Comment les prostituées de Mini ferme de Yaoundé vivent le Mercato
Cette rue est devenue célèbre à travers le commerce du sexe qui y a établi son lit depuis des lustres.Malgré les injonctions des autorités administratives et traditionnelles, le coin a su résister au temps et est en cette période de vacances, l’un des hauts lieux de sexe les plus courus de la ville aux sept collines.
1-Bienvenue au marché de la « chair fraîche »
« Psst…, chérie ? On part…? Bébé, je viens ? ».
Difficile d’entendre ces paroles aussi douces qu’excitantes sans regarder d’où elles proviennent. Ces quelques mots sont énoncés par une adolescente, la vingtaine sonnée. Une mini-jupe noire qui recouvre à peine son fessier, laisse admirer le tatouage d’un joli cœur bleu qui timbre le milieu de sa cuisse gauche. Sa poitrine proéminente qui laisse voir deux boules dont on ne trouve que difficilement de taille au rayon soutien-gorge, déchire le regard des passants. Tout est dehors. Même la chemisette blanche qu’elle porte n’y peut rien. D’ailleurs, vu comment ce vêtement met ses seins rebondis en évidence, on dirait bien que son modèle a été conçu pour ce genre de poitrine. Cigarette en main, elle reprend sans cesse des paroles aguichantes en direction de tout individu qui passe dans son périmètre. Drôle de façon de draguer ? Non. Nous sommes en effet au quartier Melen à Yaoundé.
Sur la rue baptisée « Mini-Ferme ». Une bretelle qui va de la station-service Total en face du Centre hospitalier universitaire à la pharmacie des sept collines par l’Ecole nationale des travaux publics. Oui, nous sommes au marché du sexe. Ce vendredi, 17 juillet 2015. Il est 21 heures. La jeune fille que nous avons décrite plus haut s’appelle Michou. C’est une travailleuse du sexe. Elle fait partie de la centaine de prostituées qui se sont établies dans le secteur. Depuis 19 heures, à cet endroit, le trottoir est bondé de jeunes filles et femmes qui exercent le plus vieux métier du monde. La tenue vestimentaire de Michou et ses attributs sont caractéristiques de l’habillement et de l’attitude qu’adoptent ces opératrices du plaisir tarifié. C’est leur première arme. Approchées, quelques-unes acceptent de se confier moyennant quelques billets de Cfa. Sur la tenue, c’est très sélect. Nicole qui appâte ses clients entre la Société Fokou et la Cabaret Maison-Mère, révèle que « compte tenu de la concurrence, nous sommes obligées de mettre des habits légers pour séduire les hommes. Si tu t’habilles mal, qui va te regarder ? Les hommes aiment bien quand une fille est sexy ». A peine elle a terminé de parler qu’elle est interrompue par une « collègue de service » qui la rejoint. Cette dernière vient de boucler une partie de jambes en l’air avec un client. Sa tenue est perturbante. Une jupe rose qui dessine minutieusement ses fesses avec application. A moins d’être aveugle, ça saute à l’œil qu’elle n’arbore pas de sous-vêtements. Et elle fait bien d’être « nue dedans » car son Dragon tatoué sur la hanche crache son feu sur ses boules de fesses rebondies. Pas mal comme inspiration. Son explication est on ne peut plus claire : « si tu veux faire jusqu’à le feu sort ».
2-Le temps des vacances, la saison du Mercato
En cette période de vacances, c’est un véritable Mercato qui s’est opéré à Mini-ferme. De nouvelles prostituées ont été « recrutées » par des proxénètes établis dans le coin. Il y a de la chair fraiche. Toutes les formes pour tous les goûts. Cécile, une quinquagénaire et l’une des doyennes à Mini-ferme, « coupe » dans une maison de passe en contrebas de la boulangerie qui jouxte le domicile du chef de bloc. Malgré son âge, elle réussit à faire concurrence à la jeune garde, sa tenue panthère l’aidant beaucoup. Elle n’a pas droit à l’erreur. Vu son âge, elle a intérêt à rester in. Sinon, elle court le risque de passer des nuits dans le froid, adossée sur une voiture abîmée, abandonnée à son entrée. C’est elle qui nous renseigne : « chaque année, pendant les vacances, des jeunes filles viennent faire la prostitution ici. Il y a parmi elles des élèves qui viennent de très loin. Elles ont des amies ici qui ont commencé comme ça et qui sont restées. Beaucoup ne rentrent plus ». La présence encombrante des nouvelles recrue diminuent forcément les chances des autres d’obtenir un client. Et c’est la recette qui prend un coup. Cette catégorie de nouvelle recrues est classée à côté de celles qui renferment les origines plus classiques : des filles orphelines ; des filles abandonnées ; maltraitées ; la recherche du gain facile ; le recrutement par des proxénètes. Ainsi, ce n’est pas le sexe qui manque à Mini-ferme. De 19 heures à 6 heures du matin, les prostituées donnent du « plaisir » aux hommes à la quête des sensations fortes. S’agissant justement de ce plaisir, c’est ici que les choses sont parfois compliquées. Paroles mielleuses et tenues envoûtantes à l’extérieur sont en fait des hameçons d’un piège qui se referme sur le client une fois que celui-ci se retrouve dans la chambre de passe. Autrement dit, il est très rare de ressentir un réel plaisir en allant avec une prostituée de Mini-ferme comme on aimerait l’avoir avec sa propre compagne.
