Claude Abé : Il faut débureaucratiser la Présidence
Le socio politiste décrypte la place et le fonctionnement de cette institution.
Quelle
est selon vous la place de la «présidence de la République» dans le
concert des institutions de l’exécutif, ou plus généralement de l’Etat
du Cameroun?
Avant toute analyse, qu’il nous soit permis de
commencer par esquisser une définition de cette structure. En tant
qu’institution, ce que l’on a coutume d’appeler « La présidence de la
République » est constitué de deux types de services : les services
centraux, comme le Secrétariat général ou le Cabinet civil, qu’il faut
distinguer de ceux rattachés comme les ministères et les organismes
délégués (la Conac ou l’Armp). Dans le métalangage commun des
Camerounais, l’expression présidence de la République désigne aussi
l’ensemble des collaborateurs du président de la République,
c’est-à-dire tous ceux qui sont en fonction dans les différents services
de la Présidence. Quand on parle d’Etoudi dans le langage populaire,
c’est aussi à la Présidence que l’on fait allusion. Il est prévu que
cette administration particulière, puisqu’il s’agit bien d’une,
remplisse une triple fonction. La première est une fonction d’assistance
au chef de l’Etat. C’est aussi à la Présidence qu’il revient la charge
d’assurer le relais et l’articulation des rapports entre le pouvoir
exécutif, le législatif et le judiciaire. La Présidence a également un
rôle de veille ou de suivi.
Mérite-t-elle d’être qualifiée de «mouroir des dossiers» ?
Si
on s’en tient à ce qui vient d’être dit, c’est-à-dire à l’ordre
principier des choses, la Présidence ne mérite pas ce qualificatif.
Votre question invite cependant à parler de ce qui est, c’est-à-dire de
ce qui se donne à voir au quotidien dans le fonctionnement concret de la
Présidence. Elle oblige dès lors à questionner l’Etat au concret. Quand
on jette un regard panoramique rapide, la réponse à la question est
affirmative parce que ce qui se donne à voir c’est que cette structure
fonctionne à partir d’un schème comportemental structurel de type
bureaucratique qui la rend lourde. Du coup, lorsqu’un dossier entre
dans les services de la Présidence, les choses tournent en un cauchemar
pour les usagers en raison du caractère interminable des attentes. C’est
dire que la Présidence fonctionne à partir d’une culture fondée sur la
logique du faire attendre éternellement jusqu’à épuisement. De fait, la
Présidence semble avoir son temps à lui qui n’a rien à voir avec les
exigences inhérentes à la culture du résultat et de l’efficacité ou à
celle de l’hypervitesse qui structurent pourtant notre ère, celle de la
globalisation.
Tenez à titre d’illustration, l’organigramme actuel
du ministère de l’Economie a mis environ cinq dans le pipeline de la
Présidence. Les projets de statuts particuliers d’un certain nombre de
personnels de la fonction publique ont déjà mis un peu plus de dix ans
pour sortir d’Etoudi. Ce que l’on veut dire c’est que la célérité est
une exception pour la Présidence pendant que la norme c’est prendre tout
son temps. C’est cette impression générale qui se dégage de
l’appréciation de son fonctionnement par les usagers qui leur donne
l’impression que la Présidence est un mouroir des dossiers.
Cette
impression est également soutenue par le secret qui entoure le processus
de traitement des dossiers dans cette institution. La communication
institutionnelle qui voudrait que l’usager sache où en est son dossier
reste le cadet des soucis de cette structure pour ne pas tout simplement
dire qu’elle n’existe même pas à l’ère où tout est pourtant
communication. Ce goût du secret qui est le propre des dispositifs
administratifs qui font le lit de l’arbitraire et l’affairisme encourage
l’absence d’action et justifie l’imager d’une Présidence mouroir des
dossiers. A partir du moment où il manque de transparence dans le
traitement des dossiers, du moins pour les usagers, rien n’oblige celui
qui en a la charge de se presser s’il n’y a pas une pression
particulière qui vient faire bouger les choses.
La thèse d’une
Présidence mouroir des dossiers ainsi formulée mérite cependant d’être
nuancée car on observe la célérité et l’organisation de la lisibilité
autour du traitement de certains dossiers, une sorte d’initiative par
défaut qui vient trancher avec l’habituel. Si une bonne part des
dossiers sortent difficilement des couloirs de la Présidence, il y en a
qui font le tour des bureaux en un tour de bras. L’implication
personnelle du chef de l’Etat eu égard à l’importance du dossier oblige
les uns et les autres à se mouvoir. Ce qui n’est pas une bonne chose car
si le président de la République doit venir à tout moment s’impliquer à
quoi ça sert d’avoir des collaborateurs ?
