Débat sur le Tribalisme a l'Universite Catholique d'Afrique Centrale: Prise de position d'un groupe d'enseignants laïcs de l'UCAC

YAOUNDE - 10 AOUT 2012
© Cameroon Tribune

"... Le groupe d'enseignants laïcs de l'UCAC, que nous sommes, a estimé qu'il était de son devoir de rappeler à l'attention de tous que notre engagement commun à l’UCAC est fondé sur les principes d'éthique et de responsabilité..."

Ethique et responsabilité: Prise de position d'un groupe d'enseignants laïcs de l'UCAC sur le débat actuel

Depuis la publication, dans les colonnes d'une presse de la place, d'une lettre confidentielle de Mgr Victor TONYE BAKOT, Grand Chancelier de l'UCAC, adressée au doyen de la Faculté des Sciences Sociales et de Gestion, un grand débat agite l'opinion, chacun y allant de son inspiration, de ses intérêts ou de son imagination. Face à ce genre de situation où la désinformation et la malveillance l'emportent sur la raison, observer le silence lorsqu'on a un éclairage utile à donner devient une attitude de culpabilité. C'est la raison pour laquelle, le groupe d'enseignants laïcs de l'UCAC, que nous sommes, a estimé qu'il était de son devoir de rappeler à l'attention de tous que notre engagement commun à l’UCAC est fondé sur les principes d'éthique et de responsabilité.


Restitution des faits

Au cours de la session ordinaire du Conseil Supérieur de l'UCAC, du 7 au 9 juin 2012, un document confidentiel est soumis aux membres dudit Conseil. Statistiques à l'appui, le document fait apparaître un grand déséquilibre entre une Région et le reste du pays concernant les origines des étudiants camerounais inscrits à la Faculté des Sciences Sociales et de Gestion. Pour en avoir le cœur net, le Conseil Supérieur décide de faire venir le Doyen de cette Faculté pour porter cette situation à son attention et, après un échange oral, ce dernier est libéré. Mais le Conseil Supérieur charge le Grand Chancelier de suivre le dossier afin de prendre des mesures pour corriger progressivement le déséquilibre révélé par ces statistiques. C'est dans le cadre de la mission, à lui confiée par le Conseil Supérieur, que le Grand Chancelier adresse au Père Martin BIRBA, Doyen de la Faculté des Sciences Sociales et de Gestion, une lettre confidentielle, le 12 juin. Contre toute attente, la correspondance du Grand Chancelier est livrée à la presse par un inconnu. Les raisons du détournement de cette correspondance sont incompréhensibles.

Les diverses réactions violentes, insultantes et injustes à l'égard de Mgr Victor TONYE BAKOT, Archevêque de Yaoundé et Grand Chancelier de l'Université Catholique d'Afrique Centrale (UCAC), qui ont paru à la suite de sa lettre adressée au Père Martin BIRBA, Doyen de la Faculté des Sciences Sociales et de Gestion de l'UCAC, ne laissent pas d'interpeler les enseignants laïcs que nous sommes, indignés par les propos de certains de nos collègues clercs, qui heureusement, ne représentent qu'une infime minorité.

Comment des universitaires de haut rang peuvent-ils mettre la raison sous le boisseau et laisser libre cours, aussi spectaculairement, à la passion et aux passions ? Y a-t-il meilleur exemple de hors sujet que ces invectives livrées à la presse? D'ou vient-il que des intellectuels reconnus comme tels utilisent si abondamment le terme «tribaliste» sans l'avoir, au préalable circonscrit ?


Un bien commun au service de l'Afrique

L'Université Catholique d'Afrique Centrale est une institution académique offerte à la Sous-région d'Afrique Centrale par le Saint-Siège, suite à la demande formellement exprimée par le Forum des Universitaires Catholiques Laïcs du Cameroun, le 13 août 1985, au Pape Jean Paul II, dans le cadre de sa première visite apostolique au Cameroun. Cette institution est un bien commun pour l'ensemble des Eglises et des pays de la Sous-région d'Afrique Centrale, dont nul n'a le droit de remettre en question les missions et le fonctionnement. Le Saint-Siège a, entre autres, assigné à cette université la mission d'être un haut lieu de recherche sur la culture africaine et pour le développement socio-économique de la Sous-région, ainsi qu'un haut cadre de formation d'intellectuels et d'universitaires compétents, consciencieux, épris des valeurs chrétiennes que sont la vérité, la justice, l'honnêteté, l'intégrité morale... bref, d'hommes et de femmes porteurs de ces valeurs dont l'Afrique a besoin pour son développement intégral et son émergence, dans un esprit d'ouverture et de coopération avec la communauté internationale.

