Marguerite Welisane Nyambe. Entretien avec l’hôtesse rescapée du crash de la Camair en 1995.
Vous êtes l’un des survivants du crash
d’un avion de la Cameroon Airlines à Youpwe le 3 décembre 1995.
Pouvez-vous nous dire comment s’est déroulé le vol de Cotonou à Douala,
jusqu’au moment fatidique ?
Bien sûr, à 99%, je me rappelle de ce qui s’est passé. Je m’en
souviens comme si c’était hier. Du décollage de l’avion jusqu’à la phase
d’approche, c'est-à-dire avant l’atterrissage, c’était un vol qui
n’avait pas de problème en tant que tel. C’est à l’atterrissage que le
problème s’est posé. Un réacteur a pris feu. En tant qu’hôtesse, j’étais
assise de telle sorte que je pouvais voir les passagers, le réacteur et
l’équipage devant. J’ai vu le réacteur cracher du feu.
Vous êtes alors peut-être prise de panique. Quelle est votre réaction à cet instant ?
Je m’apprête. Psychologiquement, je sais déjà que je vais
ouvrir la porte en ermergency pour évacuer les passagers le plus
rapidement possible. Et surtout pas du côté gauche, parce que c’est le
côté où il y avait le feu. Donc, je dois ouvrir du côté opposé. J’étais
prête pour l’évacuation.
Oui, vous êtes prête. Que faites-vous alors ?
La suite, c’est qu’on est reparti. On a atterri et on a
redécollé. En fait, on a atterri en partie et on a redécollé. Quand un
avion atterrit, les roues arrière se posent, puis, la roue avant. Les
roues arrière de l’avion se sont posées. Il y a eu feu dans le réacteur.
Au lieu de poser la roue avant, le pilote est remonté dans les airs.
Comment les passagers vivent-ils cette remontée-là?
Dans le calme. Le calme total jusqu’à l’impact. Un calme qui se
voit rarement. J’ai tellement voyagé. J’ai fait des centaines de vols
pendant une quinzaine d’années. Déjà, quand il y a une petite turbulence
entre Douala et Yaoundé, tu entends des « ooooh! », « aaaaah ! », «
Madame ! ». On appelle l’hôtesse à gauche et à droite. « Que se passe
t-il ? ».
Est-ce qu’il y a eu une conversation entre vous et le commandant de bord ?
Je ne sais pas ce qui s’est passé au poste. Mais mon chef de
cabine était assis. Moi, j’étais assise et je la regardais. C’était une
femme. Je lui faisais des signes pour lui dire que le réacteur était en
feu. Je faisais juste des signes. Je ne pouvais pas crier, sinon
j’allais créer la panique. Elle ne comprenait pas bien mes signes.
Après l’impact, est-ce que vous avez pu voir la réaction des passagers ?
Je ne savais pas où j’étais. Nous étions dans l’obscurité avec
la marée. Je me suis dit que nous étions dans une forêt. Il y avait
comme du sable mouvant. C’est à l’occasion d’une émission de la Cameroon
Radio Television (Crtv) intitulée « Que sont-ils devenus ? » que j’ai
découvert le site.
Est-ce que vous avez eu le temps de voir comment les passagers réagissaient ?
Ils n’ont pas réagi jusqu’à l’impact. Il y en avait qui étaient
encore vivants à l’impact. Ils sont morts de blessures. Moi, j’ai été
repêchée dans la nuit par les pêcheurs de Youpwé que je salue toujours à
chaque fois que j’en ai l’occasion. Je ne sais pas comment je me suis
retrouvée hors de la carlingue. Les secours sont arrivés le lendemain.
Entre temps dans la nuit, beaucoup sont morts brûlés vifs dans la
carlingue.
Après le crash, vous vous retrouvez où ?
J’ai été hospitalisée. On m’a évacuée. Des collègues ont fait
pression. Ils ont commencé une grève. C’est pour cela qu’on a été
évacué. Aux frais de qui ? Ne me posez pas la question. Je crois que
c’est aux frais d’une assurance, la Ccar qui s’est portée garante de mon
évacuation. Comment s’est passé le paiement ? Je ne sais pas.
