Célestin Bedzigui: Comme à Tunis, nous aurons bientôt nos élections de la rue
YAOUNDE - 07 FEV, 2011
© Alain B. Batongué | Mutations
L'homme politique et Chairman du Global Democratic Project basé aux Usa analyse les derniers événements politique en Afrique.
© Alain B. Batongué | Mutations
L'homme politique et Chairman du Global Democratic Project basé aux Usa analyse les derniers événements politique en Afrique.
Je pense que la vague séculaire de l'uniformisation des mœurs politiques qui depuis deux siècles a établi la démocratie comme norme de fonctionnement de l'espèce publique, qui a débuté par la révolution américaine en 1776, s'est prolongée par la révolution française en 1789, a conduit à l'effondrement du bloc soviétique dans les années 1980, que cette lame de fond est entrain de toucher les rivages du monde arabo-noir. Sa propagation se poursuivra en fonction des résistances culturelles et sociétales endogènes et des enjeux géostratégiques qui dicteront le soutien de la ''communauté internationale'' à ce mouvement, la ''communauté internationale'' étant en réalité le nom donné aux intérêts ''américano- européens''. Ce qui se passe en Tunisie ou en Egypte est donc ici apprécié dans certains cercles non pas exclusivement comme un moment où des peuples accèdent à plus de démocratie, mais surtout en fonction de la préservation des intérêts occidentaux dans la région. Connaissant la position stratégique et le poids de l'Egypte dans le monde Arabe, quelles peuvent être les conséquences a court ou a long terme d'une Egypte politiquement instable et acceptant péniblement la démocratie ? Il va sans dire qu'une situation où la paix civile est durablement perturbée a un impact à la fois économique, politique et diplomatique sur un pays. La dimension de l'Egypte accroitrait l'ampleur négative d'un tel impact à court et moyen terme autant sur pays lui-même que sur la région. Ceci dit, nous assistons à un enfantement, celui de la démocratie dans ce pays. Une loi de la nature veut que tout enfantement se fasse dans la douleur, prenant l'exemple de la naissance d'un enfant. De mon point de vue, l'avènement en cours de la démocratie en Egypte en fera un pays plus stable, pour le plus grand bien de la région. Un régime démocratique est généralement plus stable qu'un régime autocratique et rassure plus les investisseurs dont l'afflux peut contribuer à résoudre l'un des problèmes a l'origine de ce conflit qui est le chômage. Ce pays a longtemps vécu en autocratie, adossé sur un individu. En autocratie, le principe central de la politique est la crainte alors qu'en démocratie, il est la vertu. Lorsqu' en autocratie la crainte s'évanouit, le système montre toute sa fragilité. On le voit bien ces jours derniers en Tunisie et en Egypte. On le verra dans un avenir qui n'est pas si éloigné au Cameroun. Les cas de la Tunisie et de l'Egypte peuvent-ils créer un effet boule de neige dans d'autres pays africains, notamment en Afrique subsaharienne ? On pourrait le penser, bien que les délais de propagation ou de duplication du phénomène puissent être plus ou mois longs, en fonction des conditions spécifiques de chaque pays. Dans la marche d'un peuple vers la démocratie, il y a toujours un temps d'apathie- soumission, ensuite une phase de tension qui débouche sur une rupture violente lorsqu'un despote essaiera de bloquer l'évolution de son pays vers cet idéal. Chaque pays d'Afrique subsaharienne peut être positionné dans ce qui est un véritable lieu géométrique. Vous aimeriez certainement savoir où je situe le Cameroun ? Le degré de contradictions qu'on y a atteint le positionne à la phase intermédiaire où tout peut arriver à tout moment… Vous parlez de spécificités. La proximité dans le temps des événements en Tunisie et en Egypte peut-elle être expliquée par une similitude de conditions ? Les systèmes politiques des pays arabo- musulmans sont pour la plupart caractérisés par ce qu'on appelle en science politique le ''despotisme oriental'', où la présence d'un Etat fort coexiste avec un ''Rais'', homme fort, tous s'appuyant sur un fort sentiment de communauté dont le liant est la religion musulmane. Vous avez vu dans les images en Egypte, à quel point les forces de l'ordre et l'armée évitaient de se livrer à un massacre