Depuis quelques années, l’espace démocratique chez nous s’est réduit comme une peau de chagrin. Fini les grands meetings, les manifestations de communion militante et sincère avec leurs vertus et dérives des années de braise, les joutes oratoires d’hommes politiques animés par la volonté de transformer les rêves de bien être de leurs concitoyens en réalités, les sorties de la société civile dont la passion pour le changement n’avait d’égale l’aspiration toujours persistante des Camerounais à vivre enfin dans un pays prospère, libre et solidaire. L’inertie, la langue de bois, la péroraison creuse y ont fait leur lit. Le chantage, érigé en instrument de boussole, de guide, de grille de lecture de l’action politique, a également fait son apparition. Quelle régression démocratique dans un pays où les gens subissent au quotidien la récession tout court, dont la paupérisation n’émeut plus aucun dirigeant, la souffrance est la norme et non l’exception.
Nonobstant ces souffrances, l’inquiétude grandissante de nos jeunes compatriotes quant à leur avenir, nos hommes politiques, en panne d’imagination, n’ont trouvé mieux que les formes éculées d’expression et d’action dont la chronique de l’échec est connue d’avance. Entre boycott du défilé du 20 Mai par les partis de l’opposition et les lettres ouvertes d’un ancien dignitaire du régime en rupture de banc, car privé de sa liberté, notre pays a définitivement atteint l’étiage de la démocratie zéro et d’une République sans repères.
Comment pouvons-nous ergoter aujourd’hui sur une incongruité comme celle du boycott des partis d’opposition à la commémoration de la fête nationale du 20 Mai? Fête nationale à laquelle ne devrait participer aucune organisation partisane. En effet, ce boycott révèle au grand jour, cette confusion entre les institutions de la République et les partis politiques, plus précisément entre nos institutions et le parti au pouvoir depuis pratiquement 30 ans. Dans de telles conditions, une impartialité de l’Etat ne serait qu’une vue de l’esprit, n’en parlons même pas de la séparation entre l’Etat et le RDPC qu’appellent de leurs vœux les partis de l’opposition mais dont la démarche actuelle sonne comme une contradiction criante.
Comment en est-on arrivé là?
D’une part, le casting des personnes qui ont accompagné le
Président dans sa gouvernance jusqu’à présent et d’autre part les
critères de légitimation des pouvoirs de ceux-ci, expliquent aujourd’hui
les dérives que nous constatons chaque jour. La population carcérale
actuelle qui comprend en son sein d’illustres ex-responsables du
gouvernement et ex-directeurs de sociétés du portefeuille de l’Etat,
traduit, à n’en pas douter, la République des copains et coquins,
première responsable de la mauvaise gouvernance observée chez nous.
IL ETAIT UNE FOIS LA REPUBLIQUE DES COPAINS ET DES COQUINS
S’il y a, dans notre pays, un levier qui fonctionnait jadis et
qui ne fonctionne plus de nos jours, c’est bien l’ascenseur social. Cet
ascenseur social qui a permis aux fils et filles de paysans de gravir, à
force de travail et d’endurance, les échelons d’une administration
jadis dévouée et au service de tous.
Ceux qui ont atteint les cimes de notre Etat, via cet ascenseur social
moins discriminatoire, se reconnaissent-ils dans le parcours qu’ils font
emprunter aux jeunes d’aujourd’hui? S’imaginent-ils rendre service à
leurs protégés, encore moins à la nation? Que nenni.
Dans une homélie devenue célèbre, l’archevêque de Yaoundé, Mgr Tonyé Mbakot, stigmatisait les différents moyens de promotion sociale dans notre société dont une forme de promotion canapé d’un autre genre, inconnue au bataillon de nos traditions.
Tout semble indiquer, comme le soulignait le
crooner Lapiro de Mbanga, dans une de ses chansons « Qui n’a rien n’est
rien » dans notre société.
« Votre père n'est pas Excellence, votre mère n'est pas honorable et
vous n’avez personne dans l'équipe du shiba, alors vous n’êtes rien ».
Que vous reste t-il donc à faire quand l’horizon et l’espace se
réduisent autant?
Pourquoi s’étonner donc qu’à la fin, l’on retrouve dans nos centres pénitenciers exclusivement les copains et les coquins qui formèrent jadis, au temps de la splendeur, l’attelage gouvernemental?
