Crédit Foncier: Le marché à problèmes de près de 4 milliards CFA
Le Commission de passation des marchés a octroyé un marché à Bfi international dans des conditions que contestent des concurrents qui ont saisi le Pm et l'Armp.
Dans le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune du 17 février dernier, en page 23, un communiqué signé du directeur général du Crédit foncier du Cameroun (Cfc), Camille Ekindi: "La société Bfi International, rue Lac Ghar El Melh-Les Bergers du lac- 1053 Tunis a été retenue pour l'exécution des prestations objet de l'Appel d'Offres susvisé. Montant de l'offre: FCfa 3.699.037.288 Ttc. Délai de livraison: dix huit (18) mois pour compter de la date de notification"… L'appel d'offres dont il est question était "relatif à la mise à niveau du système d'information du Crédit foncier du Cameroun", lancé le 30 octobre 2009 à l'attention des "consultants de réputation établie dans le domaine d'édition et d'intégration d'applications bancaires", avec "pour finalité la mise à niveau du système d'information du Crédit foncier du Cameroun par la fourniture et la mise en place d'un progiciel bancaire couvrant les besoins fonctionnels, techniques et réglementaires de l'entreprise".Quatre consultants ont été "short listés"; Il s'agit de Bfi International, finalement retenu, mais aussi Delta Informatique, basé à Tours en France, Interface Sa dont le siège est à Neuilly en France, et Catalyst qui venait de Dubai, aux Emirats arabes unis.
Selon le rapport officiel, "en conclusion et l'issue de l'analyse des offres techniques, les résultats ci-dessous ont été obtenus: Bfi International: 89/100, Interface Sa: 63,5/100, Catalyst Business Partners: 56,5/100 et enfin Delta Informatique: 49/100". Aussitôt les résultats publiés par le quotidien gouvernemental, Delta Informatique aurait, le premier, selon nos sources, adressé des recours aux différentes autorités compétentes en matière de marchés publics au Cameroun. Il s'agit d'abord des services du Premier ministre, les seuls habilités à annuler un marché public.
Les responsables de Delta Informatique font ainsi part au chef du gouvernement "des irrégularités qui émaillent le processus de sélection dans l'appel d'offres", et indiquent disposer "d'éléments tangibles mettant en cause la partialité des personnes qui ont préparé le cahier de charges. En effet, les clauses indiquent clairement que les termes de références ont été dictées par l'éditeur".
En indiquant leurs propres qualités et leur expertise en la matière qui ferait référence, les responsables de delta Informatique indiquent enfin "qu'un tel projet ne devrait pas dépasser 900.000 Ffca. Mais le marché a été attribué pour un montant excessivement élevé de 3.699.037.288 Fcfa".
La démarche de protestation de Delta Informatique est également allée auprès de l'Agence de régulation des marchés publics (Armp): "Nous disposons d'éléments tangibles mettant en cause la partialité des dirigeants du Cfc qui ont intégralement calqué les termes de référence et beaucoup d'autres éléments de cet Appel d'offres sur une proposition initiale entretenue de longue date entre le Cfc et Bfi avant même l'examen des offres des autres parties." Enfin, dans le recours adressé directement au directeur général du Cfc, Delta Informatique lui demande, "en tant que Maître d'ouvrage du Cfc, le rapport de l'observateur indépendant et le procès verbal de la séance d'attribution du marché auquel est annexé le rapport d'analyse des offres." Passation de marchés
Selon nos informations, Camille Ekindi se serait exécuté et aurait mis à disposition les documents demandés. Selon ces documents dont nous avons pu avoir copie, il ressort que la commission de passation de marchés du Cfc que préside Josué Fomekong (avec pour rapporteur Bang Nkan Claude et deux autres membres) a régulièrement tenu ses travaux le 31 décembre 2009, les 04, 05, 06 et 07 janvier 2010, que la séance d'attribution du marché s'estdéroulée vendredi le 15 janvier 2010, après une autre réunion tenue la veille et qui portait sur l'analyse des offres financières.