du type Tien An Men ; et surtout combien les dirigeants cherchaient par le verbe, à se reconnecter avec le peuple. Pour nous qui avons vu des expériences différentes dans nos pays, ce sens du respect de la vie est remarquable… Comme l'a été le fait de voir un Ben Ali accepter finalement de quitter le pouvoir, ou un Moubarak venir annoncer a la télévision qu' il ne se représentera pas à la prochaine élection. Imaginez-vous un Biya ou un Sassou Nguesso le faire ? C'est tout simplement inimaginable. Nous avons pendant cinq mois organisé les «villes mortes» qui nous ont valu leur lot de brutalités et de morts, un ralentissement économique notoire, sans que Biya n'en tire la conséquence politique ; n'est ce pas significatif ? Est-ce un atavisme en Afrique Noire ? Dans des situations identiques de contestation politique populaire, les despotes d'Afrique sub- sahariennes ne résistent pas à la tentation de faire tirer sur les populations. Voyez ce qui s'est passé au Togo au moment de l'arrivée au pouvoir de Faure Eyadema ; certaines sources parlent d'un millier de morts. Pensez aux évènements du stade de Conakry au temps du Capitaine Dadis Camara ; pensez aux massacres de Février 2008 au Cameroun ; pensez à ce qui s'est passé après les élections au Kenya, au Zimbabwe. Dans tous ces exemples, on a relevé des centaines de morts et ces despotes ont continué à s'accrocher au pouvoir. Vous comprendrez donc que la peur qui peut gagner les esprits après de tels carnages soit un facteur de blocage des capacités de mobilisation du peuple, d'où la longueur des délais observés dans certains pays avant que le peuple ne se risque à sa révolution par la rue. Plusieurs pays africains dont le Cameroun auront une élection présidentielle en cette année 2011. On a vu ce qui est arrivé en Cote d'Ivoire, en Centrafrique, ou huit membres de la commission électorale indépendante ont démissionné. A votre avis ce sont ces commissions électorales qui finalement font et de font les Présidents ou le peuple à travers le vote ? Ce n'est pas le principe de ''commission électorale indépendante'' - CEI- qui pose problème. C'est sa composition. Pour être efficace, une commission électorale ne devrait pas compter de membres partisans de partis politiques ou de candidats. C'est tout le contraire qu'on observe. Au Cameroun, 9 des 10 membres désignés par Monsieur Biya sont des cadres de son Parti. Quel jugement indépendant faut-il en attendre ? En Cote d' Ivoire, les partisans des deux candidats ont transformé les sessions de cette instance en lieu de confrontation avec chacun des arrières pensées. Vous avez vu le résultat. De fait, la CEI doit être composée de membres indépendants des partis politiques et des candidats. Il ne doit pas s'agir d'une structure ''paritaire'', sinon les gens transforment cette instance en lieu de pugilat politique et le font sombrer dans le syndrome ivoirien. On doit tout de même être à même de trouver dans un pays cinq à dix personnalités libres dans leur tête et franches de toute affiliation politique ! Si cela ne se peut, alors par pragmatisme comme on l'a vu en Guinée, on en importe. Je signale au passage qu'aux Etats Unis ou en France, il n'existe pas de CEI et que les élections y sont organisées et gérées par des administrations qui ont su préserver au fil du temps leur neutralité. Et ca marche, ce qui est un signe de maturité politique. L'Afrique pour être respectée doit y arriver. Au Gabon l'opposant Mba Obame s'est autoproclamé Président de la République près de 15 mois après l'investiture d'Ali Bongo. Pour vous c'est une plaisanterie qui illustre encore le peu de sérieux de l'opposition dans certains pays africains, ou un acte légitime ? Ce n'est pas une plaisanterie s'il en a pris l'initiative. Je pense toutefois qu'il est politiquement inopportun après un tel délai d'engager cette action. La contestation d'un résultat électoral, pour être crédible, se doit d'être engagée immédiatement après l'élection… Si on ne le fait pas dans ce délai, par décence politique, il vaut mieux attendre l'élection suivante. En revanche en Guinée Conakry, on a eu droit a une bonne transition avec en prime un candidat qui a reconnu sa défaite : un commentaire ? La Guinée et, avant elle, le Sénégal et le Ghana, ont donné