En parlant de l’élection présidentielle de 2011 et ce avant que Biya ne déclare sa candidature, Thierry AMOUGOU dans son ouvrage, « Le Biyaïsme », traite de la crédibilité des candidats à la magistrature suprême. Ci-dessous, un extrait de son livre : « L’élection présidentielle de 2011 semble une échéance cruciale pour l’avenir du Cameroun. Cela est vrai, ou mieux, était vrai, étant donné qu’en 2011, et suivant la Constitution en vigueur avant mars 2008, le Cameroun devait changer d’homme à la tête de son Etat. C’était un acquis constitutionnel que de voir une nouvelle figure diriger le pays à l’échéance du dernier mandat du leader du Renouveau National. Que cet homme provienne du RDPC au pouvoir ou d’un tout autre parti ou camp politique n’y aurait rien changé. Le pays devait et allait, tout au moins, avoir un nouveau Président à sa tête dès 2011.
Dans la mesure où, ainsi que je le répète à l’envi, une élection présidentielle permet une respiration politique et sociétale comme la ponctuation le permet dans une phrase pour le lecteur, ce premier défi semble déjà très mal négocié par le pays. Le renouvellement d’idées, d’hommes et de confiance qu’un peuple fait en pareille occasion entre lui et ses institutions, ne se fera pas. Ceci est lié au fait que l’acquis constitutionnel qu’était le changement d’homme à la tête de l’Etat, a été annulé et détourné par la révision constitutionnelle de 2008. En conséquence, Paul Biya, candidat sortant normalement disqualifié par la norme suprême en vigueur, s’est lui-même requalifié en se taillant une Constitution camerounaise sur mesure, c'est-à-dire, à la dimension de ses ambitions de pouvoir éternel.
• Biya après Biya
Le premier défi à relever en 2011, à savoir celui de l’alternance à la tête de l’Etat camerounais, ne le sera donc pas. Ceci pour trois raisons simples et implacables : Premièrement, il est très peu probable que le Président sortant soit allé jusqu’à assassiner une centaine de jeunes Camerounais , pour ensuite laisser un autre prendre sa place en gagnant l’élection présidentielle de 2011. Deuxièmement, sa requalification comme candidat possible à la magistrature suprême en 2011, alors qu’il était disqualifié par la loi fondamentale camerounaise, est déjà une pratique de tricherie politique. Troisièmement, au cas où, conjecture très peu probable, Paul Biya ne se représenterait pas, la modification de la Constitution et Elecam sont des pions essentiels pour permettre au Président sortant de fausser la transition en installant à la tête de l’Etat un fidèle de ses fidèles. Le vote de 2011 ne sera par conséquent qu’une étape de ce processus de tricherie politique dont il doit valider les résultats et la procédure. Biya après Biya est donc certainement ce que vivront les Camerounais après 2011. La modification constitutionnelle de 2008, l’assassinat des citoyens par l’armée, Elecam et l’opération Epervier sont en effet des pièces fondamentales d’un bricolage et d’une tricherie politiques auxquelles le vote de 2011, expression de la citoyenneté, ne peut échapper. C’est une programmation de longue date pour la victoire du Renouveau National en 2011. L’objectif est de réduire toute incertitude sur l’avenir du Président sortant à sa dimension congrue.
• Les deux formes d’opposants et la crédibilité de leur combat
Dans ces conditions, les opposants camerounais partisans de l’alternance par l’insurrection populaire, semblent avoir déjà perdu la bataille. D’un côté, l’armée nationale, privatisée et transformée en milice par le Renouveau National, réprime de façon sanglante et meurtrière, toute velléité contestataire. De l’autre côté, Paul Biya, disqualifié par la loi fondamentale camerounaise d’avant mars 2008, a foulé celle-ci aux pieds afin de rester au pouvoir. Il est cependant important de noter que l’insurrection populaire ne se programme pas généralement. Elle ne peut être crédible et transformatrice d’un pays dans le cas contraire.
Il me semble qu’il arrive parfois un moment où le peuple, comme s’il avait un logiciel collectif, atteint ce que je peux appeler un seuil de saturation de sa capacité de tolérance. Celui-ci correspond au maximum de frustration qu’il peut supporter et au-delà duquel, surgit l’explosion d’une violence extraordinaire nourrie depuis longtemps par une violence ordinaire devenue une norme de gouvernance par le régime en place. L’insurrection populaire peut donc arriver au Cameroun sous Biya, après Biya, comme elle ne peut jamais arriver. Le Cameroun n’a cependant pas, comme le pensent certains, un gène naturel contre celle-ci. Notre histoire, notamment celle de la conquête de l’indépendance, prouve le contraire car les Camerounais peuvent choisir la violence quand il le faut. Ce qui est certain, c’est qu’il est toujours déjà trop tard lorsqu’elle éclate, étant donné que ses causes sont déjà toujours très lointaines dans le passé. Ces causes ont déjà toujours eu le temps de mûrir, de se sédimenter et de renforcer les frustrations et les rancœurs, au point que trouver les moyens d’en sortir est très souvent un vrai casse tête chinois comme le montre le cas ivoirien.
