Déconstruire les armes des oppresseurs, le défi de la jeunesse africaine
1er septembre 2012
Juliette Abandokwe
"L'arme la plus puissante dans les mains des oppresseurs, est la mentalité des opprimés." Steve
Biko
La profonde disqualification culturelle et morale du peuple qui a "librement et démocratiquement élu le Choix du Peuple", est l'arme de diversion principale d'un pouvoir qui ne cherche qu'à tout casser pour mieux exister. Comme le disait Etienne de La Boétie, "Ils ne sont grands parce que nous sommes à genou".
La jeunesse africaine agissante, à l'aube du 2ème cinquantenaire des pseudo-indépendances gracieusement offertes par des colons qui ont fait semblant de partir mais qui ne sont en réalité jamais parti, se réveille et s'appuie sur des luttes possibles puisqu'elles ont existé, sur des idéologies qui ne peuvent jamais mourir, et sur la mémoire d'une Histoire qu'aucun révisionniste ne pourra changer. Une vérité ne se change pas. Elle se camoufle tout au plus, et jamais pour toujours.
Les jeunes, qu'ils soient togolais, sénégalais, camerounais, centrafricains, congolais, gabonais, commencent à comprendre chaque jour davantage que tout est possible. Ceux qui font semblant depuis 52 ans d'être infallibles donc immuables, savent aussi que tout est possbile. Ils n'arrivent plus à cacher leur nervosité et leur peur, et leur comportement s'en ressent. Les actes de désespoir qui expriment autant l'aveu que les derniers soubresauts de tentatives de diversion ne leurrent pas ceux savent déjà à qui ils ont affaire. L'extrême belliquosité de certaines décisions ne sont que des preuves d'impuissance devant une roue qui tourne inexorablement.
Pour reprendre un cas typique au Cameroun, l'enfermement dans une prison puante et moisissante d'un Enoh Meyomesse qui n'a fait que son devoir de citoyen en dénonçant les dysfonctions d'une machine d'Etat qui méprise un peuple tout entier, ne changera strictement rien. Tant qu'il sera emprisonné, et tant qu'une condamnation à mort planera sur sa tête comme une épée de Damoclès, il sera un martyr. Et si d'aventure l'Etat camerounais commettait l'erreur de mettre ou de laisser arriver une fin à ses jours, à l'instar de ceux que son responsable suprême Paul Biya a déjà fait assassiner tout au long de ses mandats successifs, l'évolution de la pensée résistante camerounaise ne pourrait que s'en nourrir et accélérer sa diffusion comme une tache d'huile.
Museler le droit d'expression des citoyens agissant d'une Nation, en les intimidant par l'emprisonnement, les procès fantoches, les traitements dégradants, l'arrogance et le mépris, l'interdiction de diffusion de leur expression écrite, les "avertissements" et menaces de mort, le lavage de cerveau et la corruption de proches, ne changeront rien du tout à l'évolution du droit de penser individuel.
La répression omniprésente n'arrivera pas à contrôler indifiniment la pensée de l'individu.
Quand un petit groupe de citoyens comprend que les tyrans et leurs sbires sont des humains comme eux, mangent et dorment de la même façon, fredonnent ou chantent à la cantonnade le même hymne national, et voient dans le comportement de leurs oppresseurs une peur indicible devant la perspective d'une masse résistante et par eux potentiellement incontrôlable, les autres citoyens se joindront rapidement jusqu'à devenir une masse invincible.
La mentalité de l'opprimé dont parle Steve Biko, qui est en majeure partie le résultat d'une manipulation systématique et historique de la peur, du sentiment de médiocrité et du manque collectif d'estime, n'est pas inaliénable contrairement à ce qu'essaient de faire croire les oppresseurs, et ceux qui ont perdu la clairvoyance de se poser les questions cruciales.
Rien qu'à force de vivre, la conscience de l'intolérable évolue, et permet de dépasser la peur et les fragilités parfois imaginaires, et le plus souvent fabriquée dans un souci d'oppression efficace et durable. C'est ainsi qu'au Togo, les femmes ont montré leurs fesses dans la rue, contredisant ainsi ceux qui pensent que la soumission d'un peuple est éternelle.
Le dépassement de toute cette manigance psychologique par des citoyens devenus conscients, est donc le meilleur moyen de déconstruire les armes des oppresseurs, et de permettre en même temps de repérer l'utilisation de ces mêmes armes par de nombreux soi-disant opposants et soi-disant résistants.
"On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps." Abraham Lincoln.