C’est en véritable chevalier conquérant que Marafa Hamidou Yaya se positionne en ce début d’année. Dans son interview qui a fait le tour de la presse nationale, il passe par pertes et profits les arguments de Paul Biya pour qui, selon lui, les carottes sont déjà cuites. Ses préoccupations sont désormais ailleurs : l’après-Biya !
Marafa Hamidou Yaya signe sa rentrée politique par une attaque frontale en règle contre Paul Biya dont il démontre justement… l’incompétence. «Soyons sérieux un moment. Qui peut croire à la construction d’une nouvelle raffinerie à Kribi, ou à la construction d’une voiture «made in Cameroun» en 2013 ? C’est une politique de grandes illusions, pas de grandes réalisations. Ces projets sans aucune pertinence économique ne trouveront pas d’investisseurs, et ils ne servent qu’à masquer une incapacité à mener à bien les vrais projets importants tels que le Pont sur le fleuve Wouri.
Les populations et les opérateurs économiques l’attendent depuis plus de 20 ans. Que le gouvernement crée déjà les 25.000 emplois jeunes promis par l’actuel chef de l’Etat, qu’il mette fin aux pénuries d’eau et d’électricité, et il gagnera en crédibilité !» Et toc ! Si on ne devait retenir qu’une idée de l’interview de Marafa, ce serait bien celle-ci. Comme on le voit, il prend rudement de revers Paul Biya qui, le 31 décembre dernier, dans un élan d’optimisme, promettait le paradis aux Camerounais en 2013, narguant même crânement ses contradicteurs : «Lorsque dans quelques mois, dans quelques années, ils verront notre pays se couvrir de chantiers, de barrages, de centrales, de ports, d’usines, de routes, diront-ils encore que nous sommes immobiles ?» D’abord, Marafa Hamidou Yaya ne partage pas du tout l’optimisme du chef de l’Etat et son programme de grandes réalisations qu’il rebaptise «grandes illusions».
«Biya, champion de l’immobilisme»
Ensuite, il confirme l’immobilisme dont Paul Biya se défendait : «Pour ma part, je parlerai plutôt d’erreurs : à chaque fois, au cours de ces 30 ans, que Paul Biya a eu à choisir entre la modernisation politique et économique de notre pays, avec les risques de perturbations inhérents à cette démarche, et l’immobilisme garant, selon lui, de la paix civile, il a choisi l’immobilisme. C’est ce qui fait que nous avons aujourd’hui un pays au bord de conflits sociaux et politiques sans précédent.» Loin de préparer le redressement du Cameroun, Paul Biya en serait le principal fossoyeur.
«Aujourd’hui, nous attendons avant tout de lui qu’il mette en place les institutions politiques qui assureront une succession pacifique et démocratique lorsqu’il quittera le pouvoir. Or, rien n’est en place, ce qui expose notre pays à de multiples dangers. Mais le préalable à cette reconstruction, j’insiste sur cette dimension qui peut sembler abstraite mais qui ne l‘est pas du tout, c’est que nous retrouvions confiance en nous. Or, aujourd’hui, c’est le règne de la méfiance. On se méfie du voisin qui n’est pas de son ethnie, on se méfie du douanier, du policier, de l’inspecteur des impôts, de l’examinateur, du médecin, de la presse, des résultats des élections, de la justice, de l’Etat. Reconstruire la confiance pour reconstruire le pays, voilà la route que doit prendre le Cameroun.»
Exit donc Paul Biya. Il n’est plus question de l’actuel président de la République. Pour Marafa Hamidou Yaya, il aura réussi au plus à l’incarcérer. Mais la fin de la partie a déjà été sifflée pour lui. Et ce n’est pas seulement parce que l’ancien Sgpr se positionne désormais vers l’avenir de l’après-Biya. C’est surtout, dit-il, parce qu’autour de lui, ceux qu’il a fabriqués et qui prétendent le soutenir, ne sont que de faux jetons. Tapis dans l’ombre, ils le pousseraient constamment à la faute, afin de mieux le discréditer avec subtilité et prendre sa place le moment venu. Bref, pour Marafa, la maison prend feu de l’intérieur.
La fin du Renouveau
Il y aurait ainsi risque d’implosion du régime Rdpc : «Certains hommes politiques ont commencé à se projeter, légitimement, dans l’après-Biya. D’autres, tapis dans l’ombre, les ont vus comme des adversaires dangereux. Je les inquiétais particulièrement. Il fallait se débarrasser de moi.» Ainsi par exemple, il considère l’affaire Franck Biya, ni plus ni moins que comme un complot des collaborateurs du chef de l’Etat visant à le neutraliser, et son fils avec, dans la perspective de sa succession : «Je suis consterné par cette histoire. Je dois dire que rien, dans le souvenir que je garde de certains protagonistes de cette affaire, ne me permet de penser qu’ils aient pu commettre cela. Ce que ces révélations m’évoque, c’est la pensée de Cicéron : “Une nation peut survivre à ses fous, et même à ses ambitieux.
