Conjoncture: Les secousses qui ont plombé les années Biya - Putsch manqué, villes mortes, émeutes de la faim… ont mis le régime à rude épreuve

DOUALA - 05 AVRIL 2013
© Edouard Kingue | Le Messager

1984 et le 6 avril tentative du putsch réprimé de manière sanglante ; 1991 et les villes mortes; 2008 et les émeutes de la faim. Trois périls majeurs contre un dirigeant et son système. Les trois étapes de la montée des périls ont-ils changé l’homme ?

Conjoncture: Les secousses qui ont plombé les années Biya - Putsch manqué, villes mortes, émeutes de la faim… ont mis le régime à rude épreuve


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1984 et le 6 avril tentative du putsch réprimé de manière sanglante ; 1991 et les villes mortes; 2008 et les émeutes de la faim. Trois périls majeurs contre un dirigeant et son système. Les trois étapes de la montée des périls ont-ils changé l’homme ? La pléthore des remaniements ministériels, les rendez-vous manqués avec un peuple qui l’avait adulé et le vomit aujourd’hui ont fini par installer dans l’esprit de Biya le spectre de l’échec. Echec d’une gouvernance tout en politique qui a laissé peu de place à des initiatives sérieuses de développement. Le président s’est plus illustré dans sa volonté de conserver le pouvoir à tous prix que de s’atteler à créer des conditions de croissance économique. 1984-2013, nous sommes toujours à la case départ, pour dire le moins. La vision d’un Etat moderne adossé sur une gouvernance démocratique n’est toujours pas évidente…Désormais, en regardant le rétroviseur, les Camerounais ne lisent que le gâchis. Et à l’heure des sénatoriales différées depuis plus d’une décennie, alors que la décentralisation est compromise par une régionalisation remise aux calendes bantous, la croissance stagne, faute d’indications claires et d’actions concertées sur les politiques de développement économique. Pays désormais consommateur, que produisons-nous ? De quelle valeur ajoutée pouvons-nous nous réclamer ? Au Cameroun, l’avenir s’écrit en points d’interrogations…
Mais nous devons nous interroger, avec le putsch et les émeutes, Biya a-t-il eu le temps de se mettre au travail ? La question est plus subversive et son parcours professionnel l’autorise : avait-il les dispositions managériales requises pour être un homme d’Etat, c'est-à-dire au dessus de la mêlée, avec une vision et des objectifs clairs pour le progrès de son pays ? Au moment où il accède au pouvoir, a-t-il pensé son pays ? L’histoire se chargera de situer les années Biya dans leur contexte.

Edouard Kingue



1984, 1990, 2008…: Les années de braise d’un pouvoir trentenaire

15 mois après son accession au pouvoir by Text-Enhance">suite à la démission du président Ahidjo, Paul Biya essuie pour ainsi dire, son premier baptême du feu. D’autres secousses de forte amplitude suivront après.

