Citoyenneté: Les Attardés de la République
Par lemessager | Jeudi 22 avril 2010 | Le Messager
Le jeudi 8 avril, le premier adjoint préfectoral appelle avec un ton menaçant Henriette Ekwe lui expliquant que sur hautes instructions, ils doivent « s’occuper de BEBELA et de son directeur » et lui demande de passer à ses bureaux. Puis il rappelle le vendredi suivant, expliquant qu’il était en attente d’instructions de la hiérarchie pour l’entendre dans l’après-midi. Puis le silence. Le lundi suivant, à 8h, c’est le commissaire des Renseignements généraux qui appelle cette fois, enjoignant à Ekwè de passer à ses bureaux à midi. Surprise de cette nouvelle convocation, le commissaire des renseignements généraux la rassure sur cette convocation.
Elle arrive à midi dans les bureaux du commissaire Ekoum, commissaire des Renseignements généraux, accompagné de deux journalistes, le premier secrétaire du Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC), Alex Gustave Azébazé et de Florine Nseumi Léa, elle aussi militante du SNJC. Le commissaire lui annonce que la réunion se tiendrait ailleurs, dans le bureau du Délégué régional à la Sûreté nationale, à la surprise des journalistes. Henriette y trouve un gradé de l’armée et l’adjoint du commandant de la légion de gendarmerie en plus du patron régional de la DGRE. Les gradés de la Défense et de la Police sont en grande tenue. Les journalistes qui accompagnent Ekwè sont mis à la porte car « ce n’est pas une histoire des syndicats ».
Puis le délégué régional de la Sûreté nationale prend la parole sur un ton martial et menaçant. « Madame Ekwè, vous avez dit sur la télévision Equinoxe qui est sur satellite, le 6 avril dernier, en analysant la tentative de coup d’Etat du 6 avril 1984,que les conditions sont réunies pour un nouveau putsch. Alors que le président de la République essaie d’inculquer la culture de la paix, vous appelez le peuple à se soulever. Il n’y a pas de discussionS Madame Ekwè, la haute Hiérarchie militaire nous a instruit de vous mettre en garde contre de tels propos. La prochaine fois nous aurons recours aux lois ». Soit dit en passant, le délégué régional de la Sûreté Nationale reçoit maintenant ses instructions de la haute hiérarchie militaire. Le commandant en second de la légion de gendarmerie du Littoral prend alors la parole pour dire que « nous sommes des professionnels de la guerre, Madame Ekwè et nous savons de quoi nous parlons ». C’est alors que Henriette l’a repris pour lui demander s’ils avaient lu tout ce qui a été écrit sur cette tentative de putsch du 6 avril 1984. La commissaire reprend la parole pour dire que « ça suffit comme ça, il n’y a pas de débat ». Henriette leur rappelle alors qu’elle est journaliste et analyste politique et que, à ce titre, elle se penche sur tous les sujets concernant les institutions du pays, y compris l’armée et sur l’évolution de la situation politique. C’est alors que le colonel du secteur militaire du Littoral coupe brutalement la parole à Henriette et lui dit « Il n’y a pas de débat ici, si vous n’avez pas compris, tant pis pour vous ». Puis, le commissaire Nkili s’est répandu en menaces de tous ordres, rappelant à chaque fois que c’est une instruction de la haute hiérarchie militaire avant de conclure « on s’est bien compris ? ». Henriette leur répond « non on s’est pas compris » et il répond « nous, on a fait ce que nous devions faire, vous répondrez de vos paroles avec la mise en œuvre des lois de ce pays ».
Plus tard, des responsables de la police font dire par le biais d’une des relations d’Henriette, « que s’il paraît une seule ligne de cet entretien dans la presse, elle recevra immédiatement une balle dans la tête ». Rien que ça. On est en plein délire.
Il y a deux mois, A la suite d’un article mettant en cause le secrétaire général de la Présidence, trois journalistes, Bibi Ngotta, Serges Sabouang et Simon Hervé Nko’o ont été enlevés puis détenus au secret dans les sous-sols de la direction de la DGRE, face au lac dans la Vallée de la Mort de sinistre mémoire à Yaoundé, où ils ont été torturés pendant une semaine du 5 au 12 février. Noyades simulées, menaces de mort arme au poing, plantes des pieds fouettées au fer béton, puis réchauffées à la flamme d’un chalumeau. Dans cet enfer, ils ont croisé Limane Oumaté, le rebelle du Nord et quelques compagnons de sa croisade, ils étaient là depuis plus de cinq mois sans voir la lumière du jour, dans des cellules infectes où des seaux d’urine traînent là pendant des semaines, le sol constamment mouillé pour priver les taulards de sommeil. A la suite de cette dénonciation de cette détention illégale et de cette torture, des agents de la DGRE ont tenté d’empoisonner Henriette dans un restaurant à Yaoundé. Qui a dit que les lois d’exception comme l’Ordonnance de 62 ont été bannies ?
De même que, quelques mois auparavant, au sortir d’une émission de télévision, Ananie Rabier Bindzi est interpellé à la sortie du plateau à minuit pour un interrogatoire qui a duré jusqu’à 3 heures le lendemain.