Si le rapport indique, au-delà de nombreuses subtilités techniques après analyse des offres techniques et méthodologie d'évaluation: "En définitive, il ressort de ces observations que seuls les soumissionnaires Bfi International et Delta Informatique disposent des atouts techniques pour une meilleure réalisation des objectifs de ce projet, car ils éditent et déploient leurs solutions"; c'est aussi pour préciser, plus loin, d'une part que "le soumissionnaire Bfi International a fourni les justificatives des projets similaires, tel que recommandé par le Dao (…) et a présenté une liste exhaustive du personnel clé accompagné des Cv dans lesquels ont été retrouvés, pour chaque personnel, la qualification requise (…)"; et d'autre part, pour delta Informatique, "la sous commission d'analyse des offres a noté une absence totale des éléments justificatifs des références des projets proposés", et que "le plan de travail et la méthodologie proposés ne sont pas en adéquation avec les phases d'exécution du projet de mise à niveau du système d'information". Les résultats tels que présentés plus haut ont été par la suite certifiés par l'Observateur indépendant, le cabinet Cerbat dirigé par Guy Sime qui estime qu'il n'y a pas eu d'irrégularité dans l'attribution du marché public. Un avis que ne partage pas, manifestement, le cabinet delta Informatique.
Un marché et des métastases
Si les contestations des résultats d'avis d'appel d'offres, reconnues et encadrées par la réglementation en vigueur sont monnaie courante, celles concernant ce marché particulier ont pris une autre tournure. Car à peine les résultats publiés par Cameroon Tribune, les entreprises recalées ont crié au scandale et à la machination. En particulier Delta Informatique qui a donc saisi les principales autorités en charge de revoir et de porter un arbitrage sur les résultats déjà publiés. Camille Ekindi, directeur général du Crédit foncier du Cameroun et, à ce titre, maître d'ouvrage, que nous avons eu au téléphone, ne nie pas avoir été saisi par les responsables de Delta Informatique, aux fins de présenter le procès verbal de la séance d'attribution du marché auquel est annexé le rapport d'analyse des offres.
"J'ai même trouvé qu'ils connaissent bien les procédure, puisque le recours a été adressé dans les cinq jours. Mais je vous dis ce que je leur ai dit : je n'ai rien à cacher sur une procédure qui a été suivie selon la réglementation. Je ne suis pas le président de la commission de passation des marchés, mais j'ai reçu le rapport que j'ai aussitôt envoyé à ceux qui le demandaient". Il précisera plus loin, comme dans un agacement: "Je mène une politique pour l'entreprise et j'attends des résultats. Sur le projet en cours, un consultant a été retenu. Mais ce n'est pas mon consultant et si, demain, on décidait d'annuler les résultats pour recommencer la procédure, cela ne me dira rien, parce qu'il ne s'agit pas d'intérêts personnels". C'est pourtant vers lui que semblent peser les soupçons de Delta Informatique lorsque, dans leur recours, les responsables de ce cabinet parlent "d'éléments tangibles mettant en cause la partialité des dirigeants du Cfc qui ont intégralement calqué les termes de référence et beaucoup d'autres éléments de cet Appel d'offres sur une proposition initiale entretenue de longue date entre le Cfc et Bfi avant même l'examen des offres des autres parties".
Ils ne comprennent pas en effet que, malgré leurs "références en ce domaine de progiciels bancaires", malgré une "entreprise qui reste une solution de référence avec plus de 90 banques opérationnelles en Afrique noire et 23 au Maghreb, avec notamment sur le marché camerounais des clients comme la Bicec, Sgbc, Crédit Agricole, Afriland First Bank, Cbc, Amity", ils n'aient pas été retenus pour ce marché. L'autre raison de leur étonnement est d'ordre financier. L'offre financière de Delta Informatique était de 918 millions hors taxes, malgré leur expertise. Le consultant s'étonne que le Cfc ait choisi l'offre du concurrent qui est de plus de trois milliards de Fcfa, c'est-à-dire 3,38 fois plus onéreuse que la leur.
Ayant par la suite refait les calculs, Delta Informatique indique que, contrairement au montant publié dans Cameroon Tribune, le montant définitif de ce marché est bien de 4.353 763 042 qui, ajouté au contrat de maintenance de cinq ans qui vient d'être bouclé par le Cfc, et aux audits réalisés dans le cadre de l'assistance et de l'acquisition du matériel et d'une interconnexion, porte le coût global de la mise à niveau du système d'information du Cfc à plus de 7 milliards Fcfa. Si les services du Premier ministre n'ont donné aucune indication sur ce sujet brûlant, on confirme de sources proches de la direction générale de l'Armp que le dossier a bel et bien été reçu. "Mais le Dg, qui vient de boucler une tournée d'installation de nouveaux responsables à travers le pays, est parti aussitôt en France pour une mission. Il vous donnera lui-même les détails à son retour", nous a indiqué un cadre de l'Armp. Mais Bfi International, indifférent à tout ce brouhaha, a déjà commencé à implémenter son marché…
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