Chantal Biya, la vigoureuse «présidente» du Cameroun
Alors que le pays est en pleine campagne pour la présidentielle, la personnalité de Chantal Biya, la Première dame, apparaît comme un atout indispensable pour maintenir en place le régime de son mari.
Chantal et Paul Biya à Montreux en Suisse, octobre 2010 © Valentin Flauraud / Reuters
l'auteur
Mise à jour du 19 octobre: Selon le quotidien Mutations cité par RFI, Paul Biya aurait remporté l'élection présidentielle avec 77,98% des suffrages.
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Mise à jour du 18 octobre: L'opposant camerounais John Frudi Ndi et six autres candidats à l'élection présidentielle ont annoncé qu'ils rejetteraient par avance les résultats du scrutin du 9 octobre.
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Juin 2011, à Mvomeka’a dans le sud du Cameroun, plus de 200 artistes sont réunis dans la résidence privée du couple présidentiel. Prenant pour prétexte la fête de la musique, ils sont venus chanter les louanges du président Biya, ils sont venus prier le chef de l’Etat sortant de se porter candidat pour un nouveau mandat de sept ans à la tête du pays. Message entendu depuis lors, puisque le président camerounais bat aujourd’hui campagne, en face de 22 autres concurrents, pour le scrutin du 9 octobre. Les salamalecs terminés, les artistes chauffent la grande place de Mvomeka’a, le village natal de Biya, et donnent un concert de flagornerie jusqu’à l’aube, avec au milieu de la piste de danse pendant plusieurs heures, Chantal Biya, la Première dame du Cameroun, en personne.
Une enfant de la forêt
Cet événement est inédit dans l’histoire du pays, où on n’avait jamais vu autant de musiciens se transformer en griots politiques.
De même, la course cycliste internationale baptisée Chantal Biya qui
s’est courue fin septembre sur les routes parfois cahoteuses du
Cameroun, en pleine campagne électorale, n’a pas fini de susciter
commentaires, critiques et moqueries. Dans tous les cas, ces deux
événements constituent les derniers hauts faits d’armes de celle que
tous les Camerounais appellent, affectueusement ou non, «Chantou». L’épouse de Paul Biya
possède une grande capacité à briser les codes et le formalisme, comme
lorsque du haut de ses escarpins, elle danse du bikutsi (rythme
traditionnel du Cameroun) avec les musiciens qu’elle a personnellement
invités pour venir flatter son président de mari. Et cela fait d’elle,
l’un des personnages les plus populaires, au côté des légendes du
football comme Roger Milla ou Samuel Eto’o. Bien loin d’ailleurs devant Biya lui-même, qui tient pourtant les rênes du pays depuis maintenant 29 ans.
Pourtant,
lorsqu’elle naît en 1970 à Dimako, un petit bled perdu dans l’immense
forêt de l’est du Cameroun, rien ne prédestine Chantal Vigouroux à
devenir une pièce essentielle de l’appareil d’Etat. Son père, Robert
Vigouroux, est un forestier français. Sa mère, Rosette Ndongo, est
encore lycéenne à l’époque. La jeune Chantal est élevée par ses
grands-parents maternels, avec la modestie des moyens des ouvriers
postcoloniaux des années 70. S’ensuit alors une vie de débrouille qui la
conduit quelques années plus tard à Yaoundé, la capitale, où elle écume
les endroits chics fréquentés par les barons du pays, quand elle ne
sert pas de modèle à des stylistes qui tentent péniblement de se faire
une carrière. «Chantou» arrive au cœur du pouvoir, vraisemblablement
sans trop y avoir jamais pensé, alors qu’elle n’a que 24 ans.
Sa rencontre avec Biya
Lorsque
Paul Biya épouse Chantal Vigouroux en secondes noces, en 1994, les
supputations vont bon train sur l’origine de leur rencontre. Certains
racontent vite que le président l’aurait ravie à un de ses courtisans.
D’autres encore évoquent le passé prétendument dissolu de cette jeune
femme et ses manières, il est vrai à ce moment-là, peu coutumières des
usages du protocole républicain. Même la journaliste belge Beatrix
Verhoeven, dans une biographie pour le moins dithyrambique qu’elle lui
consacre en 2008 (Chantal Biya, la passion de l’humanitaire, éd. Karthala), rappelle seulement que «le mariage avec Paul Biya fut ce qu’il y a de plus sobre et de plus discret».
Mais c’est Michel-Roger Emvana, auteur d’une biographie de Paul Biya, Les secrets du pouvoir, chez Karthala, qui raconte l’histoire:
«Ils se sont rencontrés au cours d’une des nombreuses fêtes que le président donne souvent à Mvomeka’a. Chantal y était invitée, parce qu’elle était très amie de feue Elise Azar, la femme d’un neveu de Paul Biya.»
Ils
se seraient ensuite fréquentés pendant plus d’un an dans une discrétion
dont Paul Biya a le secret; avant d’officialiser leur union par un
mariage civil et religieux que relate Beatrix Verhoeven, dans un lyrisme
un peu gênant. La presse privée, dans ces années qui suivent le retour
du multipartisme, ne fait quant à elle aucun cadeau à la nouvelle
Première dame lorsqu’elle apparaît au grand public le 20 mai 1994 à
l’occasion d’un banquet au palais de l’Unité (résidence officielle du
chef de l’Etat).
