Convertir l’histoire du moment en un moment d’Histoire
Écrit par V.S.Z
Lundi, 13 Décembre 2010 08:59
Lundi, 13 Décembre 2010 08:59
On peut choisir, pour cette rencontre historique du 10 décembre 2010, à Bamenda, de ne s’en tenir qu’aux images. L’accolade cordiale et chaleureuse à défaut d’étreinte spectaculaire. Les regards détendus. Le verbe courtois. A cette aune, le protocole d’urbanité et le cérémonial de bienséance avaient de quoi dérouter ceux qui, quelques heures seulement plus tôt, affichaient un scepticisme à tous crins sur ce rendez-vous, alors même que des indices s’accumulaient et auguraient d’une journée tout à fait singulière pour la scène politique camerounaise. Le Chairman du Social Democratic Front et le président de la République ont choisi ce registre de convivialité démocratique et de civilité républicaine. Et pas seulement pour les caméras, si l’on en croit des sources autorisées. Il est vrai que par ces temps de la télévision omnipotente et omniprésente, l’art politique s’inscrit dans une logique de la scénarisation, et que les images télévisées n’exposent qu’à hauteur de ce qu’elles cachent. On est donc fondé à parier que la rencontre Paul Biya-John Fu Ndi ne livrera pas de si tôt ses ultimes secrets. Retenons d’ores et déjà que cette audience a permis aux deux politiques de dévoiler, certes en creux, des pans significatifs de leurs personnalités respectives.Alors que John Fru Ndi est arrivé à la tête d’une délégation forte d’une dizaine de cadres et militants du SDF - dans l’hypothèse probable d’une audience collective -, Paul Biya a tout de suite précisé son option pour un « tête-à-tête ». Un signe sans doute de l’importance que le chef de l’Etat accordait aux échanges dont on notera qu’ils ont été suivis par René Emmanuel Sadi, certes ministre chargé des missions à la présidence de la République, secrétaire général du Comité Central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, mais dont les observateurs savent qu’il n’est pas un astre interchangeable dans la galaxie Biya… Le chef de l’Etat pouvait du reste difficilement faire litière d’une certaine cohérence dans sa démarche à propos de ce « tête-à-tête » revendiqué comme signe d’apaisement d’un jeu politique longtemps heurté, et attendu comme un mécanisme fiable de décrispation. Il faut en effet se souvenir qu’un militant de cette cause considérée comme emblématique du dialogue entre le pouvoir et les forces d’opposition camerounais, avait déjà soulevé la question en octobre 2009, à la faveur du passage de Paul Biya à l’émission « Le Talk de Paris », sur la chaîne française France 24. Le chef de l’Etat avait alors répondu de ses révélations suggestives. « Il a cité le cas du leader de l’opposition, Monsieur Fru Ndi. C’est vrai qu’on ne s’est pas rencontrés, et il ne démentira pas : on avait pris rendez-vous pour discuter et il avait choisi le village, mon village, qui n’est pas très loin de Yaoundé. J’étais d’accord, mais au dernier moment c’est lui qui n’est pas venu. » Avant d’asséner : « Mais je suis prêt à le rencontrer, je n’ai pas de problèmes ». Quelques quatorze mois plus loin et quantité de négociations de coulisses plus tard, on s’aperçoit que le président de la République n’avait pas usé d’une pirouette de circonstance ; obligeant nombre de chroniqueurs politiques à avaler leur langue…
Ce tête-à-tête Biya/Fru Ndi s’offre comme le couronnement de tractations vieilles de longues années. Il suffit, pour s’appuyer sur des repères probants, de se souvenir qu’au sortir des élections présidentielles d’octobre 1997 - boycottées par le SDF, l’UDC et l’UNDP - le parti au pouvoir avait ouvert des négociations avec le parti de John Fru Ndi sur l’épineuse question de l’amélioration du système électoral. Alors que, simultanément, flottait dans l’air l’idée de la formation d’un gouvernement de large union. Et avant que les discussions s’achèvent en eau de boudin du fait des positions tranchées des protagonistes. La rencontre de Bamenda instaure donc le temps de la décrispation. De la décontraction. Elle est symbolique du triomphe de la logique institutionnelle au détriment de la logique insurrectionnelle. Toutes considérations par lesquelles s’opère la disqualification des extrémismes de tout bord, autant que s’affirme le reclassement du SDF. Ces opérations politiques et symboliques ne sont pas sans contraintes, dont la plus embarrassante pourrait être l’abandon par le principal parti d’opposition des modalités de luttes politiques encadrées par un poujadisme saisonnier. Il tombe sous le sens que des passerelles ont pu être érigées entre les camps en présence, qui pourraient désormais servir de plate-forme de d’expression en toute civilité. Nul, bien entendu, ne songe à un sabordage « idéologique » du SDF. En contexte camerounais, le parti de Fru Ndi est bien trop précieux dans son profil de caution à la démocratie camerounaise. Reste à démentir cette classification fort peu favorable, en s’affirmant, dans le jeu des positions politiques et de sa posture d’opposition, comme une véritable force de proposition. C’est pourquoi le fait que le dialogue instauré sur des modalités totalement inédites à Bamenda soit promis à un raffermissement peut paraître de bon augure. En attendant d’en scruter les mouvements et les trajectoires, il nous faudra, pour saluer ces efforts d’arrimage à la modernité politique, attribuables à Paul Biya et à Fru Ndi, relire attentivement ces propos de Maurice Kamto sur sa théorie d’un « gouvernement transactionnel » basé, entre autres repères, sur l’urbanité. « On dit de l’urbanité qu’elle est le respect d’autrui et de soi-même. ( …) Plus que d’un statut formel, l’opposition dans un système politique a besoin de respect, de cette courtoisie-là. Certes, elle doit la conquérir auprès de l’opinion. Mais c’est avant tout le gouvernement qui doit la tenir pour respectable. C’est la façon dont le gouvernement la traite qui lui permet de mieux faire ou de faire moins bien son travail de vigile de la démocratie ; car elle est la force qui donne l’alerte et empêche de sombrer dans le sommeil des motions de soutien soporifiques. ( …) L’urbanité est le lubrifiant du gouvernement. Il dégrippe ses rouages, crée des passerelles informelles, et combien indispensables, entre le gouvernement et l’opposition, entre lui et les groupes de pression manifestes ou occultes, les personnalités de la société civile, et entre les forces politiques entre elles. Ce sont ces passerelles qui permettent de nouer le dialogue par-dessus les tranchées qui séparent ceux qui exercent le pouvoir de ceux qui y aspirent, qui permettent de poursuivre le dialogue alors même que officiellement les ponts sont rompus »1 L’universitaire, traitant des « techniques » de ce « gouvernement transactionnel », mettait en exergue les vertus du dialogue. « Ainsi, dialoguer, c’est réduire au minimum le risque des affrontements aussi bien sur le plan politique que sur le terrain social ; ce n’est pas évacuer les revendications, la contestation et les manifestations qui les accompagnent, c’est mettre les balises qui évitent qu’elles dérapent dans la violence physique, dans l’incontrôlable ou l’irréparable ; en définitive c’est faire montre d’intelligence politique dans la mesure où en construisant inlassablement les conditions de l’acceptation de l’autorité, le pouvoir crée les conditions de sa longévité ».Les mois à venir fixeront les observateurs sur la plus-value politique réelle de ce tête-à-tête en tout point historique entre MM Biya et Fru Ndi. Il leur revient de convertir ce qui pourrait paraître l’histoire d’un moment en un moment d’Histoire. Kamto, Maurice, ibid, p 249 |