Côte d’Ivoire : La course effrénée vers la guerre
L’«Eléphant d’Afrique de l’ouest» sombre de nouveau dans le chaos, au lendemain d’une élection présidentielle rocambolesque où aucun des deux candidats au deuxième tour ne semble prêt à accepter sa défaite. Malgré les pressions internationales et les médiations qui se font jour ici et là, il sera très difficile de faire entendre raison aux forces en présence.
Le président sortant a été intronisé dans la précipitation par la Cour constitutionnelle, en même temps que l’ancien Premier ministre indiquait avoir été investi via une correspondance à cette institution suprême. A la levée de boucliers du Rhdp et de la «communauté internationale», la Majorité présidentielle oppose la légitimité institutionnelle. Chacun a donc gagné et personne n’a perdu. Tout semble avoir été mis en place pour cette déflagration, qui semble désormais inéluctable. Sauf miracle.
Un pays, deux prestations de serment pour autant de présidents. Et le
même jour. La Côte d’Ivoire ne pouvait rêver de pire scénario de sortie
de crise, au lendemain du deuxième tour de la course à la magistrature
suprême. Samedi, dans la foulée de la proclamation des résultats par le
Conseil constitutionnel, qui attribue 51,45% des suffrages à Laurent
Gbagbo contre 48,55% pour Alassane Ouattara, le président sortant, à qui
la Commission électorale indépendante (Cei) avait déjà donné perdant
avec 54,1% des voix contre 45,9% à son adversaire, s’est empressé de
prêter serment au palais présidentiel devant un parterre d’environ 200
fidèles.
Cette cérémonie, aux allures de mise en scène précipitée,
cachait mal l’ambiance critique qui s’est emparée du pays depuis
quelques semaines.
Alassane Dramane Ouattara, fort du soutien de la communauté internationale, en avait fait de même quelques heures plus tôt «en qualité de président», à travers une lettre adressée au Conseil constitutionnel dont il récuse pourtant le verdict. Et c’est à lui aussi que le Premier ministre de Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, a remis sa démission et celle de son gouvernement, affirmant ne reconnaître que les résultats de la Cei. Le non moins ancien leader des Forces nouvelles (FN), la rébellion du nord, a aussitôt été reconduit dans ses fonctions. Collaborateur du président à la suite des accords conclus le 4 mars 2007 à Ouagadougou, M. Soro a appris à connaître le sérail et pourrait se révéler comme une arme redoutable contre son ancien allié de circonstance.
Le président «réélu», comme un caméléon, dispose pour sa part d’un
noyau dur dont les stratégies de conservation du pouvoir relèvent du
secret militaire. Dans son camp, des sources introduites justifient
aussi son intransigeance par la peur d’un procès devant la Cour pénale
internationale (Cpi). Laurent Gbagbo serait ainsi convaincu qu’en cas de
retrait des affaires, son successeur, avec l’appui discret de la
France, le livrerai à cette Cour pour de supposées atteintes au droits
humains, avec en premier plan l’assassinat du général Robert Guéi dont
on lui attribue la responsabilité.
Laurent Gbagbo dénie à la Cei le
droit de proclamer les résultats d’une élection présidentielle après le
délai de 72 heures que ses partisans ont pourtant contribué à bloquer.
Alassane Ouattara qualifie de «coup de force» l’acte de légitimation de
la Cour constitutionnelle, après de multiples entraves des partisans de
son adversaire dans la compilation des résultats. Les multiples requêtes
déposées par les deux camps devant la Cour n’ont jamais été étudiées.
Tout juste sait-on que les votes ont été annulés dans 7 départements du
nord.
Respect de la légalité
Dans un cas comme dans
l’autre, il y a aujourd’hui un homme de trop aux manettes de la Côte
d’Ivoire. En effet, dans cette course à la légitimité, et alors que la
violence regagne la rue avec ses morts et ses drames, chaque camp compte
ses partisans ainsi que ses soutiens extérieurs. Et, dans le deuxième
cas, c’est Alassane Ouattara qui décroche la timbale (voir réactions en
colonne). Les soutiens sont quasi unanimes en sa faveur, qui exigent le
respect de la légalité et la fin du «hold-up électoral». Laurent Gbagbo,
à qui l’armée a solennellement fait allégeance, fait de la résistance
et crie au complot ourdi par le Rassemblement des Houphouëttistes pour
la démocratie et la paix (Rhdp), avec l’appui de puissances étrangères.
Il se présente volontiers comme le «vrai patriote», face à une engeance
de prédateurs prêts à plonger à bras raccourcis sur le patrimoine de son
pays.
Laurent Gbagbo avait déjà développé cette posture tout au long de la
campagne électorale, accusant des mains invisibles d’avoir fragilisé son
régime pendant une décennie et de l’avoir empêché de gouverner. Il a
aussi insisté pour présenter son challenger comme «un putschiste»,
l’homme par qui la guerre est arrivée. A ce ton arrogant qui laissait
planer la psychose du retour de l’impérialisme occidental, son vis-à-vis
égrenait son projet de société. Bien que nimbé d’accents démagogiques,
ce discours a eu le don de retourner une jeunesse désespérée à laquelle
il promet l’école pour tous et des emplois à volonté.
