Huit
ans après la promulgation de la loi n° 003/2006 du 25 avril 2006
relative à la déclaration des biens et avoirs, les textes qui doivent
préciser les modalités d’application sont toujours attendus alors que le
Sénat est déjà mis en place.
Une loi importante dont l’application pourrait contribuer efficacement à
la lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics a
été reléguée aux oubliettes, pratiquement huit années après sa
promulgation. En effet, la loi n° 003/2006 du 25 avril 2006 relative à
la déclaration des biens et avoirs n’est toujours pas encore entrée en
vigueur. Prise sur la base de l’article 66 de la constitution du 18
janvier 1996, cette loi avait été obtenue sous la pression de la société
civile, de l’opposition, des pays amis et des bailleurs de fonds, dans
la perspective de promouvoir la bonne gouvernance au Cameroun. Une loi
qui oblige les gestionnaires de la fortune publique élus ou nommés à
publier leurs biens avant et après l’exercice de leur mandat.
Obligation de déclaration des biens et avoirs
L’article 66 de la constitution en vigueur soumet précisément des
personnalités de la République, du gouvernement, du parlement, des
régions, des municipalités et de l’administration publique à
l’obligation de « faire une déclaration de leurs biens au début et à la
fin de leur mandat ou de leur fonction ». L’article 2, paragraphe 1,
de la loi du 25 avril 2006 précise les personnalités concernées. Il
s’agit du président de la République ; du Premier ministre ; des membres
du gouvernement et assimilés ; du président et des membres du bureau de
l’Assemblée nationale ; du président et des membres du bureau du sénat;
des députés et des sénateurs ; de tout détenteur d’un mandat électif ;
des secrétaires généraux des ministères et assimilés ; des directeurs
des administrations centrales.
Ainsi que des directeurs généraux des entreprises publiques et
parapubliques; des magistrats ; des personnels des administrations
chargées de l’assiette, du recouvrement, du maniement des recettes
publiques et du contrôle budgétaire; tout gestionnaire de crédit et de
biens publics. Outre ces personnalités qui figurent aussi dans l’article
66 de la constitution du 18 janvier 1996, le paragraphe 2 de l’article
2 de la loi du 25 avril 2006 détermine également les autres catégories
de personnes assujetties à l’obligation de déclaration des biens et
avoirs. Il s’agit dans ce deuxième groupe du président du Conseil
économique et social; des ambassadeurs; des recteurs d’universités
d’Etat; des délégués du gouvernement auprès de certaines municipalités;
les présidents des conseils d’administration des établissements publics
et des entreprises du secteur public et parapublic.
Lenteur voulue dans l’achèvement du processus ?
Dans le même groupe, on peut citer les gouverneurs de province et les
préfets ; les présidents des commissions de passation des marchés
publics ; les présidents des chambres consulaires ; les chefs de projets
bénéficiant de financements extérieurs et /ou des subventions de l’Etat
; les responsables des liquidations administratives et judiciaires; les
responsables des établissements publics administratifs et des sociétés
à capital public jusqu’au rang de directeur; les responsables des
administrations centrales ayant rang de directeur de l’administration
centrale. Le paragraphe 3 du même article 2 de la même loi stipule
qu’«Est en outre assujetti à l’obligation de déclaration des biens et
avoirs, au début et à la fin de son mandat ou de sa fonction, tout
ordonnateur de deniers publics au sein d’une association ou de tout
autre organisme privé, bénéficiant des deniers publics, au titre de
subventions ou de dons».
Depuis que la loi relative à la déclaration des biens et avoirs a été
promulguée, il ne se passe rien du tout, car les textes d’application
sont toujours attendus. C’est le président de la République qui doit
signer l’essentiel des décrets d’application permettant de mettre
mouvement la Commission de déclaration des biens et avoirs non encore
créée. La commission qui doit recevoir, exploiter et conserver les
déclarations des personnes visées. La lenteur dans l’achèvement du
processus suscite des interrogations légitimes. Car, ni le président,
ni les membres de cette Commission ne sont encore nommés. Il faudrait
qu’un texte portant organisation et fonctionnement de ladite Commission
permette de mieux cerner les contours de la structure et les
attributions de son président et des huit autres membres.
90 jours pour déclarer les biens et avoirs
On pouvait comprendre il y a quelques années que l’absence du Sénat pose
problème, dans la mesure où le Président du Sénat doit désigner l’un
des neuf membres qui composent la commission de déclaration des biens
et avoirs. Avec la mise en place du Sénat, il n’y a plus de raison
aujourd’hui que la commission de déclaration des biens et avoirs ne
soit toujours pas créée et ses membres pas nommés. D’après la loi du 25
avril 2006, les personnes assujetties, actuellement en fonction ou en
cours de mandat, disposent, pour déclarer leurs biens et avoirs, d’un
délai de 90 jours, dès le démarrage des activités de la Commission.
Réactions
Cyrille Sam Mbaka, «Des lobbies s’activent contre l’application de cette loi» Le 1er Vice-président national de l’Union démocratique du Cameroun (Udc) répond.
Pourquoi le Chef de l’Etat ne signe-t-il pas les décrets d’application de la loi relative à la déclaration des biens et avoirs ?
