Chretien Tabetsing : John Fru Ndi monte les enchères auprès de Paul Biya
Ce membre fondateur du Sdf, qui a défié John Fru Ndi en 1999, analyse
les orientations de ce parti et ses rapports avec le pouvoir.
Après
avoir pendant longtemps appelé les Camerounais à ne pas s’inscrire sur
les listes électorales, le Sdf fait volte-face, à quelques trois
semaines de la fin des opérations. Comment analysez-vous cette attitude
du Sdf ?
Le Sdf et particulièrement son leader, sont dans leur
logique qui consiste à plomber l’opposition camerounaise au profit de
leurs intérêts. Le Sdf face à Elecam a posé les vraies- fausses
questions. Or, il est de notoriété publique qu’il n’y a pas eu de
changement dans Elecam malgré la nomination des six nouveaux membres.
Une loi minimale sur le vote des Camerounais de la diaspora a été votée
et le décret d’application confirme clairement la main mise du
gouvernement sur les élections au Cameroun. La volte-face n’est qu’une
stratégie pour désorienter encore davantage les Camerounais. Il aurait
été logique et cohérent que le Sdf maintînt sa position et ne
participât point à la prochaine élection présidentielle. J’ai toujours
été pour les inscriptions des Camerounais sur les listes électorales
quel que soit le contexte.
A travers cette démarche, le Sdf ne fait-il pas le jeu du Rdpc?
En effet, le Sdf dans sa version actuelle n’est qu’une copie pâle du Rdpc. Donc, il n’y a rien de surprenant dans sa démarche.
De manière générale, comment appréciez-vous la nouvelle posture de Fru Ndi vis-à-vis de Paul Biya, son rival d’hier ?v
M.
Fru Ndi a toujours, et ceci depuis 1997, cherché à rencontrer le
président Biya. La situation politique actuelle du pays fait que chacun a
besoin l’un de l’autre mais pas pour l’intérêt des Camerounais
malheureusement.
Avez-vous le sentiment que les deux hommes sont finalement du même bord politique ?
Je
ne sais pas s’ils sont du même bord ou pas. Chacun joue sa partition.
M. Biya, bien qu’étant sûr de gagner la prochaine élection est face à un
dilemme. Les Camerounais sont fatigués du régime Rdpc et ne
s’intéressent plus qu’à leur survie. Le Cameroun, malgré ses énormes
potentialités, inquiète la Communauté internationale qui le fait savoir.
Et quoi qu’on dise, M. Biya perplexe, souhaite une sortie honorable en
laissant un pays en paix. Fru Ndi sait que la participation du Sdf à la
prochaine élection présidentielle crédibiliserait le scrutin aux yeux
de la Communauté internationale. Il en joue et M. Biya le sait. Tout se
fera comme d’habitude au détriment de la démocratie et du Cameroun.
Bien qu’appelant les potentiels votants à s’inscrire, Fru Ndi ne tombe pas le masque sur sa candidature à la présidentielle…
Comme
je l’ai dit plus haut, Fru Ndi sait qu’il n’a aucune chance
actuellement de remporter une élection présidentielle face à M. Biya,
car les jeux sont faits. L’opposition formelle qui a perdu de sa
crédibilité le sait aussi. Sur environ 25 000 bureaux de vote que
constituaient le Cameroun en 2007 et peut-être plus en 2011, plus de 80%
de ces bureaux de vote étaient et seront contrôlés par le Rdpc et
affidés. Le Rdpc recherche simplement un alibi démocratique.
Alors,
l’attitude de Fru Ndi consiste à monter les enchères, car c’est une
élection qui laisse les Camerounais indifférents. Sinon comment
expliquer cette volte-face à un mois de la convocation du corps
électoral ? En tout état de cause, même au pire, si la date des
élections est décalée, cela ne change rien dans le fond. Sauf événement
exceptionnel, Fru Ndi et Biya seront de la partie pour les
présidentielles prochaines.
Au sein du Sdf, des voix s’élèvent
pour demander l’éviction de Fru Ndi de la tête du parti. D’ailleurs on
signale déjà la candidature d’un député contre le chairman. Peut-on
aujourd’hui envisager le Sdf sans Ni John Fru Ndi à sa tête ?
Pour
que l’opposition camerounaise ne soit plus une imposture, il faudra
envisager les principales formations politiques sans leurs leaders
actuels après les prochaines présidentielles. Cela facilitera la
reconstruction de l’opposition et probablement une restructuration du
Rdpc dont le système est le vrai problème camerounais. Un nouveau leader
à la tête du Sdf pourrait être très bénéfique au pays.
Vous avez été le premier à challenger Ni John Fru Ndi au Sdf. Les jeux ont-ils été clairs ?
J’ai
été le challenger de Ni John Fru Ndi à la présidence du Sdf lors du
congrès de 1999 à Yaoundé et j’avais clairement dit pourquoi ce dernier
ne devait plus continuer à diriger le parti. En 1999, tout était encore
possible pour l’opposition, mais je n’ai pas été suivi pour les raisons
que vous connaissez, car les élections au Palais du congrès ont démontré
que Fru Ndi était pire que le Rdpc dans le domaine de l’organisation et
du contrôle des élections à son avantage. John Fru Ndi a commencé
l’anesthésie de l’opposition, et son allié, l’Etat- Rdpc, l’a achevée.
La situation actuelle du Cameroun est la conséquence de cet échec de
l’opposition dont Fru Ndi est le principal responsable en tant que
président du parti leader. Il faut reconstruire l’opposition.
