Charles Ateba Eyene

Yaoundé, 24 Février 2014
© XAVIER MESSE | Mutations


C'est vendredi dernier, 21 février en début de soirée que son décès nous a été confirmé par son gardien à son domicile à Mfou. Déjà jeudi la veille, les nouvelles des plus troublantes et des plus invraisemblables circulaient autour du mal dont il souffrait, et de l'encadrement médical dont il bénéficiait. Il nous était impossible de lui rendre visite afin de nous enquérir de tout cela: le malade avait personnellement instruit son entourage à restreindre et à filtrer ses visiteurs au point où, pas plus de deux personnes n'étaient autorisées à s'approcher de son chevet au Centre hospitalier universitaire ou Charles Ateba Eyene avait été admis quatre jours plus tôt pour, avait-on appris des milieux soignants, une "insuffisance rénale".

Lorsque son décès fut confirmé, nos téléphones s'étaient obstrués d'appels entrants: du Cameroun et du reste du monde. Les appelants affolés, chacun cherchait à apprendre que la nouvelle était fausse.

À Winnipeg au fin sud du Canada, à quelques kilomètres de Minnesota à l'extrême nord des États Unis, une association de jeunes Africains et Américains qui se réunissaient régulièrement afin d'échanger sur les "idéaux politiques et moraux" que défendait le défunt, nous contacte: ils se relayaient au téléphone, chacun voulant entendre une voix du Cameroun, chacun voulant savoir comment et de quoi il est mort. Les plus sceptiques continuaient de croire qu'il ne s'agit que d'une "machination politique", organisée par des personnes que les multiples combats que menaient Charles Ateba Eyene gênaient. Des combats, il en a menés, courageusement, obstinément, sur plusieurs fronts, avec la même lucidité, avec la même passion, avec la même conviction que c'est lui qui se trouvait du bon côté.

En politique, il a épluché tous les textes de son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais. En étudiant cet arsenal des textes, il prenait systématiquement au mot les déviants qui voulaient sortir son parti de ses idéaux. Ses ennemis là-bas se recrutaient alors à la pelle.

Charles Ateba Eyene ne parvenait pas à comprendre que la région du Sud qui a donné au Cameroun un Président de la République, soit la moins servie en infrastructures de tous genres. Il relève les frustrations de ses compatriotes du Sud dans un livre-événement au titre provocateur de: "Les paradoxes du pays organisateur". Le microcosme politique du Cameroun tombe en transe, éberlué que ce soit un des siens qui publie ce brûlot. Le pouvoir tente de se rattraper en diffusant à tour de bras les tranches du "journal des projets" à réaliser vers le Sud. Le Président Paul Biya enfonce le clou par une kyrielle de promesses dans le même sens au Comice agro-pastoral d'Ebolowa en 2011. La pilule ne passe pas au Sud. Les promesses tardent à venir. Ateba Eyene est un héros.

Au plan social, il s'en prend vigoureusement "aux sectes, adeptes des pratiques magico-anales qui détruisent la jeunesse et la tire vers le bas". Là encore, il avait dérangé.

L'écrivain communicateur politique a prêché pour que la place qu'il faut soit accordée aux jeunes méritants pour prendre la relève. En le disant, il agrandissait son cercle d'adversaires d'un côté, il gagnait en estime les cœurs des jeunes de l'autre côté. Son "repêchage" par le Président du Rdpc, Paul Biya, au strapontin de membre suppléant du Comité central de ce parti, était perçu une fois de plus comme un échec de son discours auprès des caciques indécrottables du système.

Voilà un prêcheur dans le désert, un empêcheur gênant de l'ordre établi qui tire prématurément sa révérence. Il n'avait pas tout dit il ne pouvait pas tout dire. "On n'enterre pas Voltaire", avait dit le général de Gaulle. Quelle vision! Aujourd’hui encore, "Du contrat social", "Le pacte social" ou "La souveraineté", œuvres sacrées du penseur du début du XVIII ème siècle, continuent de guider les dirigeants. Elles alimentent encore les débats politiques et sociaux.

Charles Ateba Eyene nous est arraché prématurément par l'impitoyable mort. Il a eu le temps de semer comme Le Che, comme de Tocqueville, des semences de sociabilité et de démocratie. Désormais de millions de jeunes se réclameront de lui; il leur lègue une bibliographie de référence. Le Cameroun avait immensément besoin de cet intellectuel qui bouillonnait d'idées. Il en avait surtout besoin pour crédibiliser sa démocratie naissante. Les Français disaient de Jean-Paul Sartre qu'il "était un agitateur, mais un agitateur utile à la République et la démocratie". Nous en disons de même de Charles Ateba Eyene. Sauf qu'en France, l'agitateur Sartre était protégé. Au Cameroun, l'agitateur Ateba Eyene était honni, par les dirigeants politiques de chez lui. Quel drame! Quelle perte!


26/02/2014
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