Avec sa constitution du 18 janvier 1996 qui consacre la mise en place d’un certain nombre d’institutions, le Cameroun, après 18 ans, n’a pas fini de les mettre toutes en place. Je l’ai toujours dit. Le problème du Cameroun, ce sont les institutions fortes. Les textes, qui doivent préciser les modalités d’application, sont toujours attendus parce que les lobbies qui s’activent autour du Chef de l’Etat ne peuvent pas permettre la mise en place d’une loi relative à la déclaration des biens et avoirs. On attendra encore longtemps après la mise en place du Sénat parce que l’exécutif ne saurait promulguer des lois et signer des décrets d’application qui vont compromettre l’origine, la nature et la destination des sommes énormes que certains membres de l’exécutif manipulent au quotidien, fonds qui je précise sont issus de la corruption.
Qu’est-ce qui peut changer avec l’application effective de cette loi ?
L’application effective de cette loi aura un impact de plus de 90% de réduction sur la corruption ambiante qui mine notre pays. La Conac, l’Anif et toutes les autres institutions de la république pourront se mettre en branle, mais rien ne sera fait tant que la volonté politique ne sera pas manifestée par l’exécutif de combattre profondément la corruption. Les Camerounais, dans leur immense majorité détenteurs d’un pouvoir, vont cesser de l’utiliser contre les prébendes. Tous les biens déclarés sans propriétaires seront reversés dans le patrimoine de l’Etat. En Uruguay par exemple, 42. 000 fonctionnaires font des déclarations sous serment tous les deux ans de leurs biens mais seules celles du Président et du Vice-président sont rendues publiques.Les fonds qui prenaient des destinations autres que celle du Trésor Public, y seront reversés et accéléreront l’atteinte par notre pays à l’émergence avant 2035, à travers la réalisation des infrastructures avant échéance pour accompagner l’émergence. Je pense que le nouveau Gouvernement attendu depuis 06 mois aura l’obligation et la primeur d’appliquer l’article 66 de la constitution avant son entrée en fonction et toutes les autres autorités de la république le feront subséquemment. Pour moi, c’est le plus beau cadeau que le Président Biya puisse faire à son peuple pour le reste de son mandat.
Franck Essi «Un système spécialisé dans le détournement des avoirs publics» Le Secrétaire général du Cameroon People’s Party (Cpp) répond également à nos préoccupations
Pourquoi le Chef de l’Etat ne signe-t-il pas les décrets d’application de la loi relative à la déclaration des biens et avoirs ?
Ce n’est pas un hasard si le Chef de l’Etat ne signe pas les décrets d’application. Ce n’est qu’une illustration de la nature du système gouvernant actuellement le Cameroun : un système kleptocratique spécialisé dans le détournement des avoirs publics à des fins personnelles en vue du renforcement des positions sociales, économiques et politiques. Cela illustre bien l’absence de volonté politique au sommet pour mettre fin aux dérives d’une « élite » dirigeante foncièrement corrompue et incapable de résoudre les problèmes réels des Camerounais et Camerounaises. Cette situation traduit aussi un réel mépris de la Constitution et du Peuple Camerounais. Elle démontre que les slogans « rigueur » et « moralisation » sont bel et bien des slogans creux, vides, rappelés en trompe l’œil mais non suivis d’actes conséquents et efficaces.Au regard de la persistance et de l’amplification de la corruption et des détournements, on est fondé à affirmer que le maintien d’un faible dispositif de prévention des faits de corruption participe d’une logique de gouvernance par l’embuscade. Le Président serait dans une logique politique d’assujettissement des ambitieux se traduisant en amont par la facilitation des actes délictueux, et en aval par la menace d’une épée de Damoclès sur la tête de quiconque voudrait devenir khalife à la place du khalife. Nous pensons que l’application de la déclaration des biens sous Paul Biya ne verra jamais le jour car elle reviendra littéralement à se faire harakiri.
Qu’est-ce qui peut changer avec l’application effective de cette loi ?
La sagesse africaine nous enseigne l’exemple vient d’en haut et que le poisson pourrit par la tête. En plus, quand on sait que c’est le leadership qui détermine l’attitude du membership, il est plus qu’évident que cela aura des effets sur les habitudes et les pratiques des gouvernants camerounais. En premier lieu, la pression que va exercer la Commission de déclaration des biens et avoirs va réduire les réflexes d’enrichissement rapide et effréné. Deuxièmement, si cette Commission se voit dotée de moyens réels de suivi et de contrôle de la fortune des responsables publics, on peut espérer une réduction de la vitesse et des montants détournés. Troisièmement, l’application de cette loi suppose logiquement qu’en cas d’enrichissement illicite, les contrevenants pourront se voir demis de leurs fonctions et poursuivis immédiatement jusqu’au recouvrement des sommes détournées.Cependant, il convient de souligner que son application est nécessaire mais pas suffisante pour nous garantir un recul significatif de la corruption et des détournements. Il est aussi nécessaire de sanctionner effectivement tous ceux et toutes celles mis en cause par les autres organes de lutte contre la corruption selon un timing qui ne soit pas celui du Prince, mais de la loi. Enfin, il convient aussi de sévir contre des acteurs ou actrices situés à des niveaux de responsabilité inférieurs mais responsables de hauts faits de corruption et de détournements de fonds.
© La Nouvelle Expression : Edmond Kamguia K.