Communication politique: Paul Biya, le “muet” de la République - Pourquoi le Chef de l'Etat fuit les Médias

YAOUNDÉ - 17 Février 2012
© Jean-Bruno Tagne | Le Jour

Le chef de l’Etat est taiseux, Jean-Jacques Ekindi distant, Kah Walla la vedette médiatique. Les rapports des leaders politiques camerounais avec les médias. Plus grave, Paul Biya a réussi l’exploit de mener une campagne électorale pour la présidentielle du 9 octobre dernier, sans accorder la moindre interview.

ls ont été nombreux, ces Camerounais qui ont regardé mercredi soir, en direct sur Tf1, l’annonce par Nicolas Sarkozy de sa candidature à la présidentielle française d’avril 2012. C’était son deuxième passage à la télévision en l’espace d’un mois. «C’est impressionnant, commente Rodrigue Tongue, chef du service politique au Messager. Surtout que Tf1 est quand même une chaîne de télévision privée.» Le journaliste, comme d’autres Camerounais, a été impressionné parce que le Cameroun est dirigé par un président qui, en 30 ans de pouvoir, ne s’est jamais fait inviter au journal télévisé, n’a jamais participé à un débat, n’a jamais accordé d’interview à un journal privé local. Plus grave, Paul Biya a réussi l’exploit de mener une campagne électorale pour la présidentielle du 9 octobre dernier, sans accorder la moindre interview. Un taiseux, ou plutôt «le grand muet», comme le décrit notre confrère du Messager.

Les seules interviews du chef de l’Etat dont on se souvient au Cameroun, sont celles qu’il accorda jadis à Eric Chindjé et à Charles Ndongo. Pour le reste, il faut aller voir dans la presse parisienne, à Jeune Afrique, à France 24 et plus anciennement à Rmc, lorsqu’il fut interviewé par feu Yves Mouroussi. «En réalité, Paul Biya a le complexe du colonisé, pense Georges Alain Boyomo, le chef du service politique de Mutations. Il est plus prompt à s’exprimer dans les médias occidentaux que dans les médias de son propre pays.» Un peu comme s’il tirait sa légitimité plus de l’extérieur que de ses propres citoyens, ajoute un autre chroniqueur politique.

Pour le politologue Njoya Moussa, l’attitude du président Biya tient de sa formation politique et de sa personnalité. «C’est surtout un problème d’école, constate-t-il. Paul Biya qui est un pur produit du système Aujoulat ne s’intéresse pas au public et encore moins aux médias. Or, ceux qui sont passés par l’école de l’Upc sont plutôt ouverts au public et aux médias. Je prends le cas d’Anicet Ekané, de Woungly Massaga, etc. Cette attitude de rejet des médias s’est même étendue à l’administration entière. J’imagine la peine qui est celle des journalistes, d’avoir la moindre interview d’un fonctionnaire. Cela tient aussi de nos premiers dirigeants qui n’étaient pas des gens de grande culture. Ahidjo était un modeste postier… Or au Sénégal, par exemple, on observe que le débat politique est bien présent. Leur premier président était un intellectuel et un brillant homme de lettre.»

Au-delà de la seule personne du président Paul Biya, ce sont les rapports de tous les hommes politiques camerounais avec les médias qu’il faut interroger. Il y en a qui sont presque rebelles aux médias, alors qu’une autre catégorie utilise habilement la presse pour se faire une bonne clientèle politique et surtout pour exister dans l’espace public.

Dans la catégorie des taiseux, Paul Biya a entraîné avec lui un certain nombre de collaborateurs, voire toute son administration. Ils ne parlent pas. On l’a encore vu avec la très médiatisée affaire du bébé volé. Aucune des administrations concernées n’a cru devoir donner d’explications.


Bulles médiatique

Difficile ou impossible pour un journaliste de rencontrer des ministres ou de leur arracher une interview, quel que soit le sujet. Surtout quand on est de la presse privée. «Il y a des gens comme Laurent Esso, René Sadi, Amadou Ali, etc., qui ne parlent jamais. Quand Sadi était secrétaire général du Rdpc, nous lui avons adressé plusieurs protocoles d’interviews qui sont restés lettre morte. Ils essaient de faire comme leur patron. On a l’impression que moins on parle, plus on monte dans l’estime du chef», constate Rodrigue Tongue.

Du côté de l’opposition, il y a aussi des hommes politiques difficiles d’accès. Les journalistes politiques citent presqu’à l’unissons Bello Bouba, Ndam Njoya et Jean-Jacques Ekindi. «Un monsieur comme Jean-Jacques Ekindi est très difficile d’accès. C’est même un homme très compliqué et c’est pour cette raison que beaucoup de confrères préfèrent l’éviter», confie un journaliste. Georges Alain Boyomo de Mutations pense pour sa part que les leaders politiques de l’opposition sont ouverts dans l’ensemble. Il relève cependant que certains parmi eux sont très rigoureux. «C’est le cas, dit-il, de Garga Haman Adji et Dakolé Daïssala. Ils ne refusent pas les interviews, mais ils veulent toujours s’assurer que leurs propos ont été fidèlement retranscrits.»

John Fru Ndi, le Chairman du Sdf, est, lui aussi, ouvert. Mais, en général, regrettent certains journalistes, on ne tire pas grand-chose de lui. «Quand vous l’appelez sur son téléphone, souvent, il vous dit qu’il est dans ses plantations et vous renvoie vers Béatrice Anembom, sa responsable de la communication», affirme Rodrigue Tongue.

Dans la catégorie des coqueluches des médias, on recrute surtout des hommes politiques relativement jeunes. On peut citer Jean-Michel Nintcheu, Kah Walla, Ayah Paul, Vincent Sosthène Fouda, Anicet Ekane, etc. Ils sont si présents dans les médias que d’aucuns ont affirmé que Kah Walla, par exemple, n’est qu’une bulle médiatique. Et le sixième rang obtenu par celle-ci à la présidentielle du 9 octobre dernier montre qu’elle a su, en se servant habilement des médias, se faire une place au soleil.


17/02/2012
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