La multiplicité
des acteurs de cette présidence et leur grande influence dans un système
jugé «hyper présidentiel» n’explique-t-elle pas en partie l’inertie du
gouvernement décriée par le Président Paul Biya?
La multiplicité
des acteurs de cette Présidence atteste au moins de deux choses qui se
rejoignent pour apporter la preuve d’une inefficacité fonctionnelle de
type structurel. Primo, cette multiplicité d’acteurs place l’observateur
face d’une cour qui fonctionnerait à la manière d’une cour royale.
Secundo, la multiplicité a créé le trop plein pour rien comme cela se
donne souvent à voir dans le fonctionnement des sociétés de cour. La
particularité d’une cour royale, c’est que l’on trouve plein de
personnes aux titres divers et très rarement tous utiles dans
l’organisation de l’efficacité du fonctionnement de la structure. Pour
ce qui est du trop plein pour rien, il est connu par expérience que la
coordination du travail est rendu davantage difficile lorsque l’on est
nombreux.
Ces deux explications prises ensemble indiquent que tel
qu’elle fonctionne actuellement cette Présidence aux acteurs multiples
exerçant chacun une influence sur le système fait de l’inefficacité un
habitus de fonctionnement. Les influences respectives des uns et des
autres peuvent même justifier le déficit ou l’absence d’initiative par
crainte de marcher sur les plates bandes d’un réseau jugé plus puissant.
Cela fait de cette structure un champ de luttes entre forces en quête
de positionnement. Or, pendant que l’on lutte pour des positionnements,
l’intérêt du pays disparaît, il ne constitue plus le point de mire. Il
subit un déclassement qui le transforme en prétexte de justification de
la présence en ces lieux. Cela permet aussi d’éclairer sur l’atonie de
la Présidence car ces luttes peuvent aussi fonder l’inaction et
l’inertie.
Comment organiser notre système administratif en faisant de la présidence de la République un atout plutôt qu’un blocage?
Pour
nous, la réforme de nos institutions est d’abord un problème de
resocialisation, c’est-à-dire d’adoption de référentiels novateurs à
l’égard des enjeux du moments et de nouvelles manières de faire, de
penser et d’agir. La réforme est donc perçue ici comme une opération de
rupture avec ce qui se faisait ou se fait pour suivre une autre
trajectoire existentielle. C’est fort de cela que nous pensons qu’il
faut que la Présidence soit réorganisée en fonction d’autres
référentiels comme la culture de la diligence ou celle de l’obligation
de résultat. Pour cela il faut des délais bien précis au-delà desquels
les administrations qui attendent peuvent être autorisées à demander des
comptes. Cela permet un droit de regard sur leur action et une sorte
d’accountability, c’est-à-dire de responsabilité vis-à-vis des usagers.
Pour
y arriver, il faut débureaucratiser la Présidence pour en faire une
administration de service fonctionnant à rebours des lourdeurs, de
l’affairisme et de la culture de la rente. La structure
organisationnelle à donner à cette institution doit être produite en
échos cette dynamique fonctionnelle. Il faut en faire une Présidence et
non une cour où on rencontre des courtisans aux influences les plus
insoupçonnables qui finissent de tuer tout esprit d’initiative au profit
des intrigues de palais. Cela demande de dégraisser les effectifs pour
ne laisser que ce qu’il faut réellement. Cette dernière exigence est
solidaire d’un audit des ressources humaines, des postes et des métiers
de manière à déterminer ce qui est vraiment nécessaire et utile au
fonctionnement efficient et efficace de la structure.
Le Sgpr est généralement considéré comme un vice-Dieu, mais de plus en plus comme un maillon à l’avenir incertain…
Le
secrétaire général est un maillon important de l’armature
institutionnelle au Cameroun. De nombreuses missions et attributions qui
reviennent aux services du Pm ailleurs lui ont été confiés au Cameroun.
Ce qui en fait un personnage de poids au sein du pouvoir exécutif. Le
relais et l’intermédiation que réalise la Présidence entre le chef de
l’Etat et le gouvernement, c’est à lui qu’il revient de l’organiser.
C’est aussi à lui qu’il revient de soumettre à la signature du chef de
l’Etat les projets d’actes émanant du Premier ministère et des services
et organismes à la Présidence. Ce qui en fait un privilégié qui peut
avoir accès au Président avec facilité quand les dossiers l’imposent. Du
coup, il peut aussi être l’homme par qui pourrait venir la disgrâce de
quelques collaborateurs au sein du gouvernement ou alors leur
enracinement ou encore l’ascension de certains. Et quand on sait la
valeur du poste et l’attrait de celui-ci dans l’administration au
Cameroun, on peut comprendre que le secrétaire général apparaisse comme
un demi-dieu pour ceux qui, comme l’administration ne vivent qu’au
rythme de l’écoute des informations à l’attente d’une nomination.