Les commentateurs insistent sur le contraste
avec le raffinement et l’élégance de Jeanne-Irène, la première épouse de
Biya, décédée deux ans plus tôt. Ils imaginent que «Chantou» ne sera
qu’une potiche: elle a des manières un peu gauches, vient d’un milieu
modeste et elle a très peu d’instruction. Autant d’a priori qui amènent
les adversaires de Biya à reporter leur fiel sur la nouvelle épouse du
président.
Le goût du pouvoir
Un peu comme l’appétit vient en mangeant, le goût du pouvoir s’acquiert en l’exerçant ou tout au moins, en en fréquentant les allées. De la jeune femme un peu maladroite que les Camerounais ont souvent vu lors des cérémonies officielles, Chantal Biya est devenue le socle sur lequel repose le régime de Yaoundé.
«En 17 ans, elle fini par instaurer un véritable système de cour. Aujourd’hui, qu’on veuille se l’avouer ou non, elle fait et défait tous les dignitaires du régime. Elle est allégrement tombée dans tous les travers du clanisme et du népotisme car, on voit bien qu’un certain nombre de postes clés dans la haute administration, les sociétés parapubliques et même dans le gouvernement sont tenus par des personnes originaires de sa région natale dans l’Est», affirme sans sourciller Etienne Tchapda, enseignant en sciences politiques à l’université de Yaoundé.
L’apparente timidité de la Première dame camerounaise ne cacherait, selon le politologue, qu’un tempérament de feu. Elle fait par exemple muter, loin à New York, un ancien chef du protocole d’Etat pour le faire remplacer par un ami proche, aujourd’hui fidèle parmi les fidèles. De la même façon, un journaliste à la télévision nationale dont on dit qu’il serait un cousin éloigné de Chantou, est propulsé du jour au lendemain, directeur adjoint du cabinet civil de la présidence. Excusez du peu! Et tous les autres courtisans se battent pour gérer ne serait-ce qu’un modeste pan de ses multiples projets humanitaires. La Fondation Chantal Biya, le Cercle des amis du Cameroun, l’ONG Synergies africaines et le Centre international de référence Chantal Biya, consacrés à la lutte contre le sida, les Ecoles des champions qui s’ouvrent un peu partout dans le pays pour les enfants déshérités, les innombrables sacs de riz et autres victuailles qu’elle offre à tour de bras aux populations des zones rurales et toute l’attention qu’elle porte aux orphelins… Si l’on en croit Beatrix Verhoeven, le Cameroun aurait trouvé sa «Mère Teresa».
Comme son époux, Chantal Biya s’exprime peu. Mais au Cameroun tout le monde parle d’elle. Surtout pour commenter son activisme un peu débordant dans le domaine de l’humanitaire. Et pour dénoncer sa mainmise sur l’appareil de l’Etat. Des critiques que Chantal Biya ne semble pas toujours prendre avec la candeur que l’on peut lire sur son visage. Bertrand Teyou, journaliste et écrivain camerounais en a fait les frais, après avoir publié un pamphlet en 2010. La Belle de la République bananière (éd. Nation libre) a valu à l’auteur d’être emprisonné dans les geôles de la prison de Douala, la capitale économique. Avant d’être libéré en mai 2011, officiellement pour des raisons de santé.
«Je n'ai aucun reproche à adresser à l'épouse du président, mais je refuse de vivre dans ce pays où elle exerce un pouvoir excessif sur la vie des citoyens. Je ne supporte pas le fait que notre pays soit ravagé par la corruption et que personne ne réagisse pour s'élever contre cela et changer les choses», écrit Bertrand Teyou.
L’as de pique du président
Mais au-delà de tous ces travers
dans lesquels tombent fatalement toutes celles dont les époux sont au
pouvoir depuis trop longtemps, Chantal Biya fait surtout parler d’elle
pour ses tenues vestimentaires extravagantes et sa coiffure exubérante.
Un style sur lequel les projecteurs du monde entier se sont braqués en
2009, à l’occasion de la visite du pape Benoît XVI
au Cameroun. «Chantou» avait alors fait étalage de toilettes qui
oscillaient entre le ridicule et le pathétique, amenant le journal
britannique Daily Mail
à la classer parmi les Premières dames les plus glamour. Un classement
dont on ne sait toujours pas s’il s’agissait d’une mauvaise blague.
Qu’à
cela ne tienne, des observateurs estiment que tout cela est bien
organisé. La trop grande présence de Chantal Biya sur le terrain, ses
actions sociales et humanitaires, appréciées ou non, permettent de faire
oublier les absences longues et répétées de Paul Biya du territoire
national, et d’étouffer les critiques de l’opposition, sur cet homme
qui, à 78 ans, s’apprête selon toute vraisemblance, à remporter la
présidentielle du 9 octobre. C’est ce que pense le politologue, Etienne
Tchapda:
«Depuis toujours, elle mène une campagne au long cours pour son mari. Elle est présente sur le terrain et sait parler aux couches populaires. Qu’on l’aime ou pas, elle attire l’attention et permet de faire oublier les rancœurs que soulève l’inaction de son mari à la tête de l’Etat et l’extrême précarité dans laquelle son régime a plongé les Camerounais.»
Raoul Mbog