L’affaire Enoh Meyomesse est avant tout une affaire des medias : medias sociaux, presse écrite, radio, télévision. Parce qu’il en sera ainsi dans les prochains jours aussi, surtout lors de son procès que nous attendons tous, autant clarifier les données bien avant et dire les dimensions de la responsabilité des medias camerounais dans cette affaire. Lorsque le mercredi 30 novembre 2011, assis dans mon bureau à New York au matin, je lis le message d’un certain Léon Theiller sur le newsfeed de mon compte Facebook, j’appelle automatiquement Xavier Deutchoua, encore rédacteur en chef à Le Jour pour confirmer l’information. Je ne la publie pas encore sur ma page, car on ne sait jamais. Xavier me demande de le rappeler dans cinq heures, heures au bout desquelles il me dit qu’il n’a pas pu confirmer l’information, ni auprès de celle avec qui Enoh Meyomesse organisait des conférences publiques, Pauline Biyong, ni auprès de ‘sources policières’. J’essaie d’appeler Enoh lui-même, sans succès évidemment, et laisse l’affaire dormir un instant : sans que ma conscience n’arrive à dormir ! C’est que quand Enoh fut interpellé en janvier 2011, seul Camerounais qui allait alors à Abidjan quand tout le monde fuyait cette ville, j’avais lancé une campagne pour lui, campagne que j’avais interrompue. Et puis, Enoh que je n’ai jamais rencontré, était membre du comité qui a permis la libération de Bertrand Teyou ! Laissé avec mes questions intactes, j’envoie donc un message à Léon Theiller : ‘Pouvez-vous confirmer l'emprisonnement de Meyomesse, svp?’, qui prend deux jours pour me répondre, me donnant le numéro de téléphone de son contact à lui. Nous sommes le 7 décembre 2011.
C’est alors seulement que je lance l’alarme publique à laquelle deux journalistes réagissent : Solomon Amabo de Equinoxe Radio et Jean-Bosco Talla de Germinal, confirmant l’arrestation d’Enoh : le premier à travers ‘une source militaire’, le deuxième à travers un cousin d’Enoh qui me la confirme lui également en précisant que ‘la famille d’Enoh ne souhaite pas faire ébruiter l’affaire.’ Je ne voulais plus me taire. La confirmation n’était cependant pas publication, je m’en rendis compte, car il fallut encore convaincre quiconque au pays d’écrire une ligne sur l’arrestation de cet homme public qui a pourtant noirci de nombreuses pages de journaux au Cameroun – et comme je sais, gratuitement, qui est allé à Abidjan et a publié son récit dans Le Jour, et qui était un collaborateur des Cahiers de Mutations. L’article de La Nouvelle expression du 22 décembre est ici le summum du poncepilatisme, lui qui me prend comme seule source. C’est que j’ai écrit quelques articles à la suite de mon alerte, quatre articles en fait, ‘Liberez Enoh Meyomesse !’ (9 décembre), ‘Pourquoi Enoh Meyomesse a-t-il été déporté en Sibérie ?’ (19 décembre), ‘Enoh Meyomesse est innocent !’ (24 décembre), ‘Pourquoi Edgar-Alain Mebe Ngo’o mérite la prison’ (30 décembre), publiés tous par Hughes Seumo de camer.be le premier qui m’ait cru, sauf le troisième relayé par cameroon-info.net, Mutations-online, et au Cameroun par Ouest Littoral, articles dont l’avant-dernier a inspiré Emergence qui ainsi a consacré à l’arrestation d’Enoh la première une au pays. Quant à moi, je profite du prix des cinq continents de la francophonie que je reçois pour dédier celui-ci à Enoh, remettre au président Abdou Diouf la photo de l’écrivain, lui parler de ce cas, en parler sur Rfi, et faire des écrivains dont un prix Nobel, Le Clezio, signer une pétition pour sa libération – en fait un texte rapide, résumant mon article ‘Liberez Enoh !’ Dire qu’ils sont nombreux au Cameroun qui ont tout fait pour me convaincre que cette affaire n’avait rien de vrai : il m’a fallu deux semaines pour publier ladite pétition au Cameroun ! Le caniveau du journalisme sera cependant atteint ici quand Xavier Messe, le rédacteur en chef de Mutations, le 12 décembre au téléphone me dira que Enoh Meyomesse n’est pas ‘arrêtable’, parce qu’il ‘ne représente rien dans ce pays.’
