Chistopher Fomunyoh: L’après Biya sera géré par ceux qui n’ont pas été associés à ses échecs

YAOUNDE - 25 MAI 2012
© Xavier Luc Deutchoua | Le Jour

Le 18 avril dernier, le patron Afrique du National Democratic Institute (Ndi) a été auditionné au Sénat américain sur la situation politique au Cameroun.


Chistopher Fomunyoh
Photo: © Archives
«Epervier» vient d’ajouter l’ancien Premier Ministre Inoni Ephraim l’ancien Ministre d’Etat Marafa Hamidou Yaya à son tableau de chasse. Quelle impression vous laissent ces interpellations?

Indépendamment de ces cas particuliers que vous citez, pour la patrie, je suis attristé par ces arrestations. C’est l’image de tout le Cameroun qui est entachée par ces affaires de corruption et de détournement qui se sont produits, selon les accusations, au plus haut niveau de l’Etat. Comment ne pas s’émouvoir quand les journaux vous balancent la liste de tout un gouvernement qui se trouverait à la prison centrale de Kondengui. Quand on imagine que ces personnalités ont géré les affaires du Cameroun au niveau le plus élevé, il y a de quoi se demander ce que nous avons fait pour en arriver là. Le Cameroun, ne mérite pas ça!

Pour le volet «Albatros», par exemple, il est de toute évidence que des milliards ont été décaissés du Trésor public, mais l’avion voulu n’a jamais été livré. Alors, je me demande si des intrigues et des détournements peuvent s’opérer sur un dossier aussi sensible et suivi par l’entourage direct du chef de l’état? Combien de fois les mêmes pratiques se sont produites sur d’autres fonds, notamment ceux alloués à la construction des routes, des hôpitaux, des écoles, à l’investissement?


Vous semblez donc condamner les mis en cause, alors même que la justice n’a pas encore dit le mot de la fin. Où mettez vous la présomption d’innocence?

Je suis soucieux de la présomption d’innocence de chacun. J’espère que la justice fera son travail pour éclairer d’avantage l’opinion nationale et internationale sur ce qui s’est passé exactement. Nous avons le droit de tout savoir. L’amalgame actuel permet que certains innocents soient présumés coupables alors que certains coupables potentiels continuent de se promener dans des salons feutrés de la République.


Un des anciens ministres aujourd’hui incarcérés, Marafa Hamidou Yaya, a décidé de relever le gant face à Paul Biya. Que pensez-vous des lettres ouvertes adressées au Président de la République depuis son interpellation?

Au moins Marafa Yaya a le courage de faire connaître à l’opinion nationale et internationale son point de vue et ses prises de position sur les sujets d’intérêt national. Je trouve la publication de ses lettres très utile dans la mesure où elle permet de jeter une certaine lumière sur le fonctionnement du système Biya, avec toutes ses intrigues et ses zones sombres. Quelque part, c’est rassurant d’entendre les caciques du système reconnaître à haute voix ce que certains parmi nous dénoncent depuis des années.


Le 18 avril 2012, au nom de Ndi-Afrique, vous avez été auditionné devant la sous-commission des affaires africaines du Sénat américain sous le thème «Entrenched African Leadership». Vous avez alors mis en contraste le Sénégal et le Cameroun. Comment expliquer que, sur le plan démocratique, le Sénégal soit désormais à une année lumière du Cameroun?

Le constat est on ne peut plus clair. Voila que le Sénégal est à sa troisième alternance au sommet de l’Etat, dont deux par la voie des urnes et des élections crédibles et démocratiques. Pendant ce temps, le Cameroun se cherche encore sur les questions les plus élémentaires comme un code électoral consensuel sur lequel on n’arrive même pas à s’entendre. Il faut aussi souligner que le nouveau président sénégalais, Macky Sall, a 50 ans, et que, en 52 ans d’indépendance, le Sénégal a connu quatre chefs d’Etat, alors que les Camerounais n’ont connu que deux. Voilà encore que Macky Sall vient de déclarer ses biens selon la constitution de son pays, alors qu’au Cameroun, depuis la constitution de 1996, aucune autorité n’a eu à déclarer ses biens selon cet article 66 de la constitution. La comparaison en dit long et cela ne fait pas honneur au Cameroun qui, à son accession à l’indépendance, était considéré comme un pays phare, plus riche en ressources humaines et matérielles que le Sénégal.


Les sénateurs présents à cette audition semblent décidés à œuvrer pour la fin des régimes politiques africains ossifiés, dont celui du Cameroun. Est-ce là l’objectif que vous poursuivez? Est-ce le sens de votre démarche auprès du Sénat américain?

J’imagine que je fais l’éclairage de l’opinion publique non seulement pour les Usa et le reste du monde, mais surtout pour mes compatriotes. Dans ce village planétaire qu’est le monde globalisé du 21e siècle, l’information joue un rôle capital et c’est important que le message soit véhiculé aux compatriotes, aux amis et aux partenaires de notre pays. Il y va de l’intérêt de tous, d’abord pour dénoncer ce qui ne marche pas et, ensuite, pour informer sur des potentialités qui existent et sur ce qui pourrait être fait différemment.


Au cours de cette audition, Johnnie Carson, le sous-secrétaire aux affaires africaines, a exprimé un sentiment de déception et d’épuisement vis-à-vis de Paul Biya, suite à certaines promesses de modernisation du processus démocratique jamais tenues. Dans ce contexte les dirigeants américains peuvent-ils changer de politique au Cameroun?

Je ne peux pas me prononcer pour le compte de l’ambassadeur Carson et autres dirigeants Américains. Mais j’observe que l’agacement des amis du Cameroun est palpable au quotidien parce qu’ils n’arrivent pas à comprendre qu’un pays aussi nanti en ressources naturelles et doté d’un capital humain impressionnant n’arrive pas à rendre son développement économique et politique palpable, encore moins à jouer son rôle de leadership dans la sous-région et sur le continent Africain. Alors, je vous laisse imaginer la déception et l’amertume des compatriotes à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.


Je reformule ma question. En quoi votre «déposition» au Sénat américain peut influencer la politique américaine au Cameroun?

Dans le fonctionnement des institutions américaines, la politique étrangère est définie par le pouvoir exécutif. Néanmoins, le Congrès, à savoir le Sénat et la Chambre des représentants, est doté des pouvoirs constitutionnels qui lui permettent d’influencer la politique de chaque administration. Il faut aussi savoir que les décideurs américains disposent de plusieurs sources d’information. Alors, bien que les auditions au Sénat soient pertinentes, elles ne constituent pas l’unique élément qui pèse dans la prise de décision pour les interventions futures.


Votre analyse sur la gestion du Cameroun est teintée de suspicion, du fait des ambitions présidentielles qu’on vous prête. Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous êtes politiquement trop marqué et incapable d’un regard dépassionné sur le Cameroun?

Il y a des milliers de compatriotes qui s’attendent à ce que je sois plus passionné sur la situation actuelle de mon pays et pour son avenir. J’avais déjà eu à m’expliquer en profondeur sur cette question lors de la conférence de presse que j’ai tenue à Douala en septembre 2011. J’estime que tout ce que je fais, c’est par amour pour mon pays et mon attachement à la patrie. Le plus facile pour moi serait de me contenter de gagner ma vie au quotidien et de ne pas me soucier des 20 millions de mes compatriotes qui n’ont pas été aussi chanceux que moi. Une volte face de ma part serait contraire à mon caractère moulé depuis mon plus jeune âge et à mes valeurs personnelles. Je ne laisserai jamais à personne, surtout pas un tenant du régime actuel qui a ruiné tant notre beau pays, la liberté de jauger mes prestations, ou plus grave encore, de douter de mon patriotisme.


Au vu de votre profonde connaissance des pays africains et au regard de l'état actuel de nos institutions, comment entrevoyez-vous l'après Biya ?

C’est une vérité absolue que les hommes passent mais les Etats restent. Tôt ou tard, notre génération aura à gérer l’héritage politique des 30 années du régime et des insuffisances de sa classe politique. Il ne fait aucun doute que l’avenir du Cameroun devrait se gérer différemment par ceux qui ont une vision plus éclairée et qui n’ont pas été associés de près ou de loin aux échecs de l’heure. Je n’ai aucun doute que, comme cela se passe dans d’autres horizons, les populations auront à faire leur choix le moment venu et que le Cameroun va rebondir de plus belle.


Pour terminer, quelles sont vos premières impressions sur le nouveau code électoral camerounais adopté le vendredi 13 avril 2012 ?

D’emblée, sans paraître superstitieux, le vendredi 13 n’a jamais auguré de bon auspices. Plus sérieusement, ça fait plus de 20 ans que les Camerounais réclament un cadre électoral juste, équitable et inclusif. Voilà que le régime vient une fois de plus nous servir un code taillé sur mesure, en espérant une fois de plus échapper aux protestations de nos compatriotes. Je m’associe donc à tous ceux qui ont critiqué les manquements les plus élémentaires, entre autres l’article sur les cautionnements des élections, les dispositions sur la gestion des cartes d’électeurs susceptibles d’anéantir les avantages de la biométrie, la non prise en compte d'un scrutin présidentiel à deux tours, le bulletin de vote unique ou encore le vote à 18 ans, etc. Il y a tellement à revoir dans cette loi et dans notre cadre électoral et politique. Le manque de volonté politique de la part de ceux qui nous gouvernent aujourd’hui est évident, et il est à craindre, comme j’ai eu à le souligner devant le Sénat américain, qu’un mauvais code électoral ne pousse notre pays à connaitre la violence et un avenir incertain.


Propos recueillis par Xavier Luc Deutchoua



24/05/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres