" Je suis bilingue ", on pouvait lire sur le sac en cuir déjà fatigué par l'usure du temps de mon instituteur de l'école primaire au cours moyen 1 à l'école publique francophone de Kumba. Mon maître était un véritable homme, posé, très stricte dans sa décision et très ordonné.Chaque matin après le rassemblement devant la salle des classes, l'on y accédait par ordre d'arrivée et en rang ordonné. Il était toujours le dernier et quand il faisait son entrée dans la salle de classe, nous étions tous debout , nous le saluions d'une même voix d'adolescent " Bonjour, Monsieur " et il répondait dans un air dominateur et rassembleur " Bonjour, asseyez vous…. Good morning, sit down "
Nous étions tous petits et ne comprenions pas la
portée de ses phrases. Aujourd'hui, je commence à comprendre après tant
d'années qu'il nous aimait et qu'il voulait inculquer en nous le sens
du bilinguisme.
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Cependant, dans mon école, on chantait une fois toutes les deux semaines
l'hymne national en Anglais et en Français. A cette époque, nous
craignions même que notre directeur d'école ne fût sévère, presque
embêtant. Mais, aujourd'hui, je me rends compte que mon maître et mon
directeur d'école étaient les mieux avertis en matière de bilinguisme
Dans mon école, on ne tolérait ni le pidgin (Mélange du français et d'anglais), ni les dialectes locales. On s'exprimait tous soit en français, soit en Anglais
Malheureusement, ni mon maître, ni mon directeur ne sont plus en service. Ils sont aujourd'hui tous des retraités . S'ils étaient encore en service, je suis convaincu qu'ils auraient traité nos dirigeants de " bons à rien " car, il ne se serait jamais expliqué comment dans un même pays bilingue, on continue à diviser les deux communautés linguistiques.
La satisfaction du président Ahidjo était d'autant plus légitime que le bilinguisme officiel (français/anglais), institué à la réunification du Cameroun oriental (francophone) et du Cameroun occidental (anglophone) en octobre 1961, devait servir de plate-forme à la politique d'intégration nationale. Sous la République fédérale du Cameroun, cet objectif n'a été que timidement poursuivi. C'est pourquoi la Révolution pacifique qui accouche de la République unie du Cameroun le 20 mai 1972 est saisie comme le levain qui fera enfin monter la pâte du bilinguisme.
A l'école, en dehors de quelques établissements scolaires dits bilingues, il existe toujours une barrière entre les deux communautés linguistiques. Soit on est Anglophone, soit on est francophone. L'expérience des classes bénéficiant d'une mixité linguistique a aussitôt échoué par manque de suivi.
Dans certains établissements scolaires, des campagnes d'affichages contre le pidgin ( Un mélange d'Anglais, français et de dialectes ) ont été initiés sans suivi. C'est ainsi qu le pidgin a pris de l'ampleur dans certaines familles, dans la rue, les marchés etc..
Depuis le 28 octobre 2002, la journée du bilinguisme est célébré le premier vendredi de chaque mois de février au cours de la semaine de la jeunesse. Ce jour, les élèves anglophones doivent communiquer en français et les francophones en anglais. Toutes les activités devront être menées en anglais (pour les francophones) ou en français (pour les anglophones). Mais dans nos écoles, pendant que les anglophones s'efforcent à s'exprimer en français, les francophones font leur étalage dans le pidgin Pourtant , l'instauration de cette journée est le couronnement d'un certain nombre d'initiatives pédagogiques visant à relancer le bilinguisme dans le pays
Dans certains ministères, c'est à peine si les patrons prononcent une phrase en Anglais pour les francophones, pendant que les patrons anglophones s'expriment tous en français. Paradoxe.
Mais, il faut dire la vérité en se regardant dans les yeux, car ce tableau du bilinguisme au Cameroun serait plus reluisant si les gouvernements successifs de Ahidjo et de Biya avaient mis les moyens pour poursuivre les objectifs fixés dans la Constitution.