Mais elle ne peut survivre à la trahison venant de l’intérieur.” L’enjeu de cette affaire justifie en lui-même une enquête. La vérité sur l’existence ou non d’une trahison de l’intérieur sera très simple à établir, les Camerounais méritent de la connaitre.» Désormais, Mafafa Hamidou Yaya semble regarder de haut, de très haut, le petit manège autorégicide du Rdpc. Son propos est celui d’un adversaire politique préparé, aguerri et prêt à foncer : «Je ne cherche pas d’explications. Mon regard se porte vers l’avenir, et, dans cette perspective, je ne pense pas à lui.
Ma seule crainte pour mon pays est que le Chef de l’État ne soit poussé à prendre des décisions de plus en plus mauvaises pour le bien commun, et mon affaire en est une illustration. Un jour sûrement ils finiront par se débarrasser de lui.» Il doit sans doute songer que la plupart des dirigeants africains sont arrivés au pouvoir en passant par la case prison. Ce qui fait que son statut de prisonnier ne le démonte nullement. Il ne désespère pas de corriger les tares du régime actuel. On s’en doute bien, la justice se trouve au premier rang de ses priorités, laquelle dit-il, est à la botte du pouvoir. Et c’est parce qu’elle est aux ordres qu’il est en prison pour 24 ans maintenant. Pour lui, sa condamnation participe d’une stratégie d’élimination politique. Dans la mesure où, selon lui, le tribunal n’a pas réussi à prouver sa culpabilité dans l’affaire de l’avion présidentiel : «J’ai déjà dit que le tribunal ne m’a trouvé coupable d’aucune malversation.
Permettez-moi d’être plus détaillé, et de vous dire quelles ont été ses réponses aux questions essentielles suivantes: ai-je pris l’initiative de commander cet avion ? Non. Ai-je pris la décision, ou ai-je été informé préalablement de la décision, de virer 31 millions de dollars à la société retenue au lieu d’émettre une lettre de crédit comme c’était prévu ? Non. Aije pris l’initiative ou ai-je décidé de commander un autre avion que celui initialement prévu? Non. Ai je participé de près ou de loin à l’accord par lequel l’État du Cameroun et le vendeur se sont entendus pour solder cette affaire, et par lequel les deux parties renonçaient à toutes poursuites ultérieures ? Non. Enfin, y a-t-il trace d’une somme d’argent que j’aurais reçue dans le cadre de ce dossier ? Non. D’ailleurs, cette condamnation n’est pas une défaite pour moi, mais l’échec d’une volonté du pouvoir de me mettre à mort politiquement. Ils en sont réduits à des expédients pour assurer leur fragile survie politique. La peur est de leur côté. Pas du mien.»
L’heure serait donc à une fragile survie politique. Marafa Hamidou Yaya croit son heure de jouer les premiers rôles venue dès lors que selon lui, le Renouveau jouerait actuellement les prolongations. Il se disait déjà porteur d’un projet pour les Camerounais. Il a désormais ses certitudes : «Je suis tourné vers les changements qui doivent et qui vont advenir.» Visiblement, la privation de liberté ne gêne en rien son projet politique, malgré les menaces de transfèrement à Yoko qu’il croit percevoir. Déterminé à aller jusqu’au bout, il promet la reprise de ses fameuses lettres : «Les suivantes sont prêtes. Elles ne viseront pas à détruire, mais à reconstruire.
Chacun des thèmes qu’elles abordent vise à servir le débat politique.» Pour l’instant, il devra s’en contenter. En attendant le verdict de l’appel interjeté après sa condamnation. Mais il ne faut pas se berner d’illusions. Il le sait, sa condamnation est irrévocable. En Appel comme en cassation, le droit sera dit en faveur de celui qui tient le bâton. L’exemple d’Edzoa Titus le démontre à suffire. Il faut s’assurer qu’il reste au frais aussi longtemps que nécessaire afin de gêner le moins possible le régime. Aussi critique et endurant que Marafa Hamidou Yaya puisse être, son véritable challenge est de lutter contre l’oubli qui le guette intensément. Ses adversaires, de leur côté, y comptent pour avoir le sommeil tranquille. Il faut craindre pour lui que ses actions se limitent comme il le dit «à servir le débat politique». Ce qui serait dommage pour le Cameroun qui attend depuis des lustres l’heure de son alternance politique