Le comble de l’absurdité est d’entendre des
inepties comme celle qui suggère d’appliquer l’équilibre ethnique dans
la sélection des proies du rapace Obam bulu. L’a-t-on appliqué au départ
dans la sélection de nos dirigeants pour en réclamer l’usage, en bout
de chaîne de la mauvaise gouvernance quand arrive l’heure de rendre des
comptes?
Tout comme l’est cette autre ineptie galvaudée ça et là, que l’opération
Epervier serait une opération à « tête chercheuse » puis d’ « épuration
politique ».
Serait-elle une opération à tête chercheuse au sein d’un vivier de
copains et coquins? Pourquoi devrait-elle toucher ceux et celles qui ne
font pas partie de la coterie?
A supposé qu’il en soit ainsi, les victimes d’aujourd’hui et de demain
ne paient-ils pas le prix d’avoir co-détruit l’ascenseur social dans
notre pays?
Epuration politique comme si la dévolution du pouvoir dans notre pays ne
devrait-être réservée qu’aux membres de cette coterie dont les critères
de sélection des membres sont anti-démocratiques, antirépublicaines?
Admettre intellectuellement une telle hypothèse reviendrait à valider ce contre quoi nous nous battons depuis fort longtemps, à savoir la confiscation clanique du pouvoir dans notre pays.
Le combat pour l’avènement d’un processus électoral libre et transparent est antinomique avec l’idée que l’alternance politique ne saurait se faire qu’au sein d’une classe politique préfabriquée selon des règles non soumises à la volonté du peuple. Loin de nous l’idée qu’en politique ou ailleurs n’existerait pas la cooptation ni le parrainage. Mais toutes choses égales par ailleurs, la compétence, le potentiel et la légitimité devraient primer sur les autres critères pour préserver le bien commun et défendre les intérêts nationaux.
Or ceux et celles qui ont la charge de défendre
les intérêts de la nation ont progressivement, de manière consciente ou
inconsciente, dévoyé leurs missions, à travers des actes, démarches et
postures contraires à l’idée que nous nous faisons de la République.
Ont-ils agi ainsi en raison d’un déficit démocratique, d’une faiblesse de la conscience politique de nos populations?
Toujours est-il que nous assistons depuis une dizaine d’années à une
floraison de memoranda tantôt régionaux tantôt ethnique voire clanique,
linguistique et pourquoi pas demain, familiaux.
Sont venues se greffer à ces memoranda, les lettres ouvertes
essentiellement, faut-il l’avouer, des membres ou ex-membres de la
coterie.
AU CŒUR DE LA REPUBLIQUE DES MEMORANDA ET DES LETTRES OUVERTES
Il y a quelques années déjà, plus précisément en Mars 2009, (http://www.icicemac.com/node/7836?quicktabs_6=0&quicktabs_1=0),
nous critiquions déjà, le mémorandum comme forme d’expression politique
dans une République. Après ceux des régions du Centre, du Sud, de l’Est
puis du Nord-Ouest, les ressortissants de la région de l’Extrême-Nord
revendiquèrent plus de places au concours de l’école normale de Maroua,
école nationale et non régionale s’entend.
Revendication compréhensible des populations disions-nous à l’époque mais inadmissible car rédigée par les élites dont la plupart étaient des membres du parti au pouvoir, donc en charge des destinées de notre pays depuis des lustres. Qui plus est, certains étaient et sont toujours, des « Honorables élus de la Nation » dont les missions dépassent le cadre de leurs circonscriptions électives. Ils avaient d’ailleurs voté sans discontinuer des budgets de la Nation dont celui de l’éducation et de l’Enseignement supérieur. Ils avaient donc eu moult occasions pour faire améliorer la carte scolaire en termes d’infrastructures non seulement scolaires mais aussi en structures de formation de formateurs à l’échelle nationale.