Face aux opposants camerounais partisans de l’insurrection populaire, il y a ceux que je peux appeler des légalistes ou ceux qui se veulent légalistes en acceptant d’aller aux élections. C’est une très bonne chose dans un pays car le vote, ainsi que je l’ai déjà dit, est l’expression de la citoyenneté politique. C’est une procédure de choix dans une société dite démocratique. Ces opposants-là font cependant face à des questions auxquelles ils n’apportent aucune réponse. D’abord, pensent-ils que le régime qui a truqué le résultat des élections présidentielles de 1992, aura mis en place Elecam pour ne pas truquer le résultat de celles de 2011 ? Ensuite, pensent-ils que la transparence et le respect des lois se feront uniquement au vote alors que la modification constitutionnelle, l’opération Epervier et Elecam sont déjà les pièces à conviction centrales d’un processus de tricherie politique qui évince la démocratie et la transparence de sa procédure ?
Répondre à ces questions est impérieux car il est bien beau d’aller au vote, mais il faut, selon moi, y aller sous certaines conditions afin que l’acte de voter ne se confonde pas à une farce dont le peuple camerounais est le dindon. Il est fondamental de comprendre que voter pour un citoyen, c’est donner son avis sur la gouvernance de la cité. De ce fait, les candidats de l’opposition qui se disent républicains et légalistes, devraient respecter le peuple camerounais en lui donnant, non seulement le gage que ses choix seront respectés, mais aussi, en lui présentant le mécanisme à travers lequel son vote sera sécurisé. Si de telles garanties et gages n’existent pas, ceux qui acceptent la voix des urnes pour remplacer Biya, se moquent d’eux-mêmes et insultent le peuple camerounais. Ils ne le respectent pas. Il en aurait été autrement s’ils avaient eu des mécanismes crédibles de respect de leur choix par la voix des urnes.
Ce qui est certain, et le passé le prouve, c’est
qu’ils n’ont aucun moyen d’empêcher Biya de gagner cette élection
présidentielle par tous les moyens. La tricherie tous azimuts que
prépare Elecam et qu’annonce la prochaine présidentielle serait une
ineptie que l’Association de la Jeunesse Camerounaise (AJC) n’aurait pas
consacré son temps et son énergie à apprendre aux citoyens camerounais
comment déceler et mettre en échec les mécanismes et les techniques de
fraudes du Renouveau National . Aller au vote sans moyens infaillibles
de mettre en échec ces mécanismes de fraude, fait de plusieurs candidats
de purs aventuriers qui veulent juste ajouter une ligne dans leur CV ou
négocier un poste de ministre. C’est de leur droit le plus inaliénable
que d’être candidat. Mais le devoir républicain exige qu’ils
n’instrumentalisent pas le vote des Camerounais pour assouvir des
intérêts individuels.
Dans la mesure où ceux qui se disent opposants à Biya et candidats à
l’élection présidentielle de 2011 ne peuvent respecter le peuple
camerounais que s’ils ont les moyens de faire respecter son vote, c’est à
dire ses choix, l’évidence saute aux yeux. Ils n’ont aucun moyen de le
faire. En conséquence, la crédibilité de leur candidature semble faible
par rapport au besoin réel d’alternance et de rupture par rapport au
Renouveau National. Même si gouverner est toujours trahir un peu. Même
si, comme le dit le philosophe, on bat campagne en vers et on gouverne
en prose, force est de constater que tous les candidats opposés à Biya
surfent plus sur un antibiyaïsme plus grand et plus effectif que
l’adhésion à leur propre personne et programmes. C’est plus cela le
problème que la fausse question de savoir si des hommes ayant une
épaisseur politique, une carrure, une étoffe et un charisme d’homme
d’Etat existent au Cameroun. Je pense franchement qu’il existe des
milliers de Camerounais capables car ce sont des questions que l’on pose
chaque fois avant que X ou Y n’occupe le poste de Président de la
République : c’est la fonction qui révèle les hommes et leurs talents.
