De la nécessité de dégager Paul Biya par la force

Cameroun : De la nécessité de dégager Paul Biya par la forceL’indépendance du Cameroun s’est réalisée dans un contexte de division entre les tenants d’une rupture totale des liens avec l’ancienne puissance tutélaire et ceux qui à contrecœur se résignaient à réclamer une indépendance dans l’interdépendance selon l’expression de F. Houphouët-Boigny. Cette déchirure marquée du sceau de la divergence idéologique entre les protagonistes, dont on ne peut à priori pas douter de l’amour pour la patrie, s’est aggravé au point de se transformer en conflit armé sous fond de la guerre larvé entre l’Est et l’Occident.
Malgré le défaut d’études scientifiques sur le bilan de cette guerre, le pays reste profondément marqué par ces évènements qui ont véritablement traumatisé les générations qui les ont vécus.

Comme beaucoup de concitoyens, je fais partie d’une famille où les parents, hanté par la visons des massacres de populations civiles et autres abominations liés à la guerre civile entre 1957 et 1971 opposant la guérilla des nationalistes marxistes de l’UPC et le pouvoir d’Etat occidentalisé incarné par Ahidjo, déconseillaient vivement à leurs enfants de se mêler à tout ce qui est politique ou contestations de la légitimité des décisions de l’Etat. Cet état d’esprit résume la dépolitisation de l’espace public ainsi que refoulement, à la sphère privée, de l’expression de toute critique politique vis-à-vis du pouvoir qui ont suivis la victoire de la ligne incarnée par Ahidjo ; les seules voix discordantes n’ayant pas eu d’autres choix que de se mettre à l’abri à l’étranger.  Cet état de fait n’a pris fin qu’avec la contestation du monolithisme politique de l’Etat et les revendications des réformes démocratiques qui ont suivi la chute du mur de Berlin qui consacrait la fin de la guerre froide au début des années 90.

La réinstauration du multipartisme a suscité beaucoup d’espoir de la part du peuple. La multiplication de parti politique et d’association de défense des droits de l’homme et des activités à caractère politique montrent que toutes les populations recevaient enfin satisfaction à une attente trop longtemps différée. Le peuple recevait la possibilité de demander des comptes aux dirigeants sur la gestion de l’Etat et les raisons qui ont entrainées l’écroulement de leur niveau de vie et le développement d’une misère généralisé. Il avait enfin le droit de demander pourquoi l’injustice sociale prenait des proportions inquiétantes, pourquoi les infrastructures et services de base étaient de moins en moins accessibles ; il voulait comprendre pourquoi les salles de classes étaient de plus en plus surpeuplées, pourquoi il fallait de plus en plus user des dessous de table pour obtenir le moindre acte administratif ; le peuple avait réellement envie de savoir pourquoi les banques et société d’Etat se trouvaient aussi brusquement en cessation de paiement et mises en faillite ; les agriculteurs espéraient avoir des réponse sur la faillite de la Biao et l’échec de l’Etat à stabiliser le prix de produits de rente à un niveau décent, etc.

Les opérateurs économiques espéraient que leurs frustrations cesseraient, soumis qu’ils étaient aux tracasseries administratives et à la corruption de l’administration d’Etat. Ils croyaient que l’avènement de la démocratie favoriserait l’instauration d’un climat propice aux affaires grâce à un cadre juridique plus cohérente et à une justice plus indépendante des pressions politiques. Ils avaient la conviction qu’un contrôle démocratique permettrait d’améliorer la lisibilité de la politique économique, d’optimiser l’utilisation des deniers publics et de ramener les impôts à un niveau moins confiscatoire.

L’émulation crée par le retour du multipartisme a très vite été déçue car les populations et les acteurs politiques se sont vite rendus compte que l’ouverture démocratique n’était qu’un subterfuge pour donner des gages aux partenaires internationaux dont l’aide était nécessaire au régime pour se perpétuer ; et que le pays restait confiné à une démocrature qui concilie à la fois les défauts des démocratie et des pires aspects des dictatures.