Au demeurant, un Ministre, Grégoire OWONA, pour ne
pas le citer, ne s’y était pas trompé, à l’époque, dans une interview
au quotidien le « Jour ». A la question « la confection de memoranda de
tel ou tel coin, les mises en garde du Minrex aux diplomates étrangers,
le procès de la justice contre la presse… ne vous inquiètent-ils pas
quant à l’avenir du Cameroun ? » il répondit :
« Non, bien au contraire ! J’y vois la manifestation contrastée de
l’affection des uns et des autres pour le Cameroun. Il faudrait
peut-être cependant éviter de se laisser emporter par son élan, en
remettant en cause des principes sacro-saints tels que la non-ingérence
ou l’indivisibilité de la République. Il y a des cercles d’expression
légaux, des partis politiques, des syndicats, des associations de
développement et autres. Le dialogue avec le gouvernement ou les
institutions devra se faire dans les cadres légaux. Ils sont nombreux.
On peut citer les conseils municipaux, l’Assemblée nationale et bientôt
le Sénat et les Conseils régionaux, entre autres. Sans oublier la
presse. Mais, nous devons chacun, savoir jusqu’où ne pas aller trop
loin, respecter notre pays, nos élus et les autres dans nos
revendications souvent intempestives. Nous devons éviter de déraper. Le
Cameroun ne saurait être gouverné sous la menace de mémorandums par ci
et là ………….. »
Mais en accédant à ces revendications, somme toutes légitimes, le
Président de la République, ouvrait ainsi la boîte de pandore dont il
aurait ultérieurement du mal à refermer le couvercle, rajoutions nous.
La suite nous donna et continue de nous donner malheureusement raison avec ça et là, des memoranda, par exemple celui des ressortissants de l’Ouest qui se plaignent de leur représentativité au sein de l’administration, des cercles dirigeants ; celui des élites d’un département de la région de l’Extrême-Nord, qui fort du « vote massif » de la population en faveur du candidat Paul Biya, ne décolèrent plus en l’absence de représentants au gouvernement, sans oublier la sourde colère d’élites d’autres départements qui, statistiques électoraux à l’appui, ne comprennent pas le même oubli.
Colère renforcée entre autres par les révélations
et confessions tardives de l’ex MINADT, Marafa, dans ses lettres
ouvertes envoyées de sa cellule. Il y dit « Cette liberté m’a également
permis de vous exprimer une opinion sincère, comme l’illustrent les
trois exemples suivants, concernant le gouvernement de la République:
a) Après la formation du gouvernement consécutif à l’élection
présidentielle de 2004, vous m’avez accordé une audience au cours de
laquelle vous m’avez demandé ce que les gens pensent du gouvernement. Je
vous ai répondu qu’ils pensent qu’avec un effectif d’environ
soixante-cinq (65) ministres et assimilés, le gouvernement est
pléthorique et manquerait d’efficacité. Entre agacement et irritation,
vous m’avez tenu ces propos : «…Monsieur le ministre d’Etat, vous êtes
combien de ministres dans ce gouvernement ? Peut-être dix (10) ou quinze
(15) tout au plus. Le reste, ce sont des fonctionnaires à qui j’ai
donné le titre». Je vous ai répondu: « … C’est peut-être vrai, monsieur
le président de la République. Mais le problème, c’est que ces
fonctionnaires eux, se prennent pour des ministres». »
Si ces révélations qui posent d’énormes interrogations sur la nature et
le devenir de notre République, au moment où nous célébrons notre fête
nationale, s’avéraient justes, comment pouvons-nous être surpris par ces
revendications qui montent de nos régions, départements,
arrondissements, clans et bientôt de nos familles?
Bien avant lui, l’ancien DG de la Camair, Yves Michel Fotso avait
expérimenté cette forme d’expression, en s’adressant au Ministre de la
Justice de l’époque, Amadou Ali. Nous connaissons la suite.
Pourquoi n’a-t-il pas démissionné quand il
constata tous les manquements qu’il décrie, aujourd’hui, du fonds de sa
cellule? D’autres, avant lui, l’ont fait, Garga Haman Adji, le Dr
Maurice Kamto, le Professeur Titus Edzoa pour ne citer que ceux là.
Imagine-t-on l’impact politique et le devenir de notre processus
électoral s’il avait fait de telles révélations avant les élections
présidentielles de 2004 ou de 2011? Nous aurions certainement gagné un
temps précieux dans l’édification d’un processus électoral libre et
transparent. Ses lettres ouvertes, bien que nous révélant, des choses
que nous subodorions depuis, perdent de leur crédibilité pour plusieurs
raisons :
Aurait-il fait ces révélations s’il n’avait pas été inquiété?
