Covidgate: comment les milliards du Covid-19 ont été dilapidés
A cause d’information comptable et statistique à la limite inexistante à gravée par une gestion qui privilégie l’opacité, la Chambre des Comptes a dû se livrer à un travail de fourmis pour reconstituer les comptes 2020 du Fonds spécial dédié à la lutte contre le coronavirus. Ce qui a permis de dévoiler les stratagèmes mis en place par les gestionnaires véreux.
La Chambre des Comptes a publié le 28 juin 2021 le premier rapport d’audit du Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales. Cependant, l’on n’a pas encore le fin mot de l’histoire sur la gestion des fonds affectés à la lutte contre le coronavirus au Cameroun. La faute à une information comptable et statistique à la limite inexistante. Même si “la gestion du Fonds spécial a privilégié l’opacité”, les enquêteurs de la Juridiction financière ont pu lever un pan de voile sur ce qui prend peu à peu l’allure d’un scandale financier.
Déjà l’intention des gestionnaires semble claire à partir du choix de se passer du contrôleur financier, qui ne permet pas le suivi des engagements; la mise à l’écart des comptables matière, susceptible de faciliter les détournements, puisque les biens achetés ne sont pas identifiés comptablement comme appartenant au patrimoine de l’Etat ou à ses stocks; la mise à l’écart des ingénieurs du marché, chargé du suivi des travaux, qui permettent d’assurer la conformité aux spécifications techniques du marché. Surfacturation, double paiement, absence de pièces justificatives, etc. on sait désormais comment les ressources de la riposte de la Covid-19 ont été détournées.
Ainsi, la Juridiction financière a établi que l’entreprise Medeline Medical Cameroon S.A a bénéficié à travers quatre marchés passés entre juin et décembre 2020 d’une surfacturation de 15,3 milliards de FCFA dans le cadre des marchés d’importation des tests de dépistage. Pour des raisons que la procédure judiciaire (recommandée) va éclaircir, l’entreprise a réussi à se faire payer par le ministère de la Santé 17 500 FCFA/test, au lieu de 6518 FCFA. Eu égard aux montants en jeu, “il est peu vraisemblable que le ministre de la Santé publique ait pu être tenu dans l’ignorance et à l’écart des manœuvres tendant à facturer les tests de dépistage à un prix déconnecté de la réalité du marché”, conclut la Chambre.
Coutumière du fait, Medeline Medical Cameroon S.A et Yao Pharma Sarl cette fois, ont décroché la commande de 16 ambulances en août 2020. La Chambre des Comptes observe que le prix facturé au Minsanté est de 55 millions de FCFA par ambulance, soit plus du double du prix en vigueur chez un autre concessionnaire à Yaoundé.
Place à la justice
Pour sa part, le ministère de l’Administration territoriale a réussi à “vendre” au Minsanté 1500 tests d’origine inconnue pour 288 millions de FCFA. Mis au parfum de cette transaction en totale violation de la réglementation, le Premier ministre a instruit au Minat de restituer les fonds reçus. L’argent sera reversé dans le compte BGFI Bank du Minsanté. Mais au 31 décembre 2020, cette somme n’était pas prise en compte dans Livre journal banque du Minsante.
De son côté, le président du groupe de travail mis en place par le Minsante pour évaluer les offres des soumissionnaires a apparemment “oublié” que son frère cadet était le gérant de ETS Aboa Perspective, ABS Motors, Phase Engeneering Cameroun S.A, curieusement attributaires de cinq marchés d’une valeur totale de 796 834539 FCFA. En tout cas, le conflit d’intérêt est manifeste. La justice va élucider les conditions d’attribution de ces marchés.
Grâce sans doute à leur bonne étoile, certains prestataires n’ont pas attendu de livrer leur commande pour se faire payer. Ainsi, les commissions « habilitées » ont-elles procédé aux réceptions des marchés spéciaux pour la réhabilitation du pavillon de neurologie de l’hôpital central de Yaoundé (lot 2) d’un montant TTC de 214 999 000 FCFA; la réhabilitation/extension du pavillon Lagarde de l’hôpital central de Yaoundé (lot 1) d’un montant TTC de 823 999 500 FCFA et la construction d’un poste de santé aux frontières à l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen pour un montant TTC de 216 276 272 FCFA. Des travaux qui étaient encore en cours lors de la visite de contrôle de la Chambre, fin décembre 2020.
Enfin, quelques prestataires ont bénéficié d’un double paiement de leurs marchés. Dans ce registre, on compte Poste de santé aux frontières à l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen, le bâtiment d’isolement hospitalier à l’hôpital régional de Ngaoundéré, etc.