YAOUNDE - 14 JUILLET 2010
© THIERRY NYOPE |
DikaloL'engagement et les dernières prises de position du directeur de
publication du quotidien «Le Messager» sont venus jeter le trouble sur
les causes réelles de sa disparition tragique.
L'une des icônes du journalisme au
Cameroun a tiré sa révérence e 12 juillet dernier. Selon des sources
concordantes, Pius Njawé puisqu'il s'agit de lui, est décédé lundi
dernier dans un accident de la circulation aux Etats-Unis.
Le rapport de police rendu public par le département des Transports
de l'Etat de Virginie, quelques heures après cette disparition tragique,
souligne que l'accident aurait eu lieu autour de 14 heures 55 minutes
(20 heures 55 minute), heure du Cameroun sur le côté Sud de l'autoroute
I-664, près de l'échangeur de Bowers Hill. Les sources familiales
annoncent que le fondateur et directeur de publication du quotidien
privé «Le Messager» est décédé alors qu'il se rendait en Virginie où
résiderait l'une de ses filles. Il était à bord d'une voiture de couleur
crème de marque Lexus Sedan, âgée à peine de 16 ans.
Lucas Kameni, le tuteur de la sa dernière fille basée aux
Etats-Unis, est catégorique. Il ne s'agit pas d'un accident survenu
alors que la voiture était en panne au bord de la chaussée, encore moins
d'une crevaison de roue, comme cela avait été précédemment avancé
quelques heures après l'annonce du décès de Pius Njawé. A en croire ce
dernier, la voiture aurait été percutée à l'arrière alors qu'elle était
en pleine circulation par un camion tracteur et traînée sur plusieurs
mètres jusqu'à la crête d'une colline située entre les sorties Est et
Ouest I-664 de cette autoroute. L'accident serait survenu à quelques
minutes seulement du lieu où se rendait Pius Njawé.
Le camion à l'origine de ce drame a été identifié comme appartenant à
J.W. Canada Trucking Inc. of Providence. Le chauffeur de la Lexus qui
serait dans un état critique a été interné à l'Hôpital général de
Sentara Norfolk. Certaines sources l'annoncent d'ailleurs dans le coma.
Quant au chauffeur meurtrier, son état ne serait pas tout aussi
critique. Pour l'heure, les enquêtes ont été ouvertes pour faire toute
la lumière autour de cette affaire. Mais sur place au Cameroun, de
nombreux observateurs de la scène socio-politique n'ont pas attendu que
les enquêteurs se prononcent, pour avancer la thèse d'un assassinat
politique.
Supputations
De quoi est réellement mort Pius Njawé ? La question a alimenté la
chronique au lendemain de l'annonce du décès de père fondateur du
quotidien privé «Le Messager». A côté de ceux qui laissent prospérer la
thèse d'une mort accidentelle, d'autres soutiennent que le directeur
général du Free Media Group aurait été victime d'un assassinat...
politique. Ceux qui militent pour cette thèse, notamment quelques
membres de la famille et certaines associations de journalistes,
soulignent que ce journaliste, militant des droits de l'homme et de la
liberté de la presse au Cameroun, paie ainsi le prix de son engagement
et de ses prises de position à l'encontre du régime en place. Ils sont
mêmes partis jusqu’a monter des scénarii dignes des films hollywoodiens.
Pour eux, tout est possible de nos jours. On pourrait avoir monté toute
cette scène de crime pour laisser prospérer la thèse de l'accident de
route. «Mais nous ne sommes pas dupes...» a lancé un membre de la
famille. Avant d'ajouter qu'une autoroute aux Etats-Unis ne saurait
être comparée aux «pistes» qu'on observe au Cameroun. «Comment cela a
pu être possible en plein jour ? Veut-on nous laisser croire que le
chauffeur n'a pas pu se rendre compte qu'un véhicule roulait juste
devant lui ? Ou était-il enivré ? perdu ses freins ? Et si c'est le cas,
pourquoi ce n'est qu'à cet endroit pourtant très fréquenté et surtout à
cette heure de la journée qu'il a choisi de s'écraser sur la voiture du
grand Pius ? Pour moi, cet accident n'est pas que pur hasard...» a
laissé entendre un membre de la société civile sous le sceau de
l'anonymat.