Pourquoi, au cours de sa dernière visite que d’aucuns ont assimilé, à tort ou à raison, à une démonstration de forces, a-t-il remercié les populations de Garoua pour avoir voté massivement pour le candidat Paul Biya, lors de la dernière élection présidentielle dont il savait le processus peu libre et transparent, si l’on s’en tient à ses notes ex-ante et ses lettres ouvertes à postériori?
Un grand serviteur de l’Etat, aspirant à la
magistrature suprême, ce n’est d’ailleurs plus qu’un secret de
polichinelle, peut-il révéler publiquement, quelque soit le désaccord
qui existerait entre lui et son supérieur hiérarchique, la teneur de
leurs conversations sur la marche du pays?
Quelle confiance pourrait-on accorder à celui qui, dans sa tentative
légitime de se défendre contre un système qu’il a contribué consciemment
ou inconsciemment à consolider, désacralise les fonctions d’Etat qu’il a
occupées sans discontinuer pendant 17 ans?
Imagine t-il, au cas où le peuple lui accorderait la confiance, dans un scrutin cette fois-ci libre et transparent comme il aurait préconisé à l’actuel locataire d’Etoudi, avoir un jour à ses côtés, un SGPRC ou un MINADT ou un autre collaborateur qui pourrait révéler la teneur de leurs conversations professionnelles, même en cas de séparation? Les ex-conjoints d’un mariage divulguent-ils les secrets d’alcôves?
Elle est désormais en marche tout comme la Nouvelle République vers laquelle nous devons tendre.
A QUAND LA REPUBLIQUE EXEMPLAIRE?
Il nous appartient de lui donner un contenu concret et palpable
pour nos compatriotes. En effet aucun Camerounais ne doit plus se
sentir exclu des bénéfices de l’effort collectif. L’ascenseur social
doit redevenir ce qu’il fut autrefois. Un instrument au service de la
PAIX et qui la consolide, qui promeut le TRAVAIL, l’effort, le sacrifice
au nom de l’amour que nous avons tous pour notre chère et belle PATRIE.
Il s’agit de redonner un sens à notre devise PAIX, TRAVAIL, PATRIE.
La paix est une réalité chez nous mais celle des cœurs n’y est plus. Les
ferments de la division sont nombreux. Le tribalisme y a insidieusement
fait son lit. Les déclarations de certains hauts dignitaires du régime
qui excluaient les Camerounais de certaines régions, des mécanismes de
la succession au sommet de l’Etat, révélées par les câbles de Wikileaks,
ont alourdi l’atmosphère déjà délétère dans laquelle nos compatriotes
vivent au quotidien. En attendant une resocialisation de notre
population, par les canaux classiques que sont la famille, l’école, le
clergé, les médias, les associations et partis politiques, et dont les
résultats ne seraient perceptibles que sur du long terme, le législateur
devrait accélérer le processus d’intégration nationale, lutter avec la
dernière énergie contre le tribalisme.
Il ne serait point inutile qu’une commission composée de juristes, de
sociologues, de personnalités imminentes de la société civile, du
clergé, des chefferies traditionnelles, soit chargée d’identifier des
faits ou actes pouvant être qualifiés de tribalistes et que notre
législateur élabore un code de sanctions à cet effet.
Une République dans laquelle les passes droits, la corruption, les
détournements ne privent plus les Camerounais d’un « minimum syndical de
vie » : Education, emploi, santé.
Une République dans laquelle, les agents de l’Etat servent au lieu de se
servir, l’Etat est impartial et ne se confond plus avec le parti au
pouvoir encore moins leurs dirigeants.
Une République dans laquelle, les députés de la Nation travaillent
davantage pour le pays tout entier et non exclusivement pour leurs
circonscriptions.
Une République dans laquelle, les Ministres de la République cessent
d’être des ministres du village, du clan. Des ministres qui, après leur
nomination, organisent des orgies alimentaires et beuveries dans leurs
villages. En effet, dans le meilleur des cas, ils décevront leurs frères
et sœurs du village en servant toute la République mais auront la
liberté et dans le pire des cas, ils entretiendront cette clientèle en
détournant de l’argent des caisses de l’Etat pour se retrouver un jour à
Nkondengui ou New-Bell. Le choisir c’est le choisir comme dirait un
célèbre chanteur. C’est le prix à payer pour notre Unité comme le
rappelle Nguéa la route dans ce lien.