Célébration du 6 novembre 2012. Paul Biya fait profil bas
Le « père du Renouveau » a opté pour le silence alors que ses camarades et autres sympathisants ont célébré avec faste, l’an 30 de son accession au pouvoir. Pouvait-il se montrer triomphaliste devant une situation socioéconomique indécente ?
Pas un mot. Pas une apparition. Pas une de ces piques qu’il emploie comme réplique lorsqu’il essuie les « assauts » de ses adversaires politiques depuis trois décennies. Paul Biya n’a pas parlé, il n’est pas venu encourager ses « camarades » du Rdpc déambulant dans les rues du pays et donnant à profusion du « Paul Biya encore 100 ans ». Le président a choisi de faire le mort, comme il est convenu de faire en politique au moment des orages.
François Mitterrand le fit de façon extraordinaire lorsqu’élu président en 1981. Il devait en 1986 soutenir son parti (entré en campagne législative) sans se départir de ses fonctions de président de tous les Français, même au risque de dérouler le tapis rouge à la cohabitation avec un certain Jacques Chirac concurrent redoutable depuis plus de 10 ans.
Mitterrand fit le mort et le parti socialiste perdit la majorité à l’Assemblée nationale. En dépit de cette infortune, cet exemple a fait tâche d’huile dans les milieux politiques. Les hommes d’Etat et autres leaders politiques font le mort lorsqu’ils sont appelés à se prononcer face à des questions qui relèvent de la distinction morale et intellectuelle. Paul Biya a visiblement choisi cette posture-là. Lui qui s’est retiré cinq jours avant le 6 novembre 2012 et 3 jours avant le 4 novembre (date du 1er anniversaire de sa dernière prestation de serment) dans son village.
Ce qui symboliquement, correspond à un isolement, un éloignement des affaires publiques (même si la récurrence de ses séjours au village donne à croire que la capitale s’est déportée à Mvomeka’a). Pis, le jour J, l’hégémon présidentiel a choisi de ne participer à aucun meeting. Il s’est gardé de faire médiatiser les activités qu’il aurait éventuellement présidées le jour du 30e anniversaire de son accession à la magistrature suprême autant qu’il ne l’a pas fait l’année dernière juste au lendemain de sa septième investiture, ce qui paraissait normal.
Férié
Mais moins qu’à l’occasion de la célébration du 20e anniversaire de son accession à la magistrature en 2002, le chef de l’Etat s’est montré triomphaliste, le 6 novembre dernier, confiant l’organisation des bombances de circonstance à de seconds couteaux. Il n’y a pas eu de journée fériée chômée, pas de tour de ville du président, pas de déclaration devant la grille du palais de l’Unité, pas de premier câlin fait en public à son épouse comme pour les 20 ans. Pareillement, contrairement à l’ occasion du 15e anniversaire de son accession à la tête de l’Etat, Paul Biya ne s’est pas exclamé en public comme il fit en 1997 en disant : « Quinze ans déjà ! ». Il a choisi de se taire cette fois, de faire profil bas. Il s’est muré dans un silence que ses glorificateurs ne justifient pas et que ses contempteurs expliquent par le vœu d’éviter de raviver la flétrissure d’un régime antédiluvien, suranné… d’éviter de choquer. De nombreux analystes expliquent cette option par la crainte d’heurter un peuple mortifié, paupérisé qu’il est depuis 30 ans.
Comment aurait-il osé ? Interroge Gérard Amougou, chercheur en sciences politiques. Puisque, pense-t-il, « le 6 novembre 2012 dernier, près de deux tiers de la ville de Yaoundé n’avait pas accès à l’eau potable, que la veille, plusieurs de ses concitoyens sont morts aux urgences des hôpitaux faute de moyens pour se procurer, qui une seringue, qui un gant ou du glucosé pour les premiers soins, car les hôpitaux n’en offrent pas. Comment aurait-il pu savourer cet anniversaire au moment où des Camerounais militants et sympathisants du Sdf étaient muselés à Douala pour avoir voulu dire leur insatisfaction de 30 ans d’insuccès.
Face à un bilan épouvantable, le président aurait choisi de faire le mort pour éviter la colère des dieux. Ironie du sort, il est sorti de cette léthargie le 9 novembre 2012 pour féliciter la brillante réélection de Barack Obama (qui ne s’est pas plié à cette formule à son égard en 2011) lequel aura quitté le pouvoir aux Etats Unis en 2016 alors que Paul Biya quant à lui, sera toujours à Yaoundé ». A moins que…
Rodrigue N. TONGUE