L’extraordinaire de la politique camerounaise est que l’Homme d’Etat qui battrait Paul Biya s’il y avait une élection présidentielle régulière dans notre pays n’a jamais été candidat à aucune d’elles : Jean-Michel Nintcheu. Ceci est significatif vu le nombre de candidats au départ de chaque élection présidentielle. Et parlant de lui, je dis l’Homme d’Etat parce que c’est ainsi qu’il faudrait désormais qualifier le député de Douala, après son discours-réponse au ministre de la justice Laurent Esso, discours censuré dans l’hémicycle, mais qui pour les générations futures définit clairement ce qu’est une loi inscrite dans la justice. Dans notre pays où le culte de l’argent a atteint des sommets tels que le président de la république peut créer un Tribunal spécial pour s’occuper d’argent querellé, quand il n’a crée aucun tribunal pour juger les crimes de sang commis sur nos populations de 1955 à 2012, il fallut bien que dans le cœur de notre Assemblée nationale, une voix s’élève pour dire cette évidence indiscutable : l’argent ne dépasse pas le sang versé.
Leçons éternelles de civilité au président de la république qui ainsi a cessé d’être le dépositaire de l’Etat de droit. Leçon particulière de justice au ministre d’Etat à la justice qui dans ses bagages traine des affaires sérieuses d’argent et de sang qui le poussent d’ailleurs sorti de l’Assemblée, à publier dans Cameroon tribune une dithyrambe pour se défendre dans les rues. Or ce dont Jean-Michel Nintcheu a été le porte-parole, c’est le début de restitution de l’Etat camerounais dans le socle du droit commun dont il a été déboîté par trente ans, non, par cinquante ans de désordre républicain : bref, c’est la mise-en-scène institutionnelle du changement dont notre pays a tant besoin. Mais c’est aussi une réponse positive parce que juste, à cette question que le tyran a essayé par la politique de la terre brulée de néantiser : de tous ceux que nous savons, quelle personne de calibre peut diriger le Cameroun après lui ?
Une génération, la nôtre, qui ferait la fine bouche devant les mandats à l’Assemblée nationale de Jean-Michel Nintcheu, mais a vu le président des USA, Barack Obama, ce noir fils d’émigré africain, occuper la Maison blanche après n’avoir été sénateur que pendant quelques mois, devra toujours se demander : sommes-nous moins intelligents que les Américains ? Nous qui reprocherions au député de n’avoir jamais été ministre du tyran mais avons vu le président de France, François Hollande, jamais ministre lui aussi, sortir d’une position de maire de petite bourgade, pour désaxer une Martine Aubry longtemps ministre et occuper l’Elysée devrions toujours nous demander ceci : sommes-nous moins intelligents que les Français ? Oui, nous qui dirions que Jean-Michel Nintcheu est un bamiléké et donc ne peut pas être président du Cameroun mais avons vu Macky Sall, Peuhl dans un pays à majorité Wolof, devenir président de la république du Sénégal devrions nous poser cette question également : sommes-nous Camerounais devenus moins intelligents que les Sénégalais ? La routine rébarbative de la sottise que veut nous imposer le RDPC, ‘le Cameroun c’est le Cameroun’ sera enterrée avec le régime de Paul Biya, tellement elle ne pourra pas répondre sans faire s’esclaffer nos enfants, à cette repartie évidente et pleine d’humour de Jean-Michel Nintcheu : ‘C’est un paradoxe bien camerounais de dépenser 12 milliards pour recouvrer 2 milliards.’ Parlez encore !
C’est que nous savons tous que Paul Biya, déjà tyran le plus longtemps resté au pouvoir dans l’espace francophone sinon en Afrique, et parmi les plus vieux, a raté sa sortie en se donnant sept ans de plus en 2011. Lui-même serait surpris si, devant la rapidité de l’évolution du monde, et ici pas seulement de l’Afrique, s’il parvenait, je disais, pas seulement à passer trente-sept (37 !) ans à la tête du Cameroun, mais aussi à son départ par lui maitrisé, à y imposer son ‘dauphin’ de l’heure – Réné Sadi – en massacrant celui qu’il n’aime plus, Marafa Hamidou Yaya. C’est qu’il sait lui non plus que devant la montre qui a commencé depuis quelques temps à tictocquer contre lui, la bataille finale pour Etoudi sera moins celle de partis politiques, de ‘projets de société’, que de personnes. Qui va prendre sa place ? A cette question simple mais de continuité de l’Etat à travers un individu, la session de l’Assemblée qui vient de s’achever a apporté une réponse claire en nous rappelant que celui qui depuis les années de braise à travers Cap liberté avait inscrit ses actes dans la définition de notre futur en imprimant ces cartons rouges demeurés nécessaires, ‘Biya must go !’, qui depuis février 2008 s’était positionné dans la rue comme l’alternative au RDPC et à Biya, est devenu un Homme d’Etat. Sacré Jean-Michel !