Vous êtes évacuée en France et vous y restez pendant combien de temps ?
Déjà je reviens, je repars parce que j’étais en séances
intensives de rééducation. Je venais voir mes enfants et je repartais.
Je l’ai fait pendant près de deux ans jusqu’en 1998. Après, les séances
devenaient plus espacées et je pouvais passer trois mois. Puis j’ai
repris le travail, mais j’étais hôtesse au sol.
Vous ne parlez toujours pas des indemnisations…
Je ne peux pas parler d’indemnisation puisque je n’en ai jamais reçu jusqu’à ce moment où je vous parle.
Est-ce que vous en avez demandé ?
J’ai beaucoup écrit. Mes collègues se moquaient même de moi et
plaisantaient en me disant « tu n’es plus hôtesse de l’air. Tu ne sers
plus les boissons maintenant ce sont les papiers. Tu es devenue
journaliste ? ». J’ai écrit. Je me suis plaint au niveau de la compagnie
par rapport à mon salaire. Parce que, à leur niveau, ils m’étaient
redevables de mon salaire de navigant que je n’ai jamais eu jusqu’à la
fermeture de la Camair.
Vous avez reçu une réponse au moins ?
J’ai reçu une réponse à l’un de mes courriers par rapport à mon
salaire. Ils m’ont répondu que j’étais bien payée. J’ai des acquis de
salaire qui m’ont été retirés. Je ne sais pas comment ils ont su cela.
Je ne sais pas où ils ont eu mes éléments de salaire. Mais toujours
est-il qu’ils m’ont dit que j’étais bien payée.
Mais madame, vous aviez tout de même une assurance, non?
Je suis membre de l’équipage. Mon assurance est payée par
moi-même. Tout membre d’équipage est assuré, mais son assurance est
payée par lui-même. Ca n’a rien à voir avec l’indemnisation ou quoi que
ce soit. C’est une assurance individuelle comme un chanteur prendrait
une assurance pour sa voix. Et l’assurance n’est valable que si on
arrive à terme. Or avec cet accident, mon assurance arrivait à terme à
55 ans. Ce que je n’ai pas atteint. Et la Camair ne m’a jamais
remboursée.
Vous avez été citée par l’ancien ministre
Marafa dans l’une de ses lettres… Comment est-ce que cette nouvelle vous
est-elle parvenue ?
Quand j’ai appris cette nouvelle, j’étais en France. Mes amis
m’ont appelée du Cameroun et m’ont dit qu’on parle de moi dans les
journaux. J’étais étonnée et écœurée parce que chez nous, on dit qu’on
ne touche pas l’argent du sang. Je ne savais pas que des gens pouvaient
encore faire ça. Je suis revenue au Cameroun.
Comment avez-vous rencontré le ministre Marafa ?
Marafa ne m’attendait pas du tout. C’est après avoir essuyé
beaucoup de refus dans d’autres ministères. Je suis Camerounaise comme
vous. J’ai des amis à Yaoundé. Ils m’ont dit, va voir Marafa parce qu’il
est le secrétaire général de la Présidence, quelque chose comme ça.
Comme tu veux envoyer un courrier au chef de l’Etat, va le voir. Il
reçoit facilement et il est abordable. Je ne connaissais même pas son
bureau. On m’a dit, va à son domicile. Je ne connaissais pas où était
situé son domicile. On m’a dit attend, je vais t’envoyer quelqu’un qui
va te montrer son domicile. C’est comme ça que quelqu’un est venu me
chercher à l’arrêt du bus et m’a accompagné au domicile de Marafa. Il
m’a laissé à l’entrée. Il n’est pas entré lui-même. Je suis allée. J’ai
pris mon courage. Je me suis dit qu’au pire des cas, on peut me dire «
non vous n’entrez pas », parce que je sais que c’est une maison
sécurisée. Il y a des policiers, des gendarmes… Je suis entrée comme si
j’allais chez un parent. On m’a demandé qui j’étais, j’ai donné ma carte
nationale d’identité à l’entrée. Je me suis présentée. Il m’a reçue. Je
lui ai dit qui j’étais. Que j’ai du courrier et que je veux le faire
parvenir au président de la République. Je l’ai à peine vu quelques
minutes et je suis restée toute la journée chez lui à reprendre les
courriers, à écrire, puisque je ne savais pas où aller. Je ne connais
presque personne à Yaoundé. Quand j’ai fini, j’ai laissé le courrier.