Quelques mois plus tard, quatre des cinq journalistes qui étaient sur le panel, Aboya Endong Manassé, Alex Gustave Azébazé et l’organisateur du débat Thierry Ngongang sont traînés devant les tribunaux.
Il règne un climat délétère au Cameroun où un régime policier et militaire s’installe en douceur, piétinant les autorités administratives et politiques autorisées à gérer les libertés fondamentales.
Il était important de relater quelques épisodes de cette dérive militaro-policière car ces attardés de la République agissent, soit tapis dans l’ombre, soit au grand jour.
De deux choses l’une, soit les propos d’Henriette sont vraisemblables et doivent être pris au sérieux, alors les services de sécurité doivent enquêter, recouper, instruire, dans la discrétion inhérente à leur métier ; soit, ce sont des propos invraisemblables et farfelus, alors on doit les prendre pour ce qu’ils sont et ces propos ne doivent donc pas donner des insomnies à la haute hiérarchie militaire.
La question qui me vient à l’esprit est la suivante : qu’est-ce qui a donc pu piquer ces chiens enragés ? Henriette a-t-elle éventré un complot pour susciter autant d’agressivité ? Y a-t-il donc un coup d’Etat militaire en préparation à Yaoundé ? A-t-elle dans ses propos cité des noms ? Pas du tout. Qu’est-ce qui peut donc motiver ces menaces qui parlent d’élimination physique et de guerre ?
Voyons c’est sur les théâtres d’opérations militaires lors des conflits qu’on attend les militaires, c’est dans la lutte contre le grand banditisme qu’on voudrait voir exceller les officiers supérieurs de la Police et de la Gendarmerie. Pas dans la traque jour et nuit des « ennemis de l’intérieur ».
Que les mauvaises habitudes ont la vie dure. Les prédécesseurs de ces attardés de la République ont bien coupé les têtes des Moumié, Ouandié, Um Nyobé, Osende Afana. Le résultat de cet acharnement sanguinaire contre les patriotes de ce pays, est que nous sommes là, les dignes héritiers des héros de la lutte pour l’Indépendance et la Réunification. Nous sommes là, la nouvelle génération des patriotes kamerunais dont Henriette Ekwè fait partie.
Soit dit en passant, l’histoire de l’Humanité ancienne ou récente nous apprend que ce ne sont pas les chefs militaires issus des académies ou écoles militaires classiques et réputées qui ont gagné les batailles ou les guerres les plus décisives. Ce sont les chefs militaires comme Giap, de l’armée de libération du Vietnam, celui qui a donné des sueurs froides aux généraux de la puissante armée américaine, ou Martin Singap de l’Armée de libération nationale du Kamerun (ALNK), celui qui a tenu tête aux officiers de l’armée française et autres supplétifs de l’armée camerounaise, ce sont ces chefs militaires issus de la sève de la lutte pour la liberté et l’Indépendance qui ont inscrit en lettres d’or sur le grand livre de l’histoire militaire de notre pays, le combat pour la dignité. Alors, Messieurs, un peu d’humilité.
Nous sommes dans la période du Cinquantenaire de l’Indépendance et de la Réunification, le Chef de l’Etat a ouvert une petite brèche sur l’histoire de notre pays. C’est ce moment que choisissent ces attardés de la République pour s’attaquer à une figure de proue de la famille upéciste au Kamerun. Toucher à Henriette Ekwè, c’est nous toucher tous, héritiers de la lutte pour l’Indépendance et la Réunification. Nous nous sentons donc pleinement concernés. Nous sommes en éveil. Ce n’est pas aujourd’hui que les menaces feront reculer les patriotes.
Ces attardés parlent des lois de la République ! Drôles de légalistes qui foulent aux pieds, sans vergogne leurs propres lois. Est-ce donc la loi qui autorise aux militaires et policiers de convoquer pour menacer de mort une journaliste qui n’a fait que son travail d’analyste politique ?
Ces Messieurs ne sont pas seuls dans cette ignoble besogne. Plus sournoisement, d’autres tentent d’annihiler toute perspective d’ouverture dans le pays. Tenez.
Le Chef de l’Etat a décidé d’offrir des funérailles officielles au nationaliste Ntumazah. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. A cet effet, des responsables locaux du RDPC ont adressé au président national de leur parti, Chef de l’Etat, des motions de soutien pour cette initiative. Le journal du parti, l’Action et Cameroon Tribune, la voix de son maître, si prompts à publier des motions de soutien autant stupides les unes que les autres, ont refusé de publier celles-là. Vous avez dit attardés ? Nous y sommes.
Et pourtant le pays va très bien, n’est-ce pas ? Tout baigne dans l’huile, (l’orchestre joue et les gens dansent sur le pont du Titanic en attendant le naufrage). Mais comment donc un gentil petit poisson d’avril du quotidien Mutations sur une candidature du secrétaire général du parti à la Présidence de la République cause-t-il autant de remous ? Les propos d’Henriette ne prennent-ils pas encore plus de relief quand on analyse cette fébrilité. Car en réalité, je vous le dis, tout peut arriver dans ce foutu pays que nous aimons tant et pour lequel nos héros et martyrs, nos prédécesseurs dans la lutte ont versé leur sang. Alors foutez-nous la paix, messieurs les attardés galonnés ou non, de la République.
Anicet EKANE
Patriote engagé
Militant du MANIDEM