En effet, on pouvait réclamer à corps et cris la tenue d’une conférence nationale souveraine qu’elle resterait « sans objet pour le Cameroun » ; on pouvait organiser des cortèges monstrueux de manifestation de protestation que la seule réaction du pouvoir serait d’envoyer l’armée réprimer les protestataires et de leur demander de courir s’ils étaient fatigués de marcher; on pouvait paralyser le pays par des grèves générales de très longue durée que le pouvoir ne se gênerait pas de répondre que « tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit », les étudiants massacrés à Yaoundé pouvaient voir leur mémoire profané à la télévision  par un ministre déclarant contre toutes les évidence qu’il a eu « zéro mort » sur le campus, etc.
Les élections présidentielles de 92 ont sans doute constituées le fait qui a fait perdre au peuple ses dernières illusions. D’une compétition pacifique, loyale et juste dont l’enjeu était de servir le pays, on a assisté à un à simulacre d’élection qui n’avait rien de loyal, en ce sens que tous les moyens de l’Etat ont été mis au service de la réélection de Biya; rien de pacifique dans la mesure où des candidats ont été empêchés de faire campagne dans certaines régions du pays, les partisans de l’opposition ont subi menaces et intimidations de la part des affidés du pouvoir ou de certaines autorités de l’Etat ; rien de juste car les résultats proclamés au termes de ces élections  ne reflétaient pas la vérité des urnes et presque tout le monde en convient aujourd’hui.

Si l’opposition Camerounaise ne peut s’exonérer du nécessaire devoir d’inventaire sur le projet qu’elle a défendu et sa stratégie basée sur la multiplication des candidatures lors de cette élection, il demeure le fait que le choix du peuple n’a pas été respecté. Faisant fi du ressentiment de la population, le régime n’a pas pris acte des frustrations et du malaise qui traversaient la nation. Il a pris le parti d’en tirer profit.

Paul Biya a depuis opéré une méticuleuse entreprise de destruction politique de ses opposants, qu’il soient à l’intérieur ou à l’extérieur du régime, offrant des prébendes et postes ministériels à ceux qui acceptent de collaborer avec lui et décrédibilisant par des moyens déloyaux ceux qui s’inscrivent dans une démarche d’opposition radicale. Face à la nécessaire protection des minorités, Le Renouveau décide dans la constitution de 1996 de catégoriser les citoyens en allogènes et autochtones avec des droits différenciés, au détriment de l’avènement de la nation camerounaise, dans le but de s’assurer le soutien des premiers. Les anglophones et la ville de Douala marquent leur opposition au régime, celui-ci répond par la punition qui consiste à ne plus effectuer dans ces régions aucun investissement et à laisser se dégrader tout ce qui y avait été précédemment construit.

Avec le temps, le régime ne s’est pas assoupli ; il a montré qu’il  reculerait devant aucun moyen lorsqu’il s’agit d’assurer  sa survie ; il continue truquer les élections et d’envoyer l’armée réprimer les manifestants lorsqu’ils se font trop véhéments, utilise les moyens de l’Etat pour corrompre ceux qui incarnent une vision alternative de l’avenir du pays, instrumentalise l’administration et  ethnicise la haute fonction publique pour en faire un club de supporter de Paul Biya.

La justice est mise à contribution lorsqu’il s’agit de mettre sur le côté les membres du clan tombé en disgrâce. Grâce à des arrestations sélectives sur base d’accusations mal ficelées,  suivies de procès spectacles  où des sentences lourdes prononcées  et qui ne trompent personne quant au caractère éminemment politique des poursuites ; et bien souvent, les condamnés profitent de leurs déboires judiciaires pour reconquérir aux yeux de l’opinion une virginité politique et un élan de sympathie. Le parlement ou ce qui en tient lieu, plombé par son manque de légitimité et de représentativité, est réduit à jouer la caisse d’enregistrement des doléances du régime.

L’atteinte de ses objectifs par le régime se mesure aujourd’hui à l’absence sur la scène politique d’une alternative crédible, limitant le défi de l’après Biya à une querelle d’héritiers du Renouveau dont on sait qu’ils inscriront leur action dans la ligne directe de celle de leur mentor. Le peuple camerounais se retrouve ainsi dans une situation inconfortable de décider de son avenir en choisissant entre 2 mauvaises solutions. Soit le peuple se résigne à attendre que Biya meurt au pouvoir, avec l’espoir que celui de ses héritiers qui prendra le pouvoir fera les réformes dont le pays besoin; soit  le peuple prend ses responsabilités pour précipiter la chute du régime au  moyen de la force.

Au vue des expériences qu’a traversées le pays, l’utilisation de la force est le seul moyen dont dispose le peuple pour obliger ceux qui usurpent la souveraineté nationale depuis 20 ans à le remettre à son propriétaire inaliénable, le peuple. Le peuple camerounais est conscient que la violence est un moyen exceptionnel d’impulsion du changement ; mais il doit reconnaitre aussi que la force est un puissant moyen de détermination des volontés et qu’elle est incontournable dans le contexte du Cameroun.

En effet, lorsque le droit sur lequel s’appuie un Etat pour agir est contestable ou que l’Etat s’affranchit lui-même des règles de droit, contester l’Etat revient à lui rappeler celui-ci au droit dont il se réclame ou lui demander de se soumettre au droit qui naitra de la contestation. Dans tous les cas, à la violence engendrée par l’Etat doit répondre une violence de ceux qui le contestent.