Pourquoi, à votre avis, les anciens rivaux de Fru Ndi quittent-ils systématiquement le Sdf ?
J’ai
adhéré au Sdf par conviction. J’ai toujours pensé qu’il était sain pour
notre pays et pour la démocratie qu’il y ait une réelle alternance avec
une nouvelle politique économique et sociale, des nouveaux hommes et
femmes intègres, pour répondre aux aspirations profondes des
Camerounais. Le Sdf a trahi l’espoir mis en lui par les Camerounais pour
changer leur vie. Il y en a qui ont quitté le Sdf par désir de pouvoir
personnel, parce qu’ils avaient un égo aussi surdimensionné que celui
des leaders actuels de l’opposition formelle. D’autres sont partis par
déception. Ce sont ceux qui avaient vraiment cru à une réelle alternance
et au changement. Je fais partie de ces derniers.
Après le Sdf, vous avez été parmi les pères fondateurs de l’Afp, vous y êtes toujours ?
Je
n’ai pas quitté l’Afp [Alliance des forces progressistes, ndlr]. Je
suis toujours un des fondateurs de l’Afp. J’ai seulement pris du recul
pour mieux réfléchir sur l’avenir. J’ai pris le recul pour mieux
apporter ma contribution à cette réflexion pour le futur dont le pays ne
peut plus se passer car l’issue des élections présidentielles de 2011
est connue d’avance.
Comment envisagez-vous votre avenir politique ?
Le
drame au Cameroun, c’est que l’opposition ne se bat plus pour gagner
les élections, je ne suis pas sûr qu’elle se batte non plus pour que des
vraies élections (transparentes et libres) aient lieu. En fait, chacun
se bat pour des intérêts personnels. Dans ce cas, il ne peut y avoir de
réelle démocratie. En ce qui concerne le Rdpc, son avenir en tant que
parti de propositions me paraît totalement hypothéqué, car après plus de
30 ans, il n’y a plus rien à attendre de ce parti. D’ailleurs, les voix
s’élèvent déjà en son sein pour un changement.
C’est ainsi que j’ai
pris des distances vis-à-vis du militantisme partisan et de l’Afp, en
particulier. Car, j’estime que dans le contexte actuel il faudra
reconstruire l’opposition au Cameroun pour renverser le rapport des
forces qui est trop à l’avantage du Rdpc qui maîtrise toute la
technostructure électorale. Il faut à notre pays une nouvelle vision de
l’avenir. Il faudra le faire avec toutes les bonnes volontés et elles
sont partout. J’ai ainsi pris du recul avec beaucoup d’humilité parce
que je sais qu’au bout il faudra reconstruire le pays ensemble, sans
«chasse aux sorcières». Le pardon, la justice, le compromis et la
réconciliation doivent nous guider, parce que Dieu est en nous, du moins
pour ceux qui craignent Dieu.
Comment entrevoyez-vous le Cameroun dans cinq ans ?
Au
plan politique, notre pays a besoin de rupture et des réformes de
structure en profondeur : réhabiliter la politique en lançant la Réforme
et la Planification. Notre Nation c’est notre peuple tout entier
rassemblé autour de valeurs communes choisies et acceptées librement.
Elle est une construction politique dont la fonction est de garantir la
cohésion sociale et de faire respecter l’autorité de l’État. L’État se
fonde sur trois pouvoirs : pouvoir législatif, pouvoir exécutif et
pouvoir judiciaire. Or, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire
au Cameroun ne sont que des «tigres de papier», des «faux nez»
démocratiques. C’est donc de l’ensemble qu’il faut s’occuper et pas
seulement de l’exécutif (Président, gouvernement et leurs
administrations), mais de la restauration de l’autorité des pouvoirs
publics, de la République. Il convient donc, rapidement, de refonder
l’État camerounais pour sortir de l’impasse que génère l’immobilisme,
l’inertie actuelle et que la corruption généralisée accentue encore
davantage.
Pour ce faire, il est urgent de redonner à l’État son
éthique démocratique et républicaine pour que son autorité indispensable
soit légitime et incontestée. En un mot restaurer l’État de Droit afin
qu’il retrouve la légitimité qu’il a perdue. Une réelle décentralisation
et une réorganisation administratives s’imposent. Le principe de
subsidiarité doit dorénavant prévaloir. Le Parlement, particulièrement
le Sénat, sera associé à cette politique de proximité administrative.
Une nouvelle carte administrative est nécessaire dans cette perspective.
Dans le cadre de la décentralisation, une forme d’autonomie financière
locale est indispensable pour le fonctionnement et la pérennité de nos
institutions locales et territoriales. A cet effet, la mise en ?uvre des
règles régissant l’intercommunalité devrait être mise en place pour
accélérer le développement des collectivités locales.
Au plan
économique et social , dans un contexte de crises financières mondiales,
de la généralisation de la corruption qui empêche le développement
économique et particulièrement le secteur privé, l’oeuvre de
redressement économique donc social, doit être le résultat d’un choix
stratégique. Un choix qui permet de rectifier l’approche économique sans
hypothéquer l’avenir des finances publiques. Une forte croissance
économique au Cameroun nécessitera l’implication de l’État pour remplir
au moins trois conditions: l’autosuffisance alimentaire, la maîtrise de
l’énergie et le financement des projets structurants. Elle nous impose
avant tout une modernisation des structures de productions locales, une
dynamisation de l’épargne populaire et une redéfinition des missions de
l’État et particulièrement du système judiciaire. Cela passe aussi par
la lutte contre la contrebande, la fraude et la contrefaçon.
Propos recueillis par Georges Alain Boyomo