La presse anglaise est formelle, la Fédération Camerounaise de Football a reçu 600.000 dollars pour favoriser la désignation de l’émirat pour l’organisation de la Coupe du Monde 2022. Pour sa défense, la Fécafoot nie tout en bloc.
En Grande Bretagne, journalisme rime avec investigation. Et le monde brumeux et souvent nauséabond du football offre souvent matière à enquête pour nos confrères qui n’ont pas peur de se jeter dans cette mare aux caïmans. Un coup c’est le journaliste Andrew Jenning qui ébranle la Fifa dans ses fondements avec son best-seller « Carton rouge ! Les dessous scandaleux de la Fifa », un autre, c’est des journalistes de la BBC qui piègent un agent de joueurs africain véreux, un autre encore, c’est cette même BBC qui dévoile un réseau de transferts frauduleux impliquant plusieurs footballeurs africains mineurs.
En Juin dernier, cette fois-ci, c’est le le Sunday Times qui soutient avec force et argument que le l’émirat du Qatar a fortement corrompu les membres du Comité exécutif de la Fifa pour s’adjuger l’organisation de la très prestigieuse Coupe du Monde de football en 2022. "Le complot pour acheter la Coupe du monde". Titre-t-il à la Une du dimanche 1er juin 2014. L'hebdomadaire britannique révèle que le Qatari Mohamed bin Hammam, ex-président de la Confédération asiatique de football, a versé 5 millions de dollars aux dirigeants de la Fifa pour qu'ils soutiennent la candidature de son pays.
Le quotidien britannique avait été le premier à exprimer dès décembre 2010, des soupçons de corruption quant à l'attribution de de la Coupe du monde à l'émirat. « A la suite d'articles de presse d'aujourd'hui, nous nions avec véhémence toutes les allégations de mauvaise conduite », avait alors réagi le comité de candidature du Qatar, dans un communiqué qui n’a en rien dissipé les lourdes suspicions relatives à l’attribution de cette Coupe du Monde. Dans son édition du 1er Juin, le journal britannique soutient que M. Bin Hammam a versé des pots-devin à hauteur de 200 000 dollars sur des comptes contrôlés par les présidents de 30 associations de football africaines, et a organisé des soirées caritatives en Afrique, au cours desquelles il avait également versé des fonds pour soutenir la candidature du Qatar.
Le Jour à contacté ses confrères anglais pour savoir si la Fédération Camerounaise de Football figurait dans ce document. Heidi Blake, le «deputy insight editor» du Sunday Times nous a confirmé la présence de la Fécafoot sur cette liste, tout en nous référant aux articles publiés à ce sujet par son journal. Le Times affirme d’ailleurs détenir plusieurs courriers électroniques attestant de ces transactions financières indues et une première série a déjà été postée sur le site internet du tabloid.
Ainsi donc, 200.000 dollars auraient très vraisemblablement été versés sur le compte d’un responsable de la Fécafoot pour favoriser la candidature du Qatar. Mais ce n’est pas tout. Les révélations du Sunday Times font aussi état de la somme de 400.000 dollars virés par Bin Hammam, sous la couverture du projet Goal au bénéfice de certaines Fédérations africaines, dont la Fécafoot. Lancé en 1999, le programme Goal permet à chaque association membre de la FIFA de bénéficier d’un financement pour réaliser des projets de développement du football. Le Cameroun a déjà eu à bénéficier de ce programme par deux fois.
Projet Goal
D’abord, pour la construction du centre technique de la Fécafoot au quartier Odza à Yaoundé, dont les travaux ont débuté en janvier 2004. A l’origine, ce centre devrait comporter deux terrains d'entraînement, un bloc destiné à l'hébergement des athlètes composé de quatre dortoirs d’une capacité totale de 120 lits, un restaurant, un bloc administratif et une salle omnisports, pour un coût total initial de 600 millions de francs CFA. Après moult tergiversations et des rallonges budgétaires, le centre technique d’Odza se résume à deux bâtiments sommaires aujourd’hui dégradés et un terrain synthétique qui chauffe comme une fournaise, Il est possible qu’une partie de cet argent ait été utilisée à d’autres fins par des responsables de la Fédé.
On attend toujours que Jean Manga Onguene aujourd’hui Dtn, et qui avait la charge de ce programme pour l’Afrique se prononce officiellement sur ce dossier. « Le goal 1 était non clôturé, c’était un vrai scandale, c’était déjà surprenant qu’il ait un goal 2 », nous confie un ancien membre du Comité Exécutif de la Fécafoot. Le fiasco de ce goal 1 n’a pourtant pas empêché la Fifa, à travers le financement de la pose du gazon synthétique au Stade Omnisport de Douala, de s’investir dans un nouveau projet Goal au Cameroun.