Malgré les victimes innocentes consubstantielles à son utilisation comme moyen d’action politique, la résistance armée permet de modifier le rapport de force et de poser les bases d’une réelle négociation politique. Aucun accord politique n’a de valeur réelle aux yeux d’un dictateur si celui-ci ne redoute rien sur le plan militaire de la part de ses adversaires. A titre d’illustration, le consensus politique des accords tripartites qu’était censé incarner la constitution du 18 janvier 1996 a volé en éclat lorsqu’il s’est agi d’appliquer la disposition limitative du nombre de mandats présidentiels à Paul Biya, passant par pertes et profits la vie de nombre de compatriotes qui s’opposaient à cette manipulation de la constitution. De plus, le monopole de l’utilisation de la force par une dictature confine l’Etat au rôle d’instrument de domination du pouvoir par l’oligarchie dominante, ce qui est inacceptable pour la majorité des citoyens.

Spécifiquement au cas du Cameroun, la résistance armée a de réelle chance de succès. Le patriotisme des camerounais, et en particulier celui des jeunes, ne peut être mis en doute ; ils sont prêts, et l’ont prouvé à plusieurs occasions, pour peu qu’on leurs en donne les moyens, à se battre pour le pays meilleur. L’armée nationale n’est pas monolithique, loin de là ! Elle compte de vrais patriotes qui désapprouvent la façon dont le pays est gouverné. Paul Biya est conscient de la méfiance qu’il inspire de la part d’une partie de l’armée. C’est la raison pour laquelle sa confiance en eux est toute relative  et il le manifeste en  créant des chaînes de commandement parallèles ainsi que des corps spéciaux dont il s’assure la fidélité par le biais d’avantages particuliers importants par rapport au reste de la troupe. En outre, pour peu qu’elles le voudraient, les forces de maintien de l’ordre sont incapables de tenir tout le pays en cas d’une insurrection armée réellement organisée pour des raisons d’effectifs, d’équipement et d’entrainement.

Le contexte international est aussi beaucoup plus propice au succès d’un renversement de Biya par la force que par le passé. Celui-ci ne peut plus compter sur le soutien franc et massif de ses anciens parrains qui jusqu'au milieu des années 90 installaient et protégeaient qui ils voulaient au pouvoir en Afrique. Les liens entre Biya et les dirigeants de l’ex-colonisateur se distendus sous la pression de l’émergence d’autres pays pourvoyeur d’aide économique non conditionné au respect des droits de l’homme ; ainsi que des demandes de ruptures de liens privilégiés avec les dictatures de la part des opinions publiques dans les pays occidentaux.

Évidemment, je me ferai objecter que la paix est un trésor pour le Cameroun ; peut-être le seul trésor dont le pays héritera du Renouveau.  J’y réponds par avance en disant  que ma conception de la paix va au-delà du modus vivendi qui régit actuellement la vie des Camerounais. La paix est aussi celle des cœurs et des esprits. La paix ne peut se réduire à l’absence d’hostilités armées et je peux affirmer  que dans le cœur de chaque Camerounais se trouve la certitude que tôt ou tard, tout va péter. J’appuie cette affirmation sur la base du comportement, personnellement vécu, des populations de Yaoundé lors de « l’explosion de la poudrière du quartier général en 2001 ». En effet, dès les premières explosions, et  alors que rien ne laissait présager la veille de l’imminence d’un conflit armé, les Yaoundéens se sont dirigés en nombre vers les forêts environnantes avec enfants, provisions et matelas en prévision de ce qu’ils anticipaient comme début d’une guerre.

La violence en soi ne peut être le levier fondamental du changement politique et y faire recours est à la fois le signe d’un désespoir profond et d’un appel à l’aide. En ce sens, le recours à la force en politique ne peut être condamné de façon absolue, car sa légitimité se trouve dans ses motivations. Croire que le Cameroun est un Etat où les rapports de force sociaux sont entièrement investis dans la politique c’est faire preuve de naïveté et refuser de reconnaitre que le régime de Biya est l’âme discordante qui empêche de poser les conditions d’intelligibilité de la politique au Cameroun. D’où la nécessité, de le bouter hors du système de sorte à rendre à la politique sa capacité de domestication des conflits et du dépassement des différends en vue d’une réconciliation réelle.

Le diagnostic de la nécessité d’une résistance armée est posé ;  reste sa mise en œuvre sur le terrain. C’est hélas, le plus difficile.

© Correspondance de : PEDIE Michel


15/12/2012
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