Les élections présidentielles en Côte d'Ivoire devaient être un test de maturité politique pour les parties en présence soutenues par l'ONU depuis une dizaine d'années. Les Ivoiriens ont voté en masse et dans le calme dès le premier tour du 31 octobre. Au deuxième tour, le 28 novembre, il y a bien eu quelques affrontements, mais les milliers d'observateurs internationaux sur place ont été unanimes: le scrutin s'est bien déroulé. Malheureusement, la structure politico-juridique organisant l'élection s'est détraquée. La Commission électorale indépendante a proclamé le candidat de l'opposition, Alassane Ouattara, président élu. Quelques heures plus tard, le Conseil constitutionnel nommé par le président sortant, Laurent Gbagbo a déclaré celui-ci vainqueur. Gbagbo n'a pas attendu longtemps pour s'autoproclamer président réélu.
La communauté internationale - et cette fois-ci l'expression recouvre bien plus que les seules protestations de l'Occident - ne l'a pas entendu de cette oreille. Au contraire. Les parties au conflit ont accepté toutes les étapes du processus électoral?: le déploiement de Casques bleus, l'accompagnement de l'élection par l'ONU et, surtout, sa certification par le représentant spécial de l'ONU sur place. Ce mandat, Young-Jin Choi l'a exercé avec l'appui unanime des 15 membres du Conseil de sécurité. Il n'est donc pas sorti de ses attributions lorsqu'il a certifié l'élection d'Alassane Ouattara. À la notable exception de deux ou trois pays, tous les États du monde, mais surtout l'écrasante majorité des États africains, ont reconnu ce verdict.
Le président Gbagbo a pensé un temps diviser la communauté internationale en jouant la carte du petit pays résistant à l'impérialisme français sensé être derrière «?un complot international?». Il a donc réclamé le départ des Casques bleus et des soldats français chargés d'appuyer l'ONU. La réponse est venue, cinglante. Non seulement les 15 membres du Conseil de sécurité - dont la Russie, le Liban et le Gabon qui avaient flirté avec lui - ont reconnu officiellement la victoire de Ouattara et accordé «un soutien total» à M. Choi, mais, de manière surprenante, ils ont aussi renouvelé le mandat des Casques bleus et celui de la force française, choisissant du même coup le camp du président élu. C'est, à ma connaissance, du jamais vu dans l'histoire des opérations de paix.
Si Gbagbo n'a pas compris le message, il subira des sanctions plus sérieuses que celles adoptées par l'Union européenne concernant son interdiction de voyager en Europe avec 17 autres personnes de son entourage. Dans quelques heures, les organisations financières internationales pourraient reconnaître la seule signature de M. Ouattara, et celui-ci aura accès à leurs milliards. L'ONU pourrait expulser la délégation ivoirienne et accepter l'ambassadeur du président élu, un geste qui pourrait aussi être suivi par tous les pays où une ambassade ivoirienne est installée.
La situation en Côte d'Ivoire est d'une grande complexité. Des conflits superposés s'y déroulent et ont pour ressorts l'ethnie, la religion, le partage des terres, le contrôle des richesses et du pouvoir, l'affrontement des visions politiques, le rôle de la France. Il reste pourtant une chose: les parties avaient accepté l'intervention de l'ONU. Gbagbo a rompu ce pacte. L'ONU estime maintenant la situation actuelle explosive et dangereuse. Les prochains jours diront comment cette épreuve de force va tourner.