« Ce programme est un nid de corruption » nous indique un président de club qui ajoute, « c’est plus facile de dissimuler les fonds à travers ces réalisations, les membres de la Fifa sont eux-mêmes complices de ces détournements », ajoute-til. on comprend donc que le sieur Bin Hammam ait eu recours à ce programme écran pour arroser les Fédérations africaines. Dans un témoignage contenu dans un dossier de France football daté du 12 janvier 2014, Guido Tognoni, un ancien cadre de la Fifa, révèle que «tout ce qui se passe à la Fifa depuis des dizaines d'années, c'est la culture du sport pourri».
Selon lui, «les arrangements entre amis, les postes dans les commissions pour amadouer ses ennemis, le cash qui a permis à certains de s'en mettre plein les poches, tout cela s'est organisé au fil des ans comme une petite mafia». Et de poursuivre, sarcastique: «Ce système reste un fonctionnement immanent à la Fifa. Tout le monde se tient par la barbichette. Mais, en ce domaine, les autres fédérations ne sont pas plus exemplaires.» Interrogé sur ce scandale transnational, l’actuel Secrétaire General de la Fécafoot, Tombi A Roko Sidiki rejette tout en bloc : « C’est complètement faux, assène-t-il. Les Anglais sont simplement frustrés parce qu’ils n’ont pas été choisis.
On ne peut pas toujours jouer la coupe du monde en Europe. Nous n’avons jamais reçu cet argent. Il faut bien noter que la Coupe du Monde était, à l’époque attribuée par les membres du Comité exécutif ; ce n’est que maintenant que l’Assemblé générale décide de l’attribution de la Coupe du Monde. Aucun de nous n’en était membre, ni le président Iya, ni même le Sg de l’époque, Atangana Mballa » . Pourtant, un ancien membre du Comité exécutif de la Fécafoot qui a longtemps été au coeur du système de Tsinga soutient exactement le contraire. « Il y a certainement eu corruption ; cet argent a été rétrocédé à un tiers. Comment a-t-il été géré ? Il faut trouver des traces à la Fécafoot», affirme notre source. Et pour étayer sa thèse, l’ancien responsable donne des précisions : « On m’a contacté à plusieurs reprises pour arranger des rendez-vous, ils étaient très généreux, ils disaient qu’il suffisait d’envoyer des mails pour obtenir de l’argent. Plusieurs pays couraient après nous en 2010, l’Australie, la Russie, le Qatar, je trouvais ça trop facile, c’était agité. Certainement quelqu’un a dû prendre cet argent en cash ou par virement mais cet argent n’est pas allé dans le projet goal ».
Pourquoi donc avoir versé de l’argent à la Fecafoot, si comme l’indique Tombi A Roko, les personnes suspectées n’étaient pas membres du Comité exécutif de la Fifa, alors seul habilité à voter ? « Il faut bien comprendre que la Fifa était engagée dans une vaste opération de séduction visant à rallier l’ensemble de la communauté mondiale du football à sa cause pour noyer toute contestation », répond le journaliste anglais Heidi Blake. Mieux encore, dans le cas précis du Cameroun, l’enjeu fut même double « Iya n’était pas membre de ce comité exécutif de la Fifa mais Issa Hayatou, le président de la Caf en est membre, et tout le monde connait la proximité entre les deux hommes », note un observateur de la scène footballistique camerounaise. Issa Hayatou lui même se serait goulûment servi. D`après le Sunday Times, le premier contact entre Hayatou et le lobbyiste qatari Bin Hammam remonte à décembre 2009, lors d`un nouveau voyage tous frais payés réunissant 35 présidents de fédérations africaine à Doha, au Qatar.
Le président de la Caf était accompagné de Jacques Anouma, et Amos Adamu alors respectivement président de la fédération ivoirienne, et président de la fédération nigériane de football. France football nous apprend par ailleurs que pour acheter l’adhésion de Roger Milla, ancien international camerounais et d'Issa Hayatou, les deux personnalités ont reçu, chacune, 1,5 millions d'Euros pour pencher en faveur du Qatar. La partie camerounaise a donc eu droit à tous les égards de la part des qatari qui n’ont pas hésité à aligner des zéros sur les chéquiers.
Au demeurant, ce nouveau scandale confirmele managementmafieux de la Fifa et de ses fédérations. Le Qatar l’a compris, qui a abondamment fait circuler des pétrodollars pour obtenir l’organisation de la Coupe du Monde 2022. Les témoignages concordent, qui attestent du fait que des dirigeants de la Fecafoot se sont joyeusement servis à la table du riche émirat. Ils ont par la suite, et comme à leur habitude, effacé ou dissimule les traces de leur forfait d’après la presse anglaise. Mais il reste des traces implacables comme ces mails que détient le Sunday Times. Si le Contrôle Supérieur de l’Etat qui a déjà enquêté à la Fecafoot en 2004 se saisissait de ce dossier un jour, il sait ainsi où aller.