au monde un exemple de maturité politique. Le peuple guinéen et la classe politique de ce pays sont à féliciter. Vous êtes vous même un opposant politique Camerounais vivant en exil aux Etats-Unis. Aspirez-vous à vous présenter à l'élection présidentielle dans votre pays cette année où peut-être plus tard? Et quelles seraient éventuellement vos chances de réussite face à Paul Biya ? Apres vingt ans de vie politique, j'ai le devoir d'être conséquent et cohérent. Or, aller dans les conditions actuelles à une élection sans qu'un certain nombre de préalables n'aient été clarifiés pourrait s'avérer être de l'inconséquence. Pour moi, être candidat a l'élection présidentielle suppose qu'on a une vision et un projet qu'au fil du temps, on invite les concitoyens à partager et a mettre en œuvre pour le bonheur de tous. C'est le produit d'une longue maturation et d'une symbiose progressive avec l'âme du peuple. Je suis d'ailleurs souvent surpris par ces gens dont le premier acte pour faire savoir qu'ils entrent en politique est de '' proclamer'' leur candidature a la présidentielle. Pourtant, s'annoncer candidat à l'élection présidentielle est une posture prométhéenne et de dignification, en voulant prendre sur soi d'améliorer la vie de ses compatriotes. Cela ne doit se faire qui si les conditions de sérieux du contexte politique et de crédibilité des élections sont réunies. Je ne pense pas qu'en ce moment au Cameroun, ces conditions soient réunies. C'est la raison pour laquelle pour l' heure, je veille à ne pas voir mon nom être associé à cette mode d'être candidat a la présidence de la République... Vous parlez de ''préalables à clarifier''. Qu'est ce que cela veut dire ? Il y a effectivement deux préalables. Le premier est de revenir et de respecter l'Accord de la Tripartite qui prévoyait une limitation à deux du nombre de mandats présidentiels, accord qui nous liait tous, y compris Monsieur Biya. Ce dernier ayant déjà fait deux mandats, participer à une élection où sa candidature est une violation d'un accord politique préalable serait une manière de cautionner a posteriori sa forfaiture d'avoir modifié au forceps la Constitution dans ce sens... Tous ceux qui ont pris part à la Tripartite et tout homme politique sérieux qui n'adhère pas à cette exigence devraient interroger la cohérence de sa démarche. Nous ne devons pas nous soumettre aux jongleries de Monsieur Biya. La saine pratique de la politique nous commande plutôt de ramener les aiguilles de la montre au point essentiel. La classe politique tient cette fois l'occasion de lui dire, prenant le peuple à témoin : Monsieur le Président, vous avez déjà fait vos deux mandats, vous ne devez pas vous présenter à nouveau, comme il a été conclu avec vous a la Tripartite. Si vous tenez néanmoins à violer cet accord en maintenant votre candidature, vous le serez seul et le peuple ne se déplacera pas pou vous voter''. Dans les prochaines semaines, je saisirai les leaders des partis politiques d'une recommandation dans ce sens. Des enfants ont perdu leur vie en Février 2008 pour ce motif. C'est aux hommes politiques de montrer à leur tour la fermeté de leur conviction. Le deuxième préalable est de reconsidérer la composition d'Elecam pour qu'il soit un organisme composé de personnes indépendantes et non partisanes. Comment peut-on aller aveuglement à une élection dont l'organe de supervision est composé presque exclusivement de militants du parti de l'un des candidats ? Ce serait une bizarrerie toute camerounaise ! C'est vrai que quelqu'un a dit : ''Le Cameroun c' est le Cameroun''. On voudrait faire à cette personne les yeux doux que l'on ne s'y prendrait pas autrement. C'est comme aller à un match de football où vous autorisez votre adversaire à désigner un ses joueurs comme arbitre de champ, et un autre de ses joueurs comme gardien de vos propres buts ? Ceux qui s'y prêtent se font d'une certaine manière les complices objectifs de Biya dans sa volonté de maintenir à un bas niveau les standards de la démocratie et de l'éthique politique dans notre pays. En fait, toutes ces incohérences, si elles sont consommées, préparent un jour une ''élection de la rue'', comme à Tunis, comme au Caire. Qui vivra verra. |
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