Avec ses deux
présidents, la Côte d’Ivoire devrait également avoir «ses» deux
gouvernements dans quelques heures. Laurent Gbagbo tient le palais
présidentiel. Alassane Ouattara, qui a peur pour sa vie, est «en lieu
sûr», selon ses proches. Et chaque camp planifie ses stratégies, qui ne
peuvent déboucher que sur la violence et des lendemains incertains.
Médiations
10 ans après son accession aux
affaires, et 8 ans après le début de la guerre et la partition du pays,
Laurent Gbagbo joue gros. Il a avec lui une Majorité présidentielle
plutôt timorée, voire hésitante. Et contre lui non seulement ses amis de
la coalition, mais aussi la France, les Etats-Unis, les Nations Unies,
l’Union européenne, l’Union africaine et la Communauté économique des
Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao).
C’est dans ce contexte
d’enlisement, et alors que le médiateur de la crise ivoirienne, le chef
de l’Etat burkinabé Blaise Compaoré, observe un silence gêné, que
l’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki, est arrivé à Abidjan
dimanche pour tenter de concilier deux camps aux positions radicalement
polarisées. Dans le même temps, la Cedeao, qui a déjà condamné «toute
tentative d'usurper la volonté populaire des habitants de la Côte
d'Ivoire», appelant «tous les dirigeants à accepter les résultats»
déclarés par la Cei, tient demain à Abuja, la capitale nigériane, un
sommet extraordinaire pour discuter de la grave situation politique en
Côte d'Ivoire. Le résultat de ces démarches, les pressions
internationales et les appels à la raison, pourront-ils permettre
d’exorciser les vieux démons de l’instabilité ? On peut en douter à
court et moyen terme.
Tout avait été prévu et accepté
Extraits d’une dépêche publiée le 25 novembre 2010 par African Press Organization (APO).
«Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour
la Côte d'Ivoire, Y J Choi, a annoncé jeudi à Abidjan, les nouvelles
dispositions prises en vue de renforcer la transparence et la
crédibilité de l'élection présidentielle et de sauvegarder les
résultats.
Au cours d'un point de presse au siège de l'Opération des
Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), à trois jours du second tour du
scrutin, M Choi a précisé que les mesures avaient été prises en
relation avec la Commission électorale indépendante (CEI).
En ce qui
concerne la transparence et la crédibilité de l'élection, a indiqué le
Représentant spécial, des améliorations significatives portant sur les
opérations de dépouillement, le transport et la sécurisation des procès
verbaux avaient été entreprises. Il s'agit notamment du transport des
procès verbaux à Abidjan et à Bouaké. «Sur proposition de l'ONUCI, la
CEI a accepté que la mission onusienne transporte à Abidjan et à Bouaké,
tous les PV des bureaux de vote jusqu'au siège central d'Abidjan via
les Commissions électorales locales communales, départementales et
régionales», a souligné M. Choi avant d'ajouter que l'ONUCI allait
mobiliser tous les moyens nécessaires (militaires, civils et de police)
pour en assurer la sécurisation. «En plus, l'ONUCI mettra à disposition
plus de 400 voitures pour le transport des PV et des présidents des CEL,
ainsi que des représentants des candidats qui le souhaiteraient», a
poursuivi le Représentant spécial.
Sur le reste du territoire, l'ONUCI assurera également le transport,
par voie aérienne et terrestre, des PV à partir des commissions
électorales locales jusqu'au siège central de la CEI à Abidjan, sous
escorte des policiers et militaires onusiens. M. Choi a expliqué que
l'acheminement des PV individuels entre environ 9000 lieux de vote et la
CEI, incombait, tout comme lors du premier tour, à la CEI, qui
bénéficie de l'appui financier de la communauté internationale et du
soutien logistique du Bureau des Nations unies pour les services de
projets (UNOPS) (…)
M Choi a annoncé deux autres mesures importantes
prises par la CEI de nature à renforcer la transparence et la
crédibilité du scrutin à savoir l'affichage des PV dans chacun des 20
000 bureaux de vote, des commissions locales, départementales et
régionales. Une copie officielle des PV sera remise à chaque
représentant des deux candidats avant leur acheminement à la CEL. «Les
représentants des candidats seront aussi autorisés à observer toutes les
opérations de dépouillement et d'agrégation des résultats», a-t-il
affirmé.
Le Chef de l'ONUCI a salué la décision de diffuser progressivement,
dès le soir du 28 novembre, des résultats partiels, évitant de ce fait
les tensions et spéculations ayant caractérisé l'attente des résultats
du premier tour.
Toutes ces dispositions ainsi énumérées, M Choi a
estimé que le vrai défi du second tour, ne serait ni la fiabilité ni la
crédibilité de la CEI, mais plutôt la rumeur, la crainte, la
spéculation, et le soupçon infondés, comme ce fut le cas au premier
tour. «En ce moment historique, nous n'allons pas nous laisser envahir
par ces sentiments négatifs», a-t-il dit avec force.
Evoquant la
proclamation des résultats, M Choi a rappelé que la CEI était la seule
autorité compétente pour annoncer les résultats des élections. A ce
sujet, il a réitéré l'engagement de la communauté internationale à
demeurer fermement aux côtés du peuple ivoirien et de la CEI en ce qui
concerne la sauvegarde des résultats du second tour.».
Un dossier de Félix C. Ebolé Bola