autre ex Pm, lui élu le 14 avril 2013 : l’autre anglophone Simon Achidi Achu.

Sous les lambris dorés, on estime que Paul Biya pourrait utiliser la carte Mafany pour étouffer les frustrations fusant du Sud Ouest après l’incarcération de Chief Inoni Ephraïm. Ex patron de la Cdc, cet ingénieur de ponts et chaussées, diplômé de Stanford aux Etats-Unis est pressenti au perchoir du Sénat. Dans ce cas, Philemon Yang pourrait rendre son tablier.


Trois femmes sur 30

Seulement 10 % des sénateurs nommés le 8 mai 2013 appartiennent à la gente féminine. Ce sont Mmes Mbassi Paulette du Sud, Pierrete Aïcha Hayatou (épouse de l’ex Premier ministre Sadou Hayatou) du Nord et Madame Marlyse Aboui de la région de l’Est qui sont les heureuses « élues » du président. D’autres femmes, une demi dizaine ont été nommées suppléantes. Mais comme on le sait, celles-ci ne siègeront pas au parlement à moins d’une démission du titulaire du poste. Avec les 17 sénatrices déjà élues, le nombre de femmes sénateurs est porté à 20 soit 20% des effectifs totaux. Très loin de la parité…


Quatre représentants de «l’opposition» sur 30

Pierre Flambeau Ngayap, secrétaire général de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès figure parmi les « élus » du président de la République. Sa nomination dans le Littoral, son fief politique, sonne comme une réparation du président national du Rdpc dont le refus de donner de consignes de vote claires pour son parti dans l’Adamoua où il challengeait le Sdf apparaissait comme une rupture de l’alliance Rdpc-Undp. Avec Hamadou Abbo du Front pour le salut national du Cameroun (Fsnc) nommé sénateur dans le Nord, Marlyse Aboui de l’Andp à l’Est et Dakolé Daïssala, président national du Mdr, Pierre Flambeau Ngayap viendra compléter le nombre de partis politiques siégeant au Sénat à 6 au total. Les élections du 14 avril 2013 ayant consacré la présence de deux formations politiques seulement. Mais en réalité, le Sdf figure à la chambre haute, peut-être comme seul véritable parti d’opposition. Les autres étant des affidés du Rdpc au pouvoir. Pour le reste, un militant de l’Udc a été nommé suppléant à l’Ouest. Il ne siègera pas au Senat.


Neuf anciens ministres sur 30

On aurait dit que le chef de l’Etat voulait battre le rappel de ses anciens collaborateurs du gouvernement. Quoiqu’ayant déjà investi au sein de son parti d’anciens ministres qui ont été élus sénateurs le 14 avril 2013, Paul Biya a fait un autre geste à huit anciens ministres, soit près d’un par région dans les nominations des 30 sénateurs. Il y a parmi eux, Niat Marcel Njifenji, ex vice-premier ministre chargé de l’eau et de l’énergie sous Simon Achidi Achu avec Gilbert Andzé Tsoungui, mais aussi Dakolé Daïssala, ex ministre des Transports et des Postes et télécommunications ; Siegfried Etamè Massoma, ex ministre chargé du Contrôle supérieur de l’Etat et ministre de la jeunesse et des sports dans les années 2000 ; Ibrahim Mbombo Njoya qui, quoique aujourd’hui sultan des Bamoun, a été ministre de la jeunesse et des sports, ministre de l’information et de la culture et ministre de l’administration territoriale ; Baba Hamadou, ministre du tourisme débarqué du gouvernement en décembre 2011. Il faut ajouter à ceux-ci, René Ze Nguelle, ex ministre de la fonction publique et ministre de la communication, Pius Ondoa, ex patron du défunt grand ministère de l’emploi, du travail et de la prévoyance sociale, Francis Nkwain, ex ministre des mines et ex ministre des relations extérieures et Laurent Matta, ex secrétaire d’Etat au ministère des forêts et de la faune.


Dix chefs traditionnels sur 30

Ce sont Mbombo Njoya, sultan des Bamoun, Victor Djomo Kamga ; « roi » des Bandjoun ; Moussa Sabo, lamido de Meiganga ; Mohaman Gabdo, lamido de Banyo ; Aboubakary Abdoulaye, lamido de Rey Bouba ; Mahaman Bakar Manouf, lamido du Logone et Chari ; Fon Muketé et chief Simon Anja venus du Sud-Ouest auxquels on ajoute Fon Doh Ngayonga III de Balinyongah et Fon Teche Njei II toujours du Nord Ouest. Ces dix autorités traditionnelles auxquelles on s’ajoute René Ze Nguelé, chef de village à Ovang dans une autre vie Salomon Madiba Songuè du canton bakoko du Wouri représentent environ 35% des effectifs promus par Paul Biya le 8 mai 2013. Le président a donc choisi ces acteurs de la société civile d’un autre genre, puisque fortement marqués politiquement (tous sont militants du Rdpc) pour procéder aux équilibres qu’attendait l’opinion.


Vingt six militants du Rdpc sur 30

Seuls Flambeau Ngayap, Dakolé Daïssala, Hamadou Abbo et Marlyse Aboui parmi les 30 du 08 mai 2013 n’ont pas sur le Cv, leur parcours ou par la réalité du pouvoir « Rdpc » fièrement inscrits. En effet, sous la casquette de chefs traditionnels comme celle Mbombo Njoya ou Chief Muketé, d’acteurs de la société civile à l’instar Maître Ondo Menye ou de hauts commis de l’Etat tels Jean-Marie Pongmoni ou Jean Baptiste Bascouda, on retrouve des militants du Rdpc ou des « Biyayistes » affichés qui ne pourraient donc que donner du change aux 14 sénateurs du Social democratic front (Sdf), qui certainement, seront les seuls à mener au sein de la chambre haute, des débats visant l’intérêt général. Paul Biya compte donc 82 de ses militants au sein du Sénat sur les 100 sénateurs au total. Face à eux, quatorze militants du Sdf et quatre mousquetaires issus des partis alliés du parti du flambeau. Vous avez dit majorité obèse !

Rodrigue N. TONGUE



10/05/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres