Crise en Tunisie: comment en est-on arrivé là ?

YAOUNDE - 16 JAN. 2011
© WAFFO MONGO | Cameroon Tribune

Tout est parti de l’immolation par le feu d'un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes harcelé par la municipalité.

L’histoire retiendra son nom comme celui par qui est parti le mouvement vaste insurrectionnel, désormais baptisé « La Révolution du Jasmin » qui a aboutit à la chute du président Ben Ali au pouvoir en Tunisie depuis 23 ans. Il s’appelle Mohamed Bouazizi est un vendeur de fruits et légumes ambulant habitant à Sidi Bouzid, ville moyenne de quarante mille habitants située dans le centre ouest du pays. Fils d'ouvrier agricole, il a arrêté ses études à la mort de son père pour faire vivre sa famille, son activité de vendeur constituant leur seul revenu. Ne possédant pas d'autorisation officielle, il se fait confisquer sa marchandise à plusieurs reprises par les employés municipaux. Essayant de plaider sa cause et d'obtenir une autorisation et la restitution de son stock auprès de la municipalité et du gouvernorat, il s'y fait insulter et chasser. Le 17 décembre 2010, à l'âge de 26 ans, il s'asperge d'essence et s'immole par le feu devant le siège du gouvernorat. Le 4 janvier 2011, il meurt au centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous.

Dès ce jour fatidique, des dizaines de commerçants rejoints par des jeunes et des proches de Bouazizi se réunissent pour protester. Durant le week-end, les rassemblements s'amplifient ; la police tente de les disperser mais la situation dégénère : plusieurs agents et manifestants sont blessés, des interpellations ont aussi lieu. Le 22 décembre, un autre jeune, Houcine Neji, âgé de 24 ans, escalade un poteau électrique de la ville et crie qu'il ne veut « plus de misère, plus de chômage ». Alors que plusieurs personnes le supplient de redescendre, il meurt électrocuté en touchant les câbles de trente mille volts. Aussitôt, comme une traînée de poudre tout le pays s’embrase, la révolte reprend plus violemment et s'étend aux villes voisines de Meknassy et Menzel Bouzaiane. Dans cette dernière, les manifestants incendient le siège de la délégation et assiègent le poste de la garde nationale. Le 24 décembre, Mohamed Ammari est tué par balle après avoir été touché à la poitrine par la police à Menzel Bouzaiane. D'autres manifestants sont également blessés. Un quasi « couvre-feu » est ensuite imposé sur la ville par la police. À l'appel de militants syndicaux, la révolte atteint la capitale Tunis le 27 décembre, avec environ mille citoyens exprimant leur solidarité avec Bouazizi et les manifestants de Sidi Bouzid. Le lendemain, l'Union générale tunisienne du travail tente d'organiser un sit-in à Gafsa mais la police l'en empêche. Dans le même temps, environ trois cents avocats se réunissent devant le Premier ministère à Tunis.

Le 28 décembre 2010, le président Ben Ali se rend au chevet de Mohamed Bouazizi. Le même jour, il critique dans un discours diffusé en direct sur la chaîne nationale Tunisie 7 les manifestants qui ne seraient qu'« une minorité d'extrémistes et d'agitateurs » et annonce que des sanctions sévères seront prises. Il accuse également « certaines chaînes de télévision étrangères qui diffusent des allégations mensongères sans vérification et se fondent sur la dramatisation, la fomentation et la diffamation médiatique hostile à la Tunisie ». Mais ses remarques sont ignorées et les manifestations se poursuivent. Le 29 décembre, il remanie le gouvernement en limogeant le ministre de la Communication, et annonce aussi des changements à la tête des ministères du Commerce, des Affaires religieuses et de la Jeunesse. Le lendemain, il annonce la mutation des gouverneurs de Sidi Bouzid. Le 30 décembre, la police disperse dans le calme une manifestation à Monastir, tout en utilisant la force pour perturber d'autres manifestations à Sbikha et Chebba. Les mouvements sociaux se poursuivent le 31 décembre alors que les avocats à Tunis continuent de se mobiliser à l'appel de l'Ordre national des avocats de Tunisie. Le 3 janvier, des manifestations contre le chômage et la hausse du coût de la vie dégénèrent à Thala : deux cent cinquante personnes, pour la plupart des étudiants, défilent en soutien aux manifestants de Sidi Bouzid mais sont dispersées par la police. En réponse, elles auraient mis le feu à des pneus et attaqué le bureau du Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti au pouvoir. Le 8 janvier, un autre commerçant âgé de 50 ans s'immole à son tour à Sidi Bouzid. Les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre sont de plus en plus meurtriers : les 8 et 9 janvier, quatorze civils sont tués par balle à Thala, Kasserine et Regueb selon le gouvernement, vingt selon l'opposition. Le 10 janvier, un jeune diplômé de Sidi Bouzid met fin à ses jours, portant à cinq le nombre de suicides depuis celui de Mohamed Bouazizi. Les affrontements se poursuivent dans le triangle Thala-Kasserine-Regueb : des marches funèbres à la mémoire des morts des jours précédents dégénèrent en nouveaux affrontements avec la police ; un nouveau bilan établi par un responsable syndical fait état d'au moins cinquante morts. À Tunis, les étudiants manifestent et la police anti-émeute assiège l'Université El Manar dans laquelle des centaines d'étudiants se sont retranchés. À Ettadhamen-Mnihla, dans la banlieue de Tunis, des violents heurts éclatent entre les forces de l'ordre et les manifestants qui saccagent un magasin et incendient une banque. Le président Ben Ali reprend la parole le 10 janvier pour dénoncer les « voyous cagoulés aux actes terroristes impardonnables [...] à la solde de l'étranger, qui ont vendu leur âme à l'extrémisme et au terrorisme ». Il annonce la création de trois cent mille emplois en deux ans et la fermeture temporaire de tous les établissements scolaires et universitaires. Ces annonces ne calmant pas le mouvement, Zine el-Abidine Ben Ali concède, le 13 janvier au soir qu'il ne se représentera pas en 2014 au poste qu'il occupe ; il donne aussi l'ordre à la police de ne plus tirer sur les manifestants, promet la liberté pour la presse et Internet et annonce une baisse des prix de certains produits alimentaires de base.][]

Le lendemain, l’armée est déployée à Tunis. De plus en plus d'opposants et de médias se mettent à parler de « révolution de jasmin ». Vingt ans auparavant, le président Ben Ali avait déjà nommé sa prise de pouvoir la « révolution au jasmin ». La fleur de jasmin est en effet le symbole de la Tunisie. Le 14 janvier à 17 heures, le président Ben Ali décrète l'état d'urgence dans le pays. Il annonce le limogeage du gouvernement et des élections législatives anticipées, et deux heures plus tard, Zine el Abidine Ben Ali quitte le pouvoir et la Tunisie, et s’enfuit vers l’Arabie Saoudite qui lui offre l’asile politique.




17/01/2011
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