Chantal Biya* : L’atout maître du président

Chantal Biya* : L’atout maître du président

La première dame s’affirme comme un pouvoir à part entière à la présidence de la République.

Un journal de la place a indiqué, après un calcul minutieux, que cela faisait un mois que le chef de l’Etat s’est installé à Mvomeka’a, son village natal. Mais si l’on s’en tient à l’activité qui s’y développe et telle qu’elle est assidûment relayée par les médias d’Etat, on a envie de dire (ou plutôt, d’écrire), que ça bouge plus autour du chef de l’Etat quand il est au village que lorsqu’il prend ses quartiers au palais de l’Unité. Il est vrai que les deux sites cumulés atteindront rarement le temps qu’il met hors du pays. Mais il n’a pas échappé aux yeux de personnes avisées que toute la gaieté qui se dégage de ces moments présidentiels a un nom : Chantal Biya. Les souvenirs les plus récents ? La semaine dernière, elle recevait, son éternel sourire en coin, une délégation des femmes du Cercle des amies du Cameroun (Cerac) venue préparer un plan d’action pour les futures activités. On l’aura surtout vue, kaba de circonstance et cheveux teintés, porter elle-même les plateaux et servir du champagne à ses convives qui n’arrêtaient pas de danser, l’oeil rivé sur la caméra.

Quelques jours après, pas besoin d’être futé pour la voir à nouveau derrière la grande parade artistico-politique organisée au palais présidentiel de Mvomeka’a, où près de 200 artistes musiciens (ils ne l’étaient pas tous, mais ce n’est pas bien grave), conduits par Odile Ngaska, Roméo Dika et François Nkotti, sont venus lui remettre un mémorandum dans lequel ils le supplient de se présenter à la prochaine élection présidentielle.
Le procédé a beau être connu d’avance (pour les précédentes échéances, il avait successivement utilisé les chefs traditionnels de l’ouest du Cameroun et les hommes d’affaires du Cameroun). Cette fois, son épouse a dû peser pour une dose de «popularité», afin de faire passer le principe de cette cérémonie. Le président n’aime pas trop se mêler aux gens, ça se sait. Mais dans le même temps, il reconnaît volontiers que son épouse, avec sa jeunesse et son caractère un peu boute-en-train, a cette modernité qui, finalement, semble bien le compléter et l’équilibrer.

Bien sûr, l’initiative n’est pas appréciée de la même manière par tout le monde. Et il ne faut pas compter sur l’unanimité pour couvrir Chantal Biya de lauriers. D’ailleurs, des voix comme celle de Joe la Conscience ne s’élèvent-elles pas déjà pour soupçonner le couple présidentiel d’avoir choisi «ceux-là mêmes que son régime de paupérisation du pays a clochardisés depuis des décennies, à savoir les artistes musiciens camerounais, comme ses outils de campagne. Invités à aller offrir un spectacle dans son village natal, nombreux (200 sur des milliers qu’ils sont dans le pays) sont les musiciens qui ont accouru, attirés par les enveloppes de billets de banque [qu’on] allait leur distribuer, en échange de leur signature d’une motion lui demandant de se présenter comme candidat».

Antichambre
Sans doute doit-elle avoir deux visages, comme le Janus biface. Le visage chaleureux, les éclats de rire, le pas un peu saccadé et le port vestimentaire un peu extravagant. Ce visage là à une caractéristique : le naturel, le côté relax à échanger avec les autres, à prendre un enfant (malade ou pas) dans ses bras et à le cajoler, à échanger de sa voix fluette avec des invités sur les choses de la vie, et discuter presque sérieusement avec K-tino ou Lady Ponce après avoir esquissé des pas de bikutsi. C’est ce visage qu’on voit à la télé le soir lorsque, repus par des journées difficiles et contraignante, on regarde le petit écran, Crtv ou Canal 2 (d’ailleurs c’est la même chose puisque ce sont souvent les seuls qui entrent aux palais présidentiels, et qui ont les mêmes prises de vues).

Et que confirment de nombreux témoignages de personnes ayant vu grandir à Dimako la petite Chantal Vigouroux, que ses cousins du village appelaient affectueusement «Ntangane», entendez «La Blanche», toujours prête à porter secours à autrui et surtout, déjà, le coeur sur la main. Mais on lui prête un autre visage. Celui d’une femme ambitieuse, qui a gouté aux délices du pouvoir, aux ors et lambris des palais qu’elle ne souhaite pas laisser de si tôt. Ce qui expliquerait que l'épouse du chef de l'Etat passe pour être, à elle toute seule, un véritable pôle de concentration du pouvoir.
Une antichambre du Nirvana présidentiel interférant directement sur la gestion des affaires publiques. Progressivement en effet, la "première dame" aurait donc réussi ainsi à mettre en place un système dynamique d'exercice réel du pouvoir, avec des hommes dévoués, un cabinet organisé, des moyens subséquents, le même temps d'antenne et les mêmes égards que son président d'époux dans les médias de service public. Cela expliquerait qu'on lui donne désormais du «Mme la présidente de la République» ou, plus simplement, du «Son Excellence»… Du coup, d’avoir fait venir les artistes pour pousser son «Paul» à se secouer un peu apparaît aussi comme un calcul personnel.

Si Paul Biya ne part pas du Palais, cela veut dire qu’elle y reste…
A 40 ans, elle aimerait bien prolonger le plaisir de rendre les autres heureux, à sa manière. En souffrant de moins en moins des comparaisons avec la classe et le raffinement d’une Germaine Ahidjo ou le charme discret et l’affection d’une Jeanne Irène Biya. Et sans aucune prétention non plus à jouer les premiers rôles d’intellectuelle comme Hillary Clinton (du temps de la splendeur de son époux-président). Quel que soit ce que lui réserve le destin, elle aura montré, encore une fois, qu’elle est au centre du jeu et de la stratégie politique du chef de l’Etat. Au moins pour les semaines à venir.

Alain B. Batongué
*Article paru dans Mutations
du 24 juin 2011



24/01/2012
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