Cette institution qui vient de célébrer ses vingt ans a révélé à la communauté nationale et internationale qu'elle s'acquitte honorablement des missions que le Saint-Siège lui a assignées, sous la vigilance de ses fondateurs institutionnels que sont les évêques de la Sous-région d'Afrique centrale. En effet, la rigueur académique et la discipline morale avec lesquelles les jeunes sont formés dans cette institution font que les lauréats issus de celle-ci s'intègrent facilement dans le monde du travail. A l'UCAC, seules la compétence et l'excellence sont les critères fondamentaux, prescrits par les Pères fondateurs à la communauté universitaire. Mais comme aucune œuvre humaine n'est parfaite, des problèmes peuvent surgir dans son fonctionnement. Les Pères fondateurs qui ont qualité de veiller à la bonne marche de l'institution ont alors le devoir de prendre des mesures appropriées pour, en cas de besoin, apporter les solutions les plus convenables. C'est ce qui explique que le Grand Chancelier ait choisi un mode de communication bien connu dans l'Eglise: celui de la lettre confidentielle. Cette tradition procède de la volonté de l'Eglise de ne pas exposer n'importe quel problème sur la place publique pour des raisons d'efficacité dans la recherche des solutions.

Le principe hégélien selon lequel «tout ce qui est réel est rationnel» est bien connu. C'est ainsi que la situation du déséquilibre révélé par les statistiques et communiquée au Doyen est de nature à être comprise, et il lui a été demandé de l'expliquer. Rendre rationnelle cette réalité n'avait rien de compliqué pour celui qui vit au centre de cette situation. Mais avant que ne fut connu le point de vue du destinataire de la lettre confidentielle, livrée à la presse par une main inconnue, l'expression «étudiant de l'Ouest», contenue dans cette lettre du Grand Chancelier, a donné lieu à des dérives de la raison, comme si elle était tabouée. En effet quel lien y a-t-il entre les questions du Grand Chancelier et les faits que rapportent ses détracteurs, comme le mémorandum des prêtres de l'archidiocèse de Douala paru en 1987, la nomination du regretté Mgr André WOUKING à Yaoundé, la «prolifération des universités catholiques au Cameroun», l'évocation de la mémoire du regretté Mgr Albert NDONGMO comme «l'un des fondateurs de l'Institut Catholique d'Afrique Centrale» (sic !), l'affectation du Père Ludovic LADO à Abidjan...? S'agissant de cette affectation, on parle, sans preuve aucune, tantôt de Mgr TONYE BAKOT qui l'a demandée et obtenue, tantôt de NN.SS. ATANGA et TONYE BAKOT qui ont mis des pressions au Conseil pour débarquer le Père LADO... Franchement quelle note donnerions-nous à une dissertation d'étudiant qui irait ainsi dans tous les sens, passant allègrement du coq à l'âne? Comme pour témoigner de leur témérité, les auteurs de ces réactions ont adopté comme mode de communication la pratique de «lettres ouvertes».


Non à la pratique de «lettres ouvertes»

Nous dénonçons la pratique inopportune de «lettres ouvertes», qui tend à devenir la norme dans notre Eglise, comme si toute possibilité de dialogue était bloquée. Une correspondance adressée à une autorité religieuse ne doit en aucun cas lui parvenir sous forme de "lettre ouverte" tant que les issues de dialogue ou d'échange ne sont pas verrouillées. Pour le cas dont il est ici question, il ne s'agit ni plus ni moins que d'un esprit de défiance et d'irrévérence à l'endroit de l'autorité établie. Or, l'Eglise exige le respect de l'autorité établie. Quand bien même on aurait de bonnes raisons de croire qu'on doit sauver le monde, il ne s'agirait pas de défier cette autorité, car comme le dit Saint Paul dans Rm 13,.1 - 2 : «Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu. Si bien que celui qui résiste à l'autorité se rebelle contre l'ordre établi par Dieu. Et les rebelles se feront eux-mêmes condamner».

Ainsi que nous le savons, la charge épiscopale de l'évêque est très importante dans tous les diocèses. Aussi tout chrétien a-t-il le devoir de se soumettre à l'autorité de l'évêque et de respecter la dignité liée à sa charge. Ce respect s'impose autant aux laïcs qu'aux clercs. Et si un prêtre venait à manquer de respect à un évêque, que peut-il attendre, lui, d'un laïc ? Notre responsabilité collective de formateur nous invite donc à faire preuve de retenue et de prudence face aune situation qui peut compromettre l'ouvre de formation qui est au ?? même de cette responsabilité. Et c'est faire preuve de responsabilité et de respect de l'éthique académique que d'éviter des attitudes ou des réactions qui seraient en parfaite contradiction avec les objectifs d'une université comme l'UCAC qui promeut l'excellence. Dans la correspondance du Grand Chancelier, il est question d'un «faux diplôme» autour duquel il faudrait faire la lumière, au risque de mettre en péril cette quête d'excellence. Le respect que nous, enseignants, exigeons des étudiants, est de même nature que celui que les Pères institutionnels de notre université attendent de nous, formateurs laïcs et clercs. Se laisser convaincre de ses bonnes intentions n'est pas une dérogation à ce principe cher au fonctionnement de l'Eglise et de ses institutions.