J’ai repris mon taxi, je suis retournée sur Douala.
Est-ce que Marafa vous a revu après cette première rencontre ?
Il va me voir qu’il est mon ami ? Il a dû faire ce qu’il
fallait parce que c’est suite à ce courrier que j’ai reçu une réponse du
ministère. On m’a répondu, mais je doute que le courrier soit arrivé en
haut lieu. Peut-être il y a d’autres personnes qui doivent voir le
courrier avant qu’il n’arrive chez Son excellence Paul Biya. Mais j’ai
eu une réponse.
Vous attendez d’être indemnisée. Mais par qui ?
La responsabilité est celle de qui ? Je ne suis pas là pour
juger parce que je ne sais pas quelles sont les implications des uns et
des autres. Je ne fais pas de politique. Mais tout ce que je dis, c’est
que depuis longtemps, on aurait dû indemniser les victimes. La personne
qui s’est assise sur l’indemnisation, je pense que cette personne-là
qui a agi ainsi ne doit pas avoir la conscience tranquille.
Est-ce qu’il vous est arrivé qu’on vous dise un jour que voici la personne qui empêche votre indemnisation ?
A Camair, il se chuchotait beaucoup de choses. Ce n’était pas
seulement les choses qui concernaient tel ou tel ministre. Mais qui
concernaient même le nom d’un agent qui est revenu plusieurs fois. Nous
on parle. Il y en avait peut-être qui ont vu ça quelque part. Mais nous,
n’étant pas de ceux-là, ne pouvions pas nous mettre à dire que x a reçu
de l’argent. On savait que c’était vrai, mais on n’avait pas de preuve.
Avez-vous des nouvelles des autres victimes ?
Tant que la Camair était encore fonctionnelle, je voyais un
autre rescapé qui a eu à travailler comme moi à la Camair. Je voyais
même son épouse qui travaillait à la Sûreté. Elle me soutenait quand je
voulais faire des papiers officiels. Mais je l’ai perdue de vue depuis.
Elle tirait le diable par la queue. D’après ce que j’avais entendu, ses enfants et un oncle se sont battus pour pouvoir avoir quelque indemnisation. Mais ils ont baissé les bras.
Avec les révélations de Marafa, avez-vous entrepris une action en justice ?
Je ne crois pas trop en la justice. Je ne sais pas s’il faut y
croire. Je ne fais pas confiance. J’aurai pu avant. J’ai commencé.
Cependant, je pense que si monsieur Paul Biya est juste, c’est à lui de
prendre cette affaire et de décider ce qui est juste. J’irai en justice
contre le gouvernement ? Moi, une petite chose qu’on n’a même pas
écoutée quand je parlais ? Non. Peut-être d’autres personnes vont
prendre ça en main. Je pense qu’il vaudrait mieux que le président
lui-même fasse le discernement dans cette affaire. Parce que je pense
qu’il est mieux placé pour connaitre ce qui est vrai et ce qui n’est
pas vrai entre ce que les uns et autres disent, jusqu’à adopter à
l’unanimité que nous avons reçu de l’argent.
Etes-vous devenue plus croyante après ce crash ?
Il y a des choses dans la vie qui vous arrivent, qui arrivent
autour de vous, à des personnes qui vous sont chères sans que vous
n’ayez pour autant une certaine perception parce que vous priez par
automatisme. Est-ce que je crois un peu plus aujourd’hui ? Je crois. Je
crois que je crois. Je suis convaincue chaque jour qu’il y a quelqu’un
là-haut. Est-ce que vous auriez pu imaginer que 16 ans et demi après cet
accident, quelqu’un se lèverait pour accepter ce que je crie depuis des
années ? Aujourd’hui, les esprits s’échauffent comme si c’était hier.
Mais pour nous, c’était hier.