Alors
que le débat semble s’être estompé sur la hausse ou non des prix des
produits pétroliers, le gouvernement, coincé, va procéder à des réformes
qui conduiront à une augmentation progressive.
Le débat avait été lancé sur les ondes de la Cameroon radio and