• Qui va remplacer Biya : un vrai faux débat
Dès que quelqu’un est élu, il acquiert les qualités de la fonction par le fait même qu’après un certains temps, il est le Président dans la tête, le quotidien et l’esprit de tous. Et les questions sur l’étoffe, la carrure ou la personnalité du nouveau Président deviennent aussitôt surannées. Elles sont remplacées par l’omerta une fois que les esprits ont eu le temps de s’acclimater à son image et à son style. Je n’en veux pour preuve que Paul Biya lui–même que ses propres pairs jugeaient mou, à la voix fluette et sans charisme sous Ahidjo. Il est fort probable qu’un sondage sur celui qui pouvait être Président au Cameroun après Ahidjo, n’aurait en aucun moment placé Paul Biya en tête de liste. Je pense même qu’il n’aurait pas été parmi les cinq noms cités par les populations dans un pays où il y avait de fortes personnalités comme feu Ayissi Nvodo, Samuel Eboua et bien d’autres, prêtes et capables de diriger le pays. Ceci explique peut-être le fait qu’Ahidjo ait choisi Biya pour lui succéder. Il avait peur de l’envergure des prétendants déclarés aux dents très longues et bien aiguisées. Une autre raison pour laquelle qui va remplacer Biya ? est une fausse question, est qu’il est difficilement possible de faire pire que lui. La fonction présidentielle camerounaise est banalisée et dévaluée par un Renouveau National qui renforce le sentiment que tout le monde est capable de faire mieux que la catastrophe que nous vivons depuis 1982.
Montrer le chemin du Cameroun de demain et mettre en scène le futur de la République sont les fonctions du politique . Dans ce sens, être des candidats crédibles à l’élection présidentielle camerounaise de 2011, exige l’envoi de certains signaux aux populations. Signalons-en quelques uns.
Un candidat crédible à la présidentielle
camerounaise de 2011 serait par exemple celui qui promet de modifier la
Constitution dans le sens de construire l’avenir du pays en
personnalisant moins ses institutions. Ceci revient :
- à exclure les catégories d’allochtones et d’allogènes de celle-ci ;
- à réintroduire et à graver dans du marbre la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux quinquennats au maximum ;
- à bannir l’immunité post-mandat du chef de l’Etat afin de responsabiliser l’exécutif dans un régime présidentiel ;
- à mettre en place un mécanisme de déclaration des biens des hauts fonctionnaires de l’Etat ;
- à construire un système de monitoring des administrations publiques afin d’améliorer leurs résultats ;
- à faire d’une élection présidentielle à deux tours un acquis constitutionnel ;
- à mettre en place une commission électorale véritablement indépendante en lieu et place d’Elecam ;
- et à spécialiser l’armée nationale dans la défense des citoyens et de
l’Etat au lieu d’en faire sa milice ou son dogue contre le peuple.
Aucun des candidats à la candidature ne veut établir ce type de contrat avec le peuple camerounais pour une raison toute simple : ils veulent tous profiter, au cas où ils arriveraient au pouvoir ou seraient appelés à la mangeoire nationale, des privilèges générés par l’absence de tels dispositifs. Ce qui montre que le véritable engagement des uns et des autres semble être cette mangeoire nationale qui devient un système monopartisan. Les privilèges qui en découlent entraînent un désordre public et républicain car ils autorisent à certains des choses interdites par la loi et excluent le bas de la société de la jouissance de ce qui revient à tout le monde suivant la même loi ».
A suivre…. Le livre peut être commandé via toutes les bonnes librairies librairie.
Ne pas oublier:
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1-Voir le rapport d’Amnesty International qui atteste de ces morts.
2-Elecam = Election Cameroun. Structure chargée de superviser les
élections au Cameroun en lieu et place d’une commission électorale
indépendante revendiquée par l’opposition politique.
3- A l’occasion de l’ouverture des inscriptions sur les listes
électorales le 15 Août 2010, le rassemblement de la jeunesse
Camerounaise a donné une conférence de presse le jeudi 12 Août 2010, à
15h au Santa Lucia Hôtel (Mobil Nkondengui) sur les conclusions de la
réunion du directorat central tenue le 3 août à Yaoundé, relative à
l’identification des différentes techniques de fraudes électorales.
4-FITOUSSI (J.P.), 2004, La démocratie et le marché, Grasset, Paris.
5-L’article 66 de la Constitution camerounaise actuelle parle d’une
disposition semblable. Elle reste cependant inefficace et non effective
car une technique de traçabilité des mouvements financiers fait défaut.
6-SIEYES (E-J.), 2010, Essais sur les privilèges, Edition Manucius.