Installés dans certains carrefours et à proximité des marchés, ils haranguent la foule, prétendent guérir tout et rien à la fois. Les femmes ne s’en privent pas et y accourent dans l’espoir d’une guérison.
1-Des cliniques à ciel ouvert
C’est un phénomène de mode à Douala. Des naturopathes, féticheurs et sorciers pour certains sont dans les rues. Carrefour Nelson Mandela. Un attroupement se crée non loin de l’arrêt bus. Au centre un homme harangue la foule. Selon ses affirmations, il soigne toutes les maladies, même celles réputées incurables. « Le mysticisme, c’est mon affaire. Je suis un grand sorcier. Si vous êtes envoûtés, je vous soigne. Dieu m’a donné le don de la guérison. Que les femmes qui n’ont pas enfanté viennent à moi, je leur donnerai la potion magique qui va leur permettre d’avoir un enfant. Si vous avez une plaie inguérissable, j’ai la solution… » Scande-t-il.
Dans la foule, une femme, la trentaine entamée, s’avance, la voix à peine audible, elle se confie : « J’ai des problèmes dans mon ménage depuis deux ans. Nous n’arrivons pas, mon mari et moi, à dormir de la nuit. Les cafards ont envahi la maison. Comment faire ? Il faut que vous m’aidiez », supplie-t-elle. «Madame, rétorque le charlatan, vous êtes victime de la sorcellerie. Votre voisin en est le principal responsable ; vous devez m’apporter un morceau de votre vêtement demain. Mais pour l’instant, donnez-moi 3000 Fcfa pour que je vous remette la potion que vous utiliserez à chaque fois que vous voudriez vous laver. Surtout, dès aujourd’hui, méfiez-vous de votre voisin, il est dangereux.» La femme s’exécute. Une potion d’une odeur nauséabonde lui est donnée.
D’autres femmes font autant. L’une après l’autre, chacune se confie. Les traitements varient en fonction des «pathologies». Sur une étoffe de couleur rouge posée à même le sol, l’on peut entre autres voir des écorces d’arbres, des décoctions embouteillées, des poudres multicolores contenues dans des sachets en plastique noirs à moitié ouverts, des feuilles fraîches ou sèches du gui d’Afrique, de l’eucalyptus, de l’aloe vera, de l’herbe appelée communément le « roi des herbes » et plusieurs autres plantes plus ou moins connues
Au carrefour Ndokoti, le scénario est presque identique. Ici, un homme tout de rouge vêtu joue avec un reptile. Et de temps en temps effraye le public. « Le grand maître », se présente-t-il, se veut très puissant. Ceux qui ont des serpents magiques dans leur W.C peuvent me contacter. J’ai la magie indienne. Je soigne les hémorroïdes, les fibromes, le poison et les couches de nuit. Plus besoin de subir une opération chirurgicale. Si vous voulez qu’on vous recrute quelque part venez me voir. Ceux qui nous gouvernent sont passés par moi… »
Non loin du marché de Bonewonda, un autre qui prétend être chirurgien déclare avoir appris durant son adolescence à soigner, à appliquer des pansements sur des blessures et à utiliser des remèdes de son cru pour guérir différentes maladies. Pourtant à première vue, il n’a jamais été apprenti sous la supervision d’un médecin. Toutefois, confie-t-il, avoir l’habitude de prendre en pension chez lui les malades afin de leur administrer lui-même ses remèdes. «Ophtalmotricien» prestidigitateur, il saupoudre les yeux avec des substances irritantes, qui pincent les paupières ou encore qui font apparaître subrepticement une pièce de cuir simulant l’extraction de la cataracte. Un véritable fakir !
A Douala, ces guérisseurs ambulants parcourent coins et recoins dans un pompeux équipage. Après un discours stupide aux badauds, ils leur vendent parfois un baume secret moyennant une certaine somme d’argent, puis disparaissent aussitôt au galop. « Ces fripons éhontés » savent duper non seulement la basse classe de la société, mais aussi des dignitaires de l’Église et de l’État. Ailleurs comme en France, on les couvre d’infamie et on va même jusqu’à leur infliger des peines corporelles. Tout comme on les dénonce aussi.