Le 6 avril 1984, le Cameroun connaît une tentative de putsch. Il est un peu plus de 3 heures du matin. Soudain, des coups de feu sont entendus du côté de la garde républicaine située à un jet de pierre du campus universitaire. Des chars d'assaut de cette unité d’élite chargée de la sécurité du chef de l’Etat, des camions militaires conduits par des soldats sous le commandement dit-on du colonel Salé Ibrahim, patron de la garde républicaine, et du capitaine Awal Abassi, vont dans tous les sens. En quelques minutes, ils verrouillent le quartier général. Des chars prennent d'assaut les résidences de certains hauts gradés de l'armée. Le portail de la résidence du général de division et chef d'état major des armées, Pierre Semengue, est démoli. Pierre Semengue cité par Ateba Eyene, raconte : «Vers 3h 50 le téléphone de sécurité sonne. Le Général Meka à l'époque Colonel est au bout du fil. Il était à l'époque Directeur de la Sécurité Présidentielle. Il me dit exactement ceci: " Les blindés se dirigent vers la Présidence de la République. Je me lève et écarte le rideau. Je vois que des blindés se dirigent vers mon domicile. Puis des coups de feu. Je réalise alors que c'est effectivement un coup d'État et qu'on en voulait à ma personne».
Le colonel Asso Emane in Les cahiers de Mutations n°018 raconte : «je peux vous dire que quelques semaines avant les événements, j'ai été informé de ce qui se tramait. […] je savais bien que ces gars-là allaient passer à l'action ». Joseph Zambo, secrétaire général à la présidence de la République, René-Claude Meka, directeur de la sécurité présidentielle, Mbarga Nguélé, délégué général à la Sûreté nationale et quelques autres personnalités sont faits prisonniers. Dans le même temps, vers un peu plus de 4 heures du matin, la colonne de chars d'assauts pilotés par les putschistes se dirige vers le Palais présidentiel d'Etoudi où ils bloquent toutes les issues. Deux chars enfoncent le portail d'entrée sans que les gardes qui s'y trouvent n'opposent une résistance. A l'intérieur, Paul Biya est réveillé en sursaut. Il est rapidement conduit avec ses proches parents dans le bunker qui se trouve dans le sous-sol du palais. Le chef de l'Etat ne sait pas ce qui lui arrive. D'aucuns affirment qu'il aurait envisagé de se rendre afin «d'éviter un bain de sang inutile ». Entre temps, les putschistes se sont emparés d'autres points stratégiques : la radio, l'aéroport, les centrales téléphoniques…Ils coupent toutes les communications avec l'extérieur.

En milieu de matinée, les radios étrangères annoncent la tentative de coup d'État militaire au Cameroun. Certaines chaînes parlent même de la chute du régime Biya. Dans les quartiers de la capitale, c'est la confusion générale. Douala par contre est calme et s’interroge : de quoi s’agit-il ? Interrogé par Radio Monte-Carlo (Rmc) vers 10 h30 mm, l'ancien président de la République, Ahmadou Ahidjo fait une déclaration surprenante «J'ai été trop insulté et calomnié par les Camerounais, ils n'ont qu'à se débrouiller tous seuls... Si ce sont mes partisans, ils auront le dessus». À 13 heures, dans le journal parlé de la mi-journée, la radio nationale, par la voix de Yaya Adoum alors directeur général du Fonds de développement rural (Fonader), diffuse un message où l'on apprend qu'il s'agit de «Jeunes officiers et sous-officiers prêts au sacrifice suprême pour la nation, regroupés au sein du mouvement J'OSE ». La riposte sera fatale aux putschistes. Le lendemain, Paul Biya s'adresse à ses compatriotes. Il rassure et indique que «le calme règne sur toute l'étendue du territoire national ». Quelques jours plus tard, le 10 avril, le président Biya s'adresse à nouveau à la nation. Pour éviter dérives et stigmatisations, Paul Biya précise : «En effet, l'actualité a retenu, l'Histoire retiendra que les forces ayant participé au rétablissement de la situation comprenaient des Camerounais de toutes origines, sans distinction de leur appartenance ethnique, régionale ou religieuse. La responsabilité du coup d'État manqué est celle d'une minorité d'ambitieux, assoiffés de pouvoir et non de celle de telle ou telle province ou de Camerounais de telle ou de telle région». Si le bilan est lourd, les stigmates de cette tentative de putsch restent encore dans les corps et les esprits.


Des airs de liberté

28 ans après le putsch du 6 avril 1984, des blessures restent ouvertes. « Les restes du président Ahmadou Ahidjo, condamné à mort puis gracié, mort en exil le 29 novembre 1989 au Sénégal sont toujours abandonnés dans un cimetière à Dakar. Le chemin de la réconciliation est encore long. Les Camerounais vivent dans une paix de façade », écrit Jean-Bosco Talla. Le début du processus démocratique camerounais peut être lié à l’année 1990. Me Yondo Black crée une «Coordination nationale pour la démocratie et le multipartisme » et se retrouve en prison. Mais le train est en marche malgré le refus officiel du multipartisme. Dans la même foulée, John Fru Ndi lance le 26 mai 1990 à Bamenda, le Social Democratic Front (Sdf) lors d’une marche tragique. Le 4 juillet 1990 enfin, le président Paul Biya accepte d’abandonner le monopole politique exercé par le Rdpc, émanation de l’Unc. En décembre 1990, l’Assemblée nationale adopte une série de lois parmi lesquelles une loi sur la liberté d’association et de création de partis politiques.