Je n’oublierai jamais cette phrase car elle représente le caniveau du journalisme camerounais, mais ce n’est pas tout. Le même Xavier Messe s’assoira pendant deux semaines (deux semaines, oui !) sur le chronogramme de son arrestation et de son incarcération que Enoh Meyomesse pourtant son collaborateur et homonyme, lui fera parvenir par l’avocat Beling Nkoumba ! Et ce alors que le texte de Enoh Meyomesse était un droit de réponse à un article calomniateur sinon accusateur écrit par lui sur l’écrivain après la conférence de Issa Tchiroma ! Le texte d’Enoh sera finalement publié par La Météo avant d’être repris par Le Jour. Il faut bien le dire ici, ce sont plutôt des jeunes reporters qui ont pris cette affaire en main : d’abord le jeune Charles Mahop envoyé de Le Jour, et aussi le jeune Romuald Nkonlack assurant alors l’intérim de Xavier Deutchoua malade, comme rédacteur en chef de Le Jour. Charles Mahop mis en branle, le seul, oui, le seul, qui aura écumé tous les commissariats à Bertoua comme il me dit, pour découvrir finalement un co-détenu de Enoh Meyomesse et publier un article bref qui fera la petite une de son journal le 21 décembre : ‘Enoh Meyomesse introuvable.’ C’est la quête de ce journaliste à la gendarmerie de Bertoua qui aura déclenché ce que Enoh décrit lui-même en ces termes : ‘Lundi 19 décembre 2011: ‘Panique générale à la légion de gendarmerie. Je suis sorti de ma cellule tombeau, pour me voir signifier que je suis en train de "gâter" les choses. Un reporter du quotidien Le Jour a commis l'imprudence de demander à me rencontrer. Aïe! Je suis renvoyé brutalement dans mon cachot.’ Et voilà que le journalisme a mis fin à un mois de torture dans le secret d’un citoyen innocent ; voilà que la plume d’écrivain aura arraché de leurs griffes un citoyen camerounais ; voilà que le travail bien fait par un reporter aura secoué l’Etat de non-droit qui nous étrangle, car, continue Enoh Meyomesse dans son récit : ‘Mardi 20 décembre. Mon enquêteur m'informe que les choses se "gâtent" encore plus. Qu'y a-t il ? "Le Palais d'Etoudi a appelé le colonel, pour s'enquérir de mon sort; cela n'est pas bien".’ Ah, les messages sms que Enoh envoyait depuis sa prison n’étaient même pas pris au sérieux, sinon retournés contre lui comme le fera d’ailleurs Mutations, et seulement le 21 décembre son appel téléphonique réveillera la conscience de Jean Takoungang qui joindra sa voix à l’alerte.
Et que fait le palais d’Etoudi pendant ce temps ? Ajouter le mensonge au crime, car le voleur a été pris la main dans le sac : le voleur étant évidemment le colonel Oumarou Garibou, la main d’œuvre du ministre chargé à la défense, Edgar-Alain Mebe Ngo’o. Pour sauver les meubles mis en flammes par une question de journaliste, à la présentation rocambolesque des détenus devant les medias choisis (privés, Le Jour, Equinoxe Radio, CRTV), présentation au cours de laquelle un gendarme filme les journalistes en vidéo(Voir photo ci dessous)
pour leur faire pression au cas où leur récit serait différent de la version dictée par le Mindef, s’ajoute une conférence de presse extraordinaire (unique dans toute l’année comme mentionne si bien Le Messager) du ministre de la communication, Issa Tchiroma, conférence au cours de laquelle il veut donner publiquement une légalité au crime. Jusque datum sceleri ! dit Victor Hugo dans Napoléon-le petit. Et quelle légalité, chers compatriotes ? Pas le tribunal civil, non, le tribunal militaire pour un ‘vol aggravé’ ! Parce que cet épouvantail – tribunal militaire ! – assoirait un crime farfelu dont un innocent est accusé dans la scène publique ! Parce que ce tribunal militaire aux ordres du ministre de la défense qui a tout monté, ferait le travail de condamner à vie un homme de 57 ans qu’Oumarou Garibou n’a pas pu tuer ! Parce que le tribunal militaire, en dehors du droit citoyen condamnerait Enoh Meyomesse torturé pendant un mois et qui n’a pas avoué un crime qu’il n’a pas commis ?
La fuite en avant n’a jamais sauvé le menteur ! Issa Tchiroma aurait du lire comme tous les enfants de classe de première, Emile Zola dans sa lettre ‘J’accuse !’, et je le paraphrase : ‘comment espérer qu’un tribunal militaire aux ordres de Edgar-Alain Mebe Ngo’o déferait ce qu’un ministre de la défense nommé Edgar-Alain Mebe Ngo’o a fait ?’ Car tel est en fait le véritable dilemme, le vrai casse-tête de cette étrange affaire Enoh Meyomesse. La peur de se faire prendre dans les griffes d’un homme, Mebe Ngo’o, qui nous dit-on a tué Jules Koum Koum, sinon le monnayage et la pression, fait des journalistes se cacher, jouer les imbéciles, plonger dans les caniveaux, ou alors, sans blague, comme Boh Herbert si loquace sur cameroon_politics.com, depuis Washington DC où il réside, accuser plutôt Enoh Meyomesse d’avoir essayé de corrompre un gendarme qui dans le noir d’une cellule secrète de Bertoua, voulait le tuer de toute évidence pour cacher son propre crime ! Ah, quand le journalisme camerounais perd la tête, il refuse même de voir les subterfuges du survivant ! Les journalistes refusent de célébrer un homme, un citoyen camerounais, leur propre collègue en plus comme le dit si bien Célestin Bedzigui, qui a survécu à trente jours de torture et est encore à Kondengui ! Ils ajoutent leurs phrases haineuses à la sentence que le tribunal militaire écrit déjà ! ‘Un bon journal c’est un début d’émancipation pour tous les peuples dominés’, ainsi finit Main basse sur le Cameroun de Mongo béti. Et comment ! Et comment ! Enoh Meyomesse n’est pas encore libre, pourtant ceci est déjà certain : quand le journaliste fait simplement son travail, il peut sauver une vie ; quand il est brave, il peut sauver tout un pays !