Cardinal Tumi aux camerounais: "N'ayez pas peur..."
À
l’heure où à travers le monde des régimes autoritaires sont ébranlés,
le message de Jean-Paul II montre toute son actualité. Le « n’ayez pas peur » de Jean-Paul II résonne encore à travers le monde
Cette
injonction prononcée Le 22 octobre 1978, place Saint-Pierre le tout
nouveau pape, pour inaugurer son pontificat, résonne bien au-delà des
colonnes du Bernin. Elle interpelle aussi ceux des Africains gagnés par
la peur.
Invité sur les antennes africaines de RFI le matin du 15
août 2011, le Cardinal Christian Wiyghan Tumi a subtilement relayé à
l’endroit de ses compatriotes le « N’ayez pas peur ! » de Karol Józef Wojtyła :
«
Il y a des Camerounais relativement jeunes, âgés entre 50 et 60 ans qui
sont capables de diriger ce pays. Mais, le problème, c’est qu’il y a la
peur. Les gens ont peur de se présenter. Ils ont peur de lever
seulement la tête. Ils ont peur d’être tués. Ils ont peur de ceci ou de
cela. »
RFI : Monseigneur Tumi, bonjour !
Mgr Tumi : Bonjour.
Qu’est-ce qui faut remettre à neuf au Cameroun ?
Ce
qu’il faut remettre à neuf au Cameroun, c’est la manière de voir notre
politique sur le plan moral. Nous avons des gens bien formés et bien
qualifiés. Ce qui manque, à mon avis, c’est une éthique professionnelle.
Comme vous devez le savoir très bien, Le président Paul Biya, quand il
est venu au pouvoir, a laissé Des notions comme la moralisation. Mais,
depuis là, rien ne se passe. Au Cameroun, on connait déjà les gens qui
détournent les biens. On connait les gens qui administrent mal nos
biens. Mais j’’ai comme impression qu’on n’y peut rien.
Il
y a des élections présidentielles attendues au mois d’octobre. Bien
qu’on ne sache pas encore précisément la date, la question de
l’éligibilité du Président Biya alimente les débats. Le Chef de l’État
camerounais est au pouvoir depuis presque trente ans. Doit-il ou non se
représenter ? Quel est votre sentiment ?
Mon sentiment
est que tout dépend de son parti et du peuple camerounais. Tout dépend
de son parti qui peut encore le présenter au peuple camerounais qui
pourrait, dans une élection transparente, le reconduire au pouvoir. Je
n’ai rien contre.
Est-ce que trente ans, ce n’est pas suffisant ?
Pas seulement suffisant. Je crois que c’est assez.
C’est assez ?
Oui ! Moi, je crois que c’est assez. C’est mon opinion.
L’organisation
du processus électoral est trop critiquée par l’opposition. L’année
dernière, l’Épiscopat camerounais a proposé au Premier ministre toute
une série de réformes : un projet de code électoral, un scrutin
présidentiel à deux tours, la mise en place d’un bulletin unique pour
lutter contre la fraude, etc. Ces propositions ont-elles été suivies
d’effets ?
Pas du tout ! Pas du tout ! J’ai l’impression
que le parti au pouvoir n’accepte rien de ce qui soit proposé par
l’opposition, ou même la Société civile. Depuis 1993, les Évêques du
Cameroun avaient déjà proposé la séparation du pouvoir, mais rien ne
s’est fait.
Monseigneur Tumi, alors, est-ce qu’une alternance par les urnes est possible au Cameroun aujourd’hui ?
Il
y a des Camerounais qui pensent que cela n’est pas possible et
proposent la violence qui, selon moi, n’arrangerait pas les choses non
plus. La violence n’arrange rien. On va continuer comme ça. Peut-être
est-ce le temps qui va résoudre le problème.
L’opposition
affirme qu’à l’état actuel, l’élection présidentielle pourrait
déboucher sur une crise. Est-ce que c’est aussi la crainte de l’Église
catholique ?
Non, non ! Je ne crois pas qu’il y aura une
crise. Nous avons déjà vécu pas mal de crises. Je ne vois pas ce qui
pourrait arriver de neuf. Franchement, je ne vois pas. L’opposition, à
mon avis, manque de moyens. Parce qu’elle ne peut pas relayer et passer
partout dans le pays comme le parti au pouvoir qui a les gouverneurs,
les préfets, les fonctionnaires les voitures administratives… Ceci, à
mon avis est une injustice d’utiliser ce qui appartient à tout le monde
pour un seul parti politique.
Monseigneur Tumi, Dans une
lettre pastorale publiée le mois dernier, justement à propos des
élections attendues cette année, les Évêques ont fait plusieurs
recommandations. Ils veulent évidemment que les élections soient libres
et transparentes. Et ils demandent aussi à la Communauté internationale
de ne pas s’ingérer dans le processus électoral camerounais. À quoi
pensent-ils ? À quoi font-ils allusion ?
Quelque fois,
l’ingérence extérieure créée des problèmes. Vous voyez la situation en
Côte d’Ivoire. Il y a eu tous ces problèmes à cause de l’ingérence
extérieure. Et c’était une véritable leçon pour nous. Il faut quand même
qu’on en apprenne de ce qui se passe ailleurs.
Le
Ministre français Henri de Raincourt était en visite à Yaoundé. Il a
affirmé solennellement que la France n’a pas de candidat pour la
prochaine présidentielle. Est-ce qu’à vos yeux c’est une garantie
suffisante de non-ingérence ?
Oh, que c’est marrant ! Ce sont des paroles. C’est plutôt ce qui se dit dans les chambres closes qui comptent.
Monseigneur
Tumi, Quelques voix se sont élevées pour vous demander de vous
présenter à la prochaine présidentielle. Le Mouvement Républicain vous a
même sollicité très officiellement. Est-ce que vous pouvez accepter de
diriger une transition ?
Non ! Pas du tout. Ce n’est pas
ma vocation. Je crois qu’il y a des Camerounais relativement jeunes,
âgés entre 50 et 60 ans qui sont capables de diriger ce pays. Mais, le
problème, c’est qu’il y a la peur. Les gens ont peur de se présenter.
Ils ont peur de lever seulement la tête. Ils ont peur d’être tués. Ils
ont peur de ceci ou de cela. Au sein même du parti au pouvoir, il a des
gens capables de diriger ce pays. Le Cameroun ne manque pas de
compétences. En ce qui me concerne, je n’ai pas cette vocation. Je suis
un Pasteur, moi.
Merci, Monseigneur Tumi.
Bien, madame, aurevoir.