Nicole, l’une d’elles ne se cache pas pour donner des raisons. « Nous sommes là pour chercher l’argent mon frère. On n’a pas le temps à perdre. C’est le coup rapide. On ne peut pas faire l’amour normalement avec plusieurs hommes toute une nuit. Nous ne pourrions pas supporter et ça va vite nous détruire », explique-t-elle. Son « coup rapide » que certains appellent « wassawassa » est le véritable calvaire des clients. « C’est toujours compliqué d’aller avec une prostituée. Il faut être prêt dès que tu entres dans la chambre. Parce que la fille ne te caresse pas, elle enfile simplement le préservatif et tu montes sur elle. Elle remonte juste sa jupe ou se déshabille d’un seul pied quand c’est la culotte ou le pantalon. Elle laisse le haut sur elle. Tu dois seulement pénétrer et éjaculer », confie Julien, un habitué qui vient de « tuer » une. Si Julien maitrise la formule, ce n’est pas le cas chez tous les clients. Vladimir, un jeune homme qui tient un kiosque à cigarettes et qui ravitaillent en préservatifs les filles qui exercent à côté de lui, est témoin de nombreuses frustrations vécues par certains clients qui ont voulu atteindre le septième ciel avec les « femmes du peuple ». « Il y a des hommes qui arrivent ici et ressortent déçus parce qu’ils n’ont pas fait normalement. Parce que quand ils sont dans la chambre, ils n’arrivent pas à s’exciter. Et les filles n’aiment pas perdre le temps. Après cinq minutes, si ça ne se lève pas, elles te chassent.
Et quand ça arrive le garçon menace la fille. Mais la femme a toujours le dessus et elle a les gens qui la protègent », raconte Vladimir. Et il ajoute que « même quand tu réussis à pénétrer, il faut faire l’effort de vite jouir, sinon, après quelques minutes, elles se lèvent et c’est toi qui perd ». Finalement, le plaisir recherché auprès de ces filles de joie n’en est toujours pas un. Surtout que les chambres de passe sont pour la plupart malfamées. Un tour dans ces lieux peut faire vomir plus d’une personne. Des petites pièces d’à peine 5 mètres carrées. Des lits mal montés avec quelques traverses sur lesquelles sont déposées des matelas qui, à l’observation, vous refroidissent. Les lits qui tiennent de « Vip » ont des matelas recouverts de draps dont le dernier passage dans un seau d’eau date d’on ne sait quand. Sur le sol, les capotes usagées digèrent les gouttes de sperme qu’elles ont ingurgitées peu avant. Dans les chambres Vip, ce sont dans les petits récipients que ces préservatifs se racontent leurs tortures infligées par les clients dans les sexes des prostituées. Comme chante l’autre, il faut vraiment « avoir envie de », pour réussir à « se lever » dans de tels environnements.
3-Amour sauvage ou la prostitution de la loi ?
Selon Valentin Tsanga, patriarche établi à Mini-ferme depuis une quarantaine d’années, la prostitution dans ce quartier date depuis plus de trente ans. Aussi vrai que la prostitution est le plus vieux métier du monde, aussi vrai que Mini-ferme s’est mis à la petite culotte dès les premiers jours de son existence. « La prostitution a commencé ici il y a très longtemps. Plus de trente ans. C’est depuis que cette rue est devenue un lieu d’attraction. Les bars, snacks ont commencé à s’installer. Les filles viennent d’ailleurs. Ce ne sont pas les filles d’ici contrairement à ce que les gens pensaient au départ. Aussi bien les patriarches que les autorités ont tenté en vain de faire disparaitre cette activité. Aujourd’hui, c’est pire qu’avant. Surtout qu’on retrouve de très jeunes filles qui se lancent dans cette histoire », déplore le patriarche. Selon la loi camerounaise, notamment à travers l'article 343 du code pénal, tel que le relève Moïse Timtchueng, docteur en droit privé et sciences criminelles dans le magazine Eco-vox de 2008, « la prostitution tient soit dans le fait de se livrer habituellement contre rémunération à des actes sexuels, soit dans le fait de racoler publiquement des personnes en vue de la prostitution ou d’une débauche ». En effet, la loi camerounaise prévoit des sanctions. Il s'agit d’une peine d'emprisonnement et d’une amende, c'est-à-dire une somme que l'auteur doit verser au trésor public. Les articles 294 et 343 du code pénal camerounais prévoient un emprisonnement de six mois à cinq ans et une amende de 20 000 à 500 000 Fcfa pour la prostitution au sens strict. La peine d'emprisonnement est la même, mais le maximum de l'amende est porté à un million de francs pour le proxénétisme. Malgré cette batterie de mesures, Mini-ferme résiste à la répression. Le sexe ici est plus fort que tout. Du coup, on laisse faire. Et chacun est libre d’aller prendre son pied non seulement à Mini ferme dans d’autres points chauds de la capitale. C’est bon la vie.
Photo © AIDS ACODEV Cameroon