Dernière prise de position
Avant cet accident, Puis Njawé avait pris part à une convention qui
s'est tenue le samedi 10 juillet 2010 à Washington District of Columbia
(Dc), sous la houlette de la diaspora camerounaise pour le changement
(Camdiac). On se souvient qu'au cours de cette rencontre qui regroupait
plusieurs leaders d'opinion, plus ou moins hostiles au régime dit du
Renouveau, Pius Njawé est monté au créneau pour parler des droits de
l'homme et de la liberté au Cameroun. Il s'exprimait ainsi devant
certains leaders politiques tels que Adamou Ndam Njoya, président
national de l'Udc, Bernard Muna, président national de l'Afp, Hamameni
Bieuleu président national de I'Ufdc, Mboua Massock, candidat déclaré à
la prochaine élection présidentielle, Guérandi Mbara, un officier
camerounais refugié au Burkina Faso depuis le coup d'Etat d'avril 1984,
Christopher Fomunyoh, directeur régional pour l'Afrique du National
democratic Institute, pour ne citer que ceux-la. Bien que Célestin
Bedzigui commente que le Camdiac n'est pas un parti politique, encore
moins une coordination ou coalition de partis politiques, on est sans
oublier que les membres de ce mouvement travaillent au quotidien pour
prendre les rênes du pouvoir au Cameroun en 2011 et assurer l'alternance
politique qu'ils appellent de tous leurs vœux depuis fort longtemps.
Selon un membre de la famille qui a souhaité garder l'anonymat, «le
pouvoir en place tient par tous les moyens à conserver le pouvoir à
l'issue de la prochaine élection présidentielle au Cameroun, quitte à
sacrifier quelques vies.» Pius Njawé en serait-il l'une des victimes
? Difficile de répondre à cette question. Mais toujours est-il que son
engagement et ses prises de position ont souvent dérangé le pouvoir de
Yaoundé.
Téméraire et mal compris
Une seule édition ne suffirait pas pour parler du parcours atypique
de cet autodidacte qui au fil des années a pu se forger une personnalité
qui force le respect et l'admiration dans le monde de la presse et de
la liberté d'expression au Cameroun. Pour Jules Koum Koum, représentant
de Reporters sans frontières au Cameroun, par ailleurs un de ses anciens
collaborateurs, «Pius Njawé peut être considéré comme le précurseur
de la liberté de la presse au Cameroun. Il a fait preuve de beaucoup de
courage, mais aussi beaucoup de témérité au moment où on pratiquait la
langue de bois.»
Pius Njawé, qu'on le dise ou non, est un des pionniers de la presse
indépendante au Cameroun. Procureur implacable et incisif du régime de
Paul Biya. A titre d'illustration, il avait au lendemain de la tenue à
Yaoundé de la conférence internationale Africa 2l gratifié le pouvoir
d'une renversante critique dont, voici la teneur: «Avant de réfléchir
à l'avenir du continent, il serait de bon ton de réfléchir à celui du
Cameroun, un pays bénéficiant d'une position très favorable en Afrique
centrale et doté d'un Potentiel de leader sou-régional. Mais qui
continue de traîner le pas, quand il ne court pas après les aides
internationales. Le pouvoir devrait saisir cette chance de faire son
examen de conscience, de se regarder dans la glace, d'engager une
réflexion essentielle sur la gouvernance, le développement ou la lutte
contre la pauvreté, enjeux récurrents. Or on se contente d'une journée.
Un peu court, à telle enseigne qu'un ministre de la République s'est
étonné publiquement qu'on s'abstienne d'esquisser le bilan d'Ahmadou
Ahidjo puis de Paul Biya. Ce fanon Africa 21 n'a d'ailleurs eu aucune
résonance chez l'homme de la rue, même à Yaoundé. Son seul impact : les
routes barrées, l'économie paralysée deux semaines durant, et des gens
cloîtrés chez eux, donc frustrés. De même, je comprends mal que l'on
célèbre l'indépendance sans évoquer ceux qui ont œuvré pour elle. Aucun
nom n'est cité. On aurait pu imaginer par exemple un monument en
l'honneur de l'un d'entre eux.» Plus que des discours, c'est un
héritage que Pius Njawé léguait à la postérité. Adieu combattant !