Responsabilité et devoir de réserve

Nous invitons par conséquent tous nos collègues à se soumette à cette exigence éthique qui a toujours permis à l'Eglise de surmonter n'importe quelle difficulté pour accomplir sa mission dans la fidélité au Christ en ce monde toujours en mutation. L'Eglise dispose des plates-formes internes qui sont autant d'espaces de dialogue qui concourent au bien de l'institution et de la communauté. Et ce que nous devons rechercher, en tant que communauté enseignante, c'est d'abord le bien de notre institution universitaire et non nos intérêts personnels, ainsi que toute forme de positionnement non conforme aux valeurs académiques.

En publiant dans la presse «leurs réponses à Mgr TONYE BAKOT», comme si c'est à eux que le Grand Chancelier avait écrit, et en détournant le sens et l'objet de cette lettre, nos collègues n'ont pas mesuré les conséquences de leurs actes. On ne saurait donc s'étonner de voir la vénérable LAAKAM les suivre dans leur logique, en parlant dans sa déclaration solennelle du 04 août 2012 d'une correspondance que Mgr TONYE BAKOT a adressée au Père LADO, alors que celle-ci n'a jamais existé. Plus grave, imputer au Grand Chancelier la «déportation» du Père LADO, c'est faire comme si ce dernier était prêtre diocésain. Nous le savons tous, le Père LADO est jésuite et son affectation ne dépend pas d'un archevêque, fût-il Grand Chancelier, mais de son supérieur religieux. Un religieux est certes originaire d'un pays, mais il est d'abord au service de l'Eglise et travaille partout ou sa présence est jugée utile et nécessaire par la hiérarchie de sa congrégation.

Que devient, au final, le fond du débat sur la lettre du Grand Chancelier de l'UCAC si sa forme recèle tant de défaillances ? Quel crédit d'objectivité accorder à un auteur qui confond plusieurs fois Jn 8, 13 et Jn 8,31-32, dans un article destiné au grand public? «Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres». Nous sommes bien dans Jn 8, 31-32, et c'est un beau texte. Nous avons donc intérêt à dépassionner le débat, sous peine d'aller jusqu'à la confusion des textes sacrés que nous sommes censés maîtriser.

L'UCAC, comme toute institution universitaire, n'est pas à l'abris des problèmes administratifs ou académiques. Mais ces problèmes doivent trouver des solutions dans un cadre institutionnel et juridique précis, ainsi que dans un environnement académique et humain dépouillé de toute passion. Nous tenons à souligner que les problèmes internes de l'UCAC n'ont rien à voir avec les problèmes politiques du Cameroun. Et toute confusion entre l'UCAC et l'environnement politique du Cameroun relève de la mauvaise foi. Nous regrettons donc qu'une association aussi sérieuse et respectée que la LAAKAM n'ait pas fait cette nécessaire distinction. Aucun Bamiléké n'est persécuté à l'UCAC, étudiant ou enseignant. Aucun ne saurait d'ailleurs l'être, au regard des objectifs et des statuts de cette université. Qu'il y ait un problème académique entre la hiérarchie de l'UCAC et quelques personnels ne devrait pas déboucher sur l'amalgame qui touche à la vie politique et au paysage ethnique de notre pays.

Nous sommes tous appelés à travailler ensemble pour l'accomplissement des nobles objectifs échus à notre université. Mais cela n'est possible que si nous acceptons tous les règles du jeu mises en place par les Pères fondateurs. L'UCAC doit constamment se référer aux principes évangéliques d'humilité et d'amour, car comme dit Saint Paul: " N'ayez de dette envers personne, sinon celle de l'amour mutuel. Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi (Rm 13, 8)".


Yaoundé, le 08 Août 2012.

Pierre Titi Nwel,
Professeur de Sociologie, Faculté des Sciences Sociales et de Gestion

Paul Bitjick Likeng,
Professeur d'Ecriture Sainte, Faculté de Théologie

Jean Paul Messina,
Professeur d'Histoire, des Sciences des religions et Analyse des Phénomènes Interculturels, Faculté de Théologie



01/09/2012
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