Par
ailleurs, une certaine vox populi attribue au président de la
République une pratique managériale qui laisserait les mains libres à
ses secrétaires généraux. Cette supposée liberté d’action enivrerait
certains, sinon la plupart, à telle enseigne qu’ils finiraient par se
prendre pour le président de la République lui-même. Cette projection
serait à l’origine de la disgrâce dans laquelle tombe pas mal d’entre
eux au point de finir en prison.
Au-delà de cette imagination
sociale du rapport du Président à ses secrétaires généraux et des
conséquences qui s’en suivent, il faut reconnaître que le secrétaire
général est un personnage clé dans le fonctionnement du système. Et de
ce point de vue, cela demande beaucoup de rigueur, de lucidité, de tact
et d’éthique dans la gestion pour ne pas succomber à l’affairisme.
Le
cabinet civil et un certain nombre de conseillers et d’attachés
complexifient l’influence de la Présidence. Comment faire pour que ces
derniers n’aillent pas au-delà de leurs prérogatives officielles ?
Les
rôles des uns et des autres sont habituellement bien définis. Ce qui
signifie qu’il existe bel et bien une division administrative du
travail. Il faut donc d’abord rendre cette division rigoureuse de
manière à éviter des zones de flou ou de chevauchement. Si ces
collaborateurs du chef de l’Etat parviennent à aller au-delà,
c’est-à-dire à outrepasser leur attributions, nous croyons que c’est
parce qu’il n’existe pas un dispositif de contrôle et de sanction qui
obligerait les uns et les autres à se limiter à leur cadre de
compétence. Si le dispositif existe il faut l’appliquer afin que la
division des tâches soit respectée.
La première dame est
considérée comme un pouvoir à part entière au Cameroun et en particulier
à la Présidence. Partagez-vous ce point de vue ?
Pour répondre à
cette question, nous sommes obligés d’interroger la loi fondamentale et
le système d’action concret dans lequel se déploie la première dame. La
Constitution qui est la loi fondamentale ne connaît pas la première
dame. Au contraire du président de la République à qui il est réservé un
titre entier, il n’existe aucune disposition la concernant à
l’intérieur de ladite loi. Ce qui suppose qu’elle ne relève que de la
vie privée du président de la République. Même si à ce titre, nombre
d’actions en cette qualité l’introduisent dans l’espace public, elle
n’en reste pas moins dans l’espace privé de la vie de la république. Ce
qui n’en fait pas un pouvoir. Si nous en tenons à cela, nous ne pouvons
partager le point de vue selon lequel la première dame est considérée
comme un pouvoir à part entière.
Cependant, dans les faits, les
choses se passent comme si cette vérité contenue dans la Constitution
n’a aucune emprise sur la réalité. A titre d’illustration, il connu au
Cameroun que lorsque le Président se déplace, les routes qu’emprunte son
cortège sont sécurisées et dont interdit d’accès à d’autres véhicules.
Cette symbolique a souvent été reproduite à Yaoundé à l’occasion des
sorties de la première dame sans la participation du Président. Sur le
plan de l’imaginaire, cela participe de la construction symbolique d’un
pouvoir. Ce dernier, c’est aussi un ensemble de symboles. On a vu le
protocole d’Etat se réaménagé à l’occasion de la récente célébration de
la fête de l’unité nationale.
Au niveau de la Présidence, il y a des
services qui s’occupent du domaine privé privatif du Président. En
tant que son épouse, il est normal que la première dame ait un droit de
regard et un mot à dire là-dessus tout au plus pour les organiser à la
convenance de son époux et de la sienne propre. Mais, puisque votre
question parle de toute la Présidence, nul doute que ce sont ceux qui
jouent les courtisans auprès de la première dame qui contribuent à lui
donner ce pouvoir sur la gestion des affaires de l’Etat qui n’est prévu
dans aucun texte. Mais, il s’agit là d’un pouvoir au demeurant indirect
puisque c’est une influence. Cela signifie que si un collaborateur du
chef de l’Etat se rendait coupable d’acte délictueux dans la gestion des
biens publics, il lui serait difficile d’imputer cela à la première
dame même au cas où il se trouverait qu’il l’a fait sous sa demande.
Aucun texte juridique ne prévoit ce type de pouvoir dans
l’administration théorisée par Max Weber.
Sur un tout autre plan,
il est probable qu’en raison de l’imaginaire en cours au Cameroun qui
voudrait que les décisions d’un homme soient influencées par sa
compagne, qu’on puisse dire qu’elle a un pouvoir à la Présidence à
partir du moment où le Président est bel et bien son époux.
Propos recueillis par G.A.B et S.D.B