L’arrestation des opposants continue toutefois, provoquant la mobilisation populaire début 1991. Les opérations " villes mortes " qui s’ensuivent, combinées avec une désobéissance civile afin d’obtenir l’organisation d’une Conférence nationale souveraine (Cns) paralysent la vie économique du pays des mois durant. Transporteurs, étudiants, enseignants et commerçants se déversent dans les rues de Douala et bien plus tard, le Cameroun s’embrase. Emeutes et manifestations s’étendent à l’ensemble du pays. Le président Biya est contraint de prendre quelques mesures d’apaisement comme l’annonce d’une réforme constitutionnelle tandis qu’un état d’urgence de fait est instauré avec la création en mai 1991, de commandements militaires opérationnels. Le Premier ministre, Sadou Hayatou, ouvre le 30 octobre 1991, la conférence tripartite gouvernement-opposition-société civile destinée à définir le cadre électoral et l’accès aux médias publics. L’opposition se divise entre les partisans du préalable d’une conférence nationale et ceux qui sont favorables à une participation immédiate à la compétition électorale.

Une élection législative boycottée par l’opposition radicale groupée autour du Sdf est organisée le 1er mars 1992. Le Rdpc, l’Undp, le Mdr et une aile de l’Upc se partagent les 180 sièges du Parlement avec respectivement 88, 68, 18 et 6 députés, ce qui conduit à la formation d’un nouveau gouvernement Rdpc-Mdr. Dans la foulée, l’élection présidentielle organisée donne le président Biya vainqueur a l’arraché avec 39,9 % des voix, contre 35,9 % pour J. Fru Ndi (Sdf) et 19,21 % pour B. Bouba Maïgari (Undp). Le pouvoir a tremblé sur ses bases, cette fois-ci ‘démocratiquement’ ; mais malgré cette victoire controversée du Rdpc, des émeutes éclatent dans le Nord-Ouest où l’état d’urgence est proclamé, des leaders de l’opposition radicale sont arrêtés ou placé en résidence surveillée. Si le 6 avril, on dénombre officieusement de 1000 à 1500 morts, on avance de 100 à 400 morts lors des villes mortes. Le deuxième choc de Biya depuis son accession au pouvoir s'illustre par un bain de sang qui a sans doute laissé des traces au plus profond de lui-même.


Le temps des apprentis sorciers

Surtout que 18 ans après, le voici encore face à la rue qui gronde, ce qui le conduit à sortir de ses gongs, taxant les populations affamées « d’apprentis sorciers ». La lumière sera-t-elle faite sur les victimes des émeutes de février 2008 ? De source officielle, il est dit que plus d’une trentaine de personnes avaient perdu la vie dans ce vaste mouvement de contestation. Et que, des biens meubles et immeubles avaient été détruits, des offices publics et bâtiments administratifs vandalisés. Tout part d’un mécontentement orchestré par la hausse du prix des carburants. La hausse s’est faite de manière quasi clandestine au moment où le panier de la ménagère se vide désespérement, à cause de la crise économique qui sévit. A cette tension déjà ambiante, s’ajoute une autre, latente. Il s’agit de la vive opposition au sujet de la modification de la Constitution par le président Paul Biya.

Pour des mesures de sécurité, dit-on, le gouverneur de la province du Littoral d’alors, a interdit systématiquement les manifestations de l'opposition, alors commencent les casses perpétrées par une population furieuse qui compte ses morts dans les affrontements avec les forces de l’ordre. Le Bir est appelé en renfort et quadrille les points chauds de la ville de Douala. Yaoundé est contaminé par les émeutes. La ville respire à peine. Barricades sur les voies publiques et roues incendiées sont au menu de ces folles journées. Le pouvoir riposte pour se rétracter bien après. Les « apprentis sorciers » sont en fait des laissés pour compte et des affamés du système. Les manifestants en colère réclament le départ du chef de l’Etat, comme en 1984, comme en 1990. Trois chocs majeurs pour un homme qui a passé sa vie à faire la politique au détriment du développement national.

Edking



07/04/2013
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