Compréhension du pouvoir

Messager

...Voilà ce qui met aujourd'hui en danger de partition la nation ivoirienne, et demain peut-être le Soudan, pour ne pas parler de ceux qui se substituent aux Ivoiriens, ça et là, pour prendre des positions passionnelles en oubliant que comme dit le proverbe, «celui qui n'a pas encore atteint l'autre rive ne doit pas rire de celui qui se noie »

Venant après celle du Kenya, du Zimbabwé, de Madagascar, du Niger et des cas précédents, la crise politique ivoirienne montre, s'il le fallait encore, que la compréhension du pouvoir en Afrique est problématique, si l'on s'en tient au sens démocratique du terme. Peut-être eût-il fallu, à tant faire du mimétisme, prolonger notre apprentissage à l'école occidentale de la démocratie, ou alors avoir le courage de revenir à notre modèle ancestral de gouvernement, où le consensus régnait en lieu et place de la démocratie électorale alors inconnue, plutôt que de nous asseoir aussi inconfortablement entre deux chaises...

Nous disons souvent au Messager, quitte à agacer, mais parce que nous en sommes convaincus, qu'en démocratie le pouvoir est, et ne devrait être qu'un mandat de service, et non la prérogative de jouir à des fins privées et parfois inavouables, sans mesure et indéfiniment, de l'autorité et des privilèges qui l'accompagnent. Lorsqu'on est vraiment démocrate, on n'a pas besoin de s'appeler Abraham Lincoln pour comprendre que le pouvoir n'appartient pas à celui qui l'exerce, mais au peuple qui lui en a temporairement confié la responsabilité. Il en va de même pour la souveraineté qui appartient au peuple entier, et non à une majorité relative contre la minorité, et encore moins à celui qui est sensé l'incarner mais l'utilise pour lui, et contre le peuple le cas échéant.

C'est pour cela, par exemple que, lorsque le parti démocrate perd les élections législatives à la mi-mandat de Barack Obama, celui-ci peut transcender les exigences de son parti, pour rechercher le compromis avec les républicains dans l'intérêt général. Car il sait que son mandat n'est ni sa propriété privée, ni au service exclusif de ceux qui l'ont élu, mais au service de tous les Américains. Et voilà où se trouve le hic en Afrique.

Qu'est-ce qui fait croire aux dirigeants africains qu'ils ont le monopole de la science ou du savoir faire politiques ? La grâce d'état suffit-elle dès que l'on est arrivé au pouvoir, à conférer une intelligence et une compétence supérieures, à nulle autre pareille, et si irremplaçables qu'on devient l'ultime messie du peuple ? D'un peuple réduit dans le meilleur des cas au parti présidentiel ? Cela justifierait sans doute qu'une fois arrivé au pouvoir par des élections truquées, ou par la force des mitraillettes, on veuille s'y maintenir par tous les moyens Surtout lorsqu'on a conscience de n'avoir pas voulu, pu, ou su, utiliser à bon escient le pouvoir ainsi acquis. La ruse et la force ont malheureusement aussi leurs limites, et au moins une partie du peuple à force d'en souffrir, finit par se rendre compte de la tromperie. Prise de conscience qui n'est pas sans danger lorsque ce peuple est une mosaïque d'ethnies nations (composée par l'autorité coloniale), sans véritable mystique nationale, les unes et les autres se considérant en autochtones et allogènes, revendiquant chacune la souveraineté nationale, et pouvant à souhait être manipulées les unes contre les autres.

Voilà ce qui met aujourd'hui en danger de partition la nation ivoirienne, et demain peut-être le Soudan, pour ne pas parler de ceux qui se substituent aux Ivoiriens, ça et là, pour prendre des positions passionnelles en oubliant que comme dit le proverbe, «celui qui n'a pas encore atteint l'autre rive ne doit pas rire de celui qui se noie »

De l'exemple unique qu'elle a failli être, l'élection présidentielle ivoirienne est devenue le plus grand sujet de controverse africaine de cette fin de l'année 2010. Parce qu'elle est finalement survenue au lendemain des « cinquantenaires » Lesquels cinquantenaires ont, bon gré mal gré, grossi les rangs des jeunes africains qui s'interrogent sur le caractère dolosif des fameuses indépendances africaines.

Cette interrogation fait en sorte que dans la situation ivoirienne où les deux éléphants politiques semblent exclure tout compromis, et par un phénomène naturel de projection, ceux des Africains qui ont mal à l'Occident, et à la France en particulier, sont pro-Gbagbo consacré « champion de la lutte anticolonial », face aux pro-Ouatara qui serait plutôt « pion de l'Etranger ». Tout cela de part et d'autre sur des schèmes d'analyse importés de rumeurs ou d'informations partiales, parcellaires ou partielles  et sans autres preuves que le discours. Et les analyses postérieures du déroulement de l'élection tendent à justifier ou  expliquer, non pas l'enchaînement des faits, mais les souhaits et vœux que l'on formule pour le héros de chaque camp. Pourtant, la vraie question à poser, si on parle démocratie, et si l'on pense que les 51% qui font la majorité pour l'un et les 49% qui font de l'autre un vaincu, sont tous des citoyens ivoiriens, est réellement celle-ci : pour qui et pourquoi les deux protagonistes veulent-ils le pouvoir, si après le résultat chaotique de l'élection, ils refusent le chemin des « 3 C » (consultation, concertation, conciliation) qui conduit à un compromis au moins transitoire, pour gouverner le pays dans la paix, en préparant mieux ?

N'est-ce pas finalement l'histoire des deux femmes (la mère et la voleuse) qui se disputent un enfant, et dont une (la voleuse) propose au roi Salomon de couper l'enfant en deux pour faire justice, tandis que l'autre (la mère), préfère concéder sa progéniture plutôt que de la voir couper en deux ? Comment peut-on couper l'enfant en deux sans le tuer ? Telle est désormais entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouatara, la problématique du pouvoir, dont il nous semble trop tard pour que la solution se trouve dans le juridisme électoral. A moins que les deux parties consentent à recommencer l'élection.

Sachant en tout état de cause, l'intérêt que portent nos lecteurs à la situation, mais plutôt adeptes de la sérénité , que de la passion dans les débats politiques, nous avons sélectionné et proposons dans les pages du messager, quelques prises de position froides, entre autres, afin de permettre aux uns et aux autres de relativiser, de compléter ou de réviser leur jugement de la situation, et pourquoi pas de continuer le débat dans le sens de la recherche d'une solution si notre intérêt est dicté par la solidarité envers nos frères ivoiriens.




03/01/2011
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