2- Des victimes à la pelle
Il est des histoires des victimes qui protègent certains de ces escrocs. En juin 2012, Hortense, tenancière d’un restaurant à Ndogpassi était désespérée, complètement perdue avec tous les problèmes qui lui tombaient dessus et avaient fini par la déstabiliser psychologiquement. Elle a rencontré Dr Kounsh de nationalité nigériane dans la rue et aujourd’hui elle le regrette. Dès le début de l’entretien, bien qu’elle eut à peine parlé, celui-ci s’est rendu compte qu’elle était abasourdie ; Et que « j’étais envoûtée ». Aussi vite, il avait un programme garantissant , dit-il que sa santé allait s’améliorer dès le début des travaux, que tous ses problèmes allaient se régler peu à peu, qu’elle ne sera plus rejetée par aucun organisme… « Il m’a demandé 200.000 Fcfa en espèces, me précisant qu’il n’acceptait pas les chèques (trop de problème de chèques en bois)», affirme-t-elle.
Et d’indiquer que : « j’ai 72 ans, je suis handicapée et en plus aveugle avec le DMLA (forme qui ne se soigne pas Ndlr). Les travaux débutés, je n’ai eu aucune amélioration. En septembre, je l’ai contactée pour lui dire que rien n’avait changé. Il me promit de venir pour comprendre ce que je faisais. Je fixe un rendez-vous qu’il n’a pas honoré, puis un second, puis un troisième. Et quand je l’appelais il avait toujours des excuses ! Puis il me dit qu’il fallait mieux attendre début janvier 2013. Après de multiples rendez-vous auxquelles il n’est pas venu, promettant de me rappeler sans le faire. »
Profitant parfois de l’âge, du désarroi, de la maladie, ils vendent du vent et entretiennent l’illusion. Les victimes se comptent par dizaines. Aujourd’hui, nombreux sont les ménages qui ne tiennent que sur un fil. Et qui sont en voie de perdre leur logement et se retrouver dans la rue. Parce qu’ayant hypothéqué tous leurs biens. Ce qui pourrait s’expliquer, pense un psychologue, par le fait que le charlatanisme semble inspirer confiance là où la médecine hippocratique connaissait des succès relatifs dans l’art de guérir. Pourtant argumente-t-il, l’opposition de la médecine scientifique avait beau décrier fermement les vertus des traitements des charlatans, il n’en demeure pas moins vrai que les guérisons obtenues par les traitements médicaux sont souvent loin d’être satisfaisantes, si ce n’est déplorables.
Bien plus, « la médecine scientifique n’avait pas toutes les réponses aux angoisses des malades. C’est pourquoi la magie et le mystère constituent bien souvent un élément d’espoir dans l’efficacité des gestes posés par les guérisseurs ». A propos, l’on pourrait citer quelques cas et leurs traitements empiriques : la cataracte avec des criquets écrasés, l’épilepsie avec l’œil droit d’un loup pendu au cou du patient, les palpitations avec des pièces de monnaie jetées dans une jarre de vin, le goitre avec le sabot d’un cheval réduit en poussière, le cancer avec du jus de feuilles de pêchers, etc.
3-Ces dangers qui nous guettent
Dans un entretien accordé au journal catholique L'Effort camerounais, Mgr Samuel Kleda, l'Archevêque de Douala, fait un discernement entre les charlatans, les guérisseurs et les naturopathes. Il met aussi les chrétiens en garde contre les faiseurs de miracles. Face aux difficultés qu'éprouvent les Camerounais pour se soigner convenablement, le prélat souhaite que l'Etat promeuve des recherches sur les plantes médicinales, afin de permettre à un grand nombre de trouver leur compte. Lorsqu'une personne annonce publiquement ou fait une publicité selon laquelle il soigne toutes les maladies, explique-t-il « cette personne n'est plus dans la vérité. Il faut s'en méfier, car c'est quelqu'un qui cherche de l'argent, et non pas une personne qui veut rendre service aux autres. Même le plus grand médecin du monde ne peut prétendre soigner toutes les maladies. L'individu qui prétend soigner toutes les maladies, ne peut plus être considéré comme étant un naturopathe, un tradi-praticien ou un guérisseur, mais, plutôt, un charlatan.»
Bien évidemment, les populations qui vont vers « ces faiseurs de miracles », encourent de nombreux dangers. « Dans un premier temps, ils ne font que de faux diagnostics. Généralement, ils ne parlent que de maladies mystiques et de sorcellerie. Ce qui signifie qu'ils sont les seuls capables de vous soigner. Et pour le faire, ils exigent de fortes sommes d'argent. Quand on est malade, il faut se rendre dans les centres de santé agréés. Je conseille aussi à ceux qui n'ont pas assez de moyens de se rendre chez les guérisseurs, tradipraticiens ou naturopathes intègres, reconnus et honnêtes, qui peuvent les soigner», conseille Mgr Kléda.