Chefferies : Les élites prennent le pouvoir au Sud

Cameroun - Chefferies : Les élites prennent le pouvoir au SudPaul Biya,Jacques Fame Ndongo, Martin Belinga Eboutou, Jean Mendoua, Gervais Mendo Zé… sont des "dépositaires" de la tradition ancestrale.

Plusieurs ministres, directeurs généraux des sociétés d'Etat et dignitaires de l’armée camerounaise sont investis du pouvoir traditionnel dans la région du Sud. C’est notamment le cas de Martin Belinga Eboutou à Nkilzock, Gervais Mendo Zé à Otoakam, le contre amiral Jean Mendoua à Ato’oveng, Jacques Fame Ndongo à Nkolandom, Jean Jacques Ndoudoumou à Mvoutessi, Emmanuel Gérard Ondo Ndong à Assandjik ou encore Innocent Ondoua Nkou à Evouzok.

La légitimité de ces ministres, directeurs généraux et dignitaires de l’armée à la tête des chefferies traditionnelles du Sud fait débat. Les villages ayant ces élites comme chefs traditionnels se démarquent du reste des localités de la région dans plusieurs domaines. Les bourses accordées aux étudiants ressortissants des localités, les infrastructures, l’éducation, la santé, l’agriculture, l’électrification rurale et l’adduction d’eau potable. A Nkolandom, Mvoutessi, Ato’oveng, ou Nkilzok, les sujets des chefs bien placés sont généralement bien pourvus, à l’abri de nécessités de base. Des investissements à coup de milliards de Fcfa qui ne manquent pas de susciter des interrogations.

Notamment sur les réelles motivations de ces ministres, directeurs généraux des sociétés d'Etat et dignitaires de l’armée dans une région où la chefferie traditionnelle n’inspire pas une très grande considération.

Le cas du Nnôm Ngui'i

En marge des festivités du comice agropastoral d'Ebolowa, Paul Biya est intronisé Nnôm Ngui'i. Une distinction traditionnelle qui signifie « Le maître suprême de la science et de la sagesse millénaire des peuples de la forêt ». L'intronisation du chef de l'Etat se déroule dans une chambre secrète de "l'Aba minkukuma", la case des chefs. Au sortir de laquelle Paul Biya apparaît dans un costume traditionnel d’apparat. Une chasse mouche et une canne à la main.

Le chef de l’Etat, en guise de gratitude, remet une enveloppe de 40.000.000 Fcfa pour appuyer la chefferie traditionnelle du Sud dans son projet de construction des cases royales. Mais, curieuse coïncidence, trois mois après le rituel d’intronisation de Paul Biya, deux chefs traditionnels originaires du département de la Vallée du Ntem ayant pris part au rituel trouvent la mort et René Désiré Effa, président du forum des chefs traditionnel du Sud tombe gravement malade.

A ce jour, l'abba mikuma, où Paul Biya a été intronisé Nnôm Ngui'i est en ruine. En lieu et place du lieu sacré, une grande broussaille recouvre désormais le site.

Engouement intéressé

Laurent Olouman Ebendeng, chef traditionnel de Nko'ovos à Ebolowa trouve que la ruée des élites du Sud pour la chefferie traditionnelle est un engouement intéressé. "Ces élites veulent tout avoir. Les gens au Cameroun aiment cumuler des postes de responsabilités, surtout quand il s'agit du commandement pour être au dessus des autres". Le chef traditionnel de Nko'ovos ajoute que "la chefferie traditionnelle peut aussi attirer les élites à cause de ses perspectives d'avenir qui se profilent à l'horizon, notamment le statut attendu du chef traditionnel au Cameroun". Jean Maurice Noah, philosophe, lui, a toute une autre lecture du phénomène.

Pour l'enseignant, "il s'agit d'un retour à la tradition, une reconnaissance culturelle qui s'opère". Le philosophe explique : "La chefferie traditionnelle dans la région du Sud était en voie de disparition. Au départ, les élites s'impliquaient matériellement et financièrement pour soutenir la chefferie, mais aujourd’hui, elles préfèrent elles même occuper ces fonctions, c'est un renouveau culturel qui s'opère, une sorte de retour aux racines". Jean Maurice Noah fait également remarquer que "l'espace culturel dont il est question avait été envahi par la religion, les élites veulent donc sauver, sauvegarder et promouvoir leur tradition". Au delà,  indique le philosophe, c'est comme une espèce de nostalgie du passé ancestral qui les motive. Le chef traditionnel de Nko’ovos, Laurent Olouman Ebendeng trouve que les élites dépositaires du pouvoir traditionnel sont très éloignées de leurs sujets, car presque toujours absentes au village, du fait des hautes responsabilités qui sont les leurs en ville.

Le philosophe Jean Maurice Noah relativise. Pour l'enseignant, l'avantage à avoir des élites à la tête des chefferies traditionnelles est qu'elles peuvent, mieux que quiconque, se mettre au dessus de la mêlée étant matériellement et financièrement en sécurité. L'autre avantage, toujours selon le philosophe, c'est que ces élites ont un certain niveau de culture moderne et traditionnelle qui les met au fait des grands enjeux de l'heure car pour être chef aujourd'hui, il faut une certaine ingénierie qui n'est pas seulement liée à l'héritage familiale, mais qui doit tenir compte de la dynamique sociale actuelle qui est de plus en plus scientifique et technique. On aura des chefs traditionnels dans le pays d'un certain niveau intellectuel et académique, conclut le philosophe.

© Le Jour : Jérôme Essian


02/07/2013
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