CRISE MALIENNE: Bienvenu au pays de Kafka !
CRISE MALIENNE: Bienvenu au pays de Kafka !
La tension monte à Bamako, et c’est à se demander si la CEDEAO ne prêcherait pas dans le désert. En tout cas, hier jeudi, de jeunes Maliens irrités ont empêché l’atterrissage des avions de la délégation de chefs d’Etat ouest-africains qui venait faire entendre raison à la junte au pouvoir. C’est un précédent fâcheux, car on ignore s’ils reviendront de sitôt à Bamako. Le chef des mutins, le capitaine Sanogo, s’était par contre rendu à l’aéroport de Bamako. Pendant plusieurs heures, il s’est entretenu à huis clos avec Djibrill Bassolet et Mohamed Bazoum, chefs des diplomaties burkinabè et nigérienne, ainsi qu’avec Adama Bictogo, ministre ivoirien de l’Intégration régionale.
De bonne source, le chef de la junte malienne n’envisage pas de se retirer. Il aurait même demandé à la CEDEAO de l’aider à réaliser une réforme de l’armée malienne et expliqué que les conditions ne sont pas réunies pour tenir les élections en fin avril comme prévu. ATT, qui approuve la formule CEDEAO, recommande à ses compatriotes de soutenir l’Organisation dans ses efforts. Mais de plus en plus ouvertement, une partie des Maliens se range derrière les auteurs du coup d’Etat condamné par les instances africaines et la communauté internationale.
Pour confondre les anciens gouvernants, ils soutiennent que la démocratie rime avec contenu et qu’en la matière, les chefs d’Etat de la CEDEAO devraient davantage s’interroger plutôt que de brandir menaces et intimidations. La junte et ses partisans ayant été blessés dans leur amour-propre, il faut s’attendre à voir les enchères monter tant du côté de la junte que des rebelles. Dans les rapports tendus entre les chefs d’Etat ouest-africains et les mutins, il y aura forcément, au-delà des principes, des situations embarrassantes à examiner. En renversant le général-président Amadou Toumani Touré (ATT), à seulement quelques semaines de la fin de son second mandat, les jeunes soldats mutins semblent avoir ouvert une véritable boîte de Pandore.
Certaines découvertes pourraient à terme plonger dans l’embarras. Comme nous l’avions supposé au tout début des événements, les choses se passent comme si des groupes rivaux attendaient le moment propice pour s’emparer d’un pouvoir devenu moribond par la force des choses. ATT, le « soldat démocrate », le pacifiste, aurait-il été si excédé par la politique ou le comportement des acteurs politiques, au point de laisser éroder son pouvoir ? Plutôt que de le confondre, la nouvelle donne ne le conforterait-il pas ? Toujours est-il que retranché dans son for intérieur, il lui sera certainement difficile de se la couler douce, pendant que ceux qui s’apprêtaient à lui succéder, en sont à s’arracher les cheveux. Parce que si une junte a pris place dans le décor, elle n’a toujours pas encore su donner la réplique à la rébellion qui semble profiter de la situation pour gagner du terrain. L’inquiétude grandit donc à Bamako, d’autant que nul ne sait encore ce qu’il adviendra du dossier de la rébellion qui s’active, avec l’assaut lancé hier contre Kidal. La CEDEAO qui parle de retour à une vie constitutionnelle semble l’envisager à l’exclusion d’un retour éventuel d’ATT.
Les chefs d’Etat ouest-africains, par leur sortie, avaient-ils pris la juste mesure des choses ? La junte a aujourd’hui bon dos, elle qui se fait jour après jour un petit capital de sympathie. La part de soutien se renforcera et s’étendra si la CEDEAO et l’UA mettent du temps à matérialiser leurs projets. Est-il à la fois possible de « chasser » la junte du pouvoir à Bamako et de bouter hors des frontières nationales des rebelles qui ont violé l’intégrité du territoire ? Les plus à plaindre aujourd’hui, ce sont bien les chefs d’Etat membres de la CEDEAO que les « nouveaux occupants illégaux » d’un Mali à la dérive. Pourquoi avoir tenu à aller à Bamako comme en territoire conquis, après avoir proféré des menaces à l’endroit de la junte ? Une mission du seul médiateur Blaise Compaoré n’aurait-elle pas d’abord permis de se faire une idée de la situation avant toute autre initiative ? Il faudra aux dirigeants ouest- africains savoir prendre leur mal en patience et ne pas céder à la tentation de celui qui se sent le plus fort, ou du côté de la bonne cause.
D’ailleurs, en cas d’intervention, qui va financer ? L’UA ? L’Occident ? Qui acceptera d’y envoyer ses troupes ? Dans quels délais ? Contre les rebelles ou la junte ? La sous-région sort à peine des tourments de la guerre ivoiro-ivoirienne. L’on panse encore les blessures issues des autres conflits fratricides, notamment au Liberia, en Sierra Léone et plus récemment en Guinée Bissau. Il faut éviter, à tout prix, de retomber dans des travers économiques sans fin. Surtout que les pays sahéliens font face à un déficit céréalier par suite d’une pluviométrie capricieuse. Or, le Mali qui en fait partie n’est pas à l’abri d’une économie désarticulée. La crise alimentaire s’installe progressivement, à la faveur de l’insurrection qui se développe. Les populations en fuite se dispersent dans les pays voisins, occasionnant ainsi de nouvelles difficultés. A quand le bout du tunnel ? Après les terribles vents de sable, les peuples du Sahel vont devoir affronter les pluies de la prochaine saison. Sans conteste, le calendrier du processus se trouve aujourd’hui plombé.
Notes 'ajouts) de la rédaction de camer.be
L'Afrique de l'Ouest a lancé jeudi un ultimatum de 72 heures à la junte au pouvoir au Mali depuis le 22 mars, brandissant la menace d'un embargo diplomatique et financier faute d'un retour à l'ordre constitutionnel après la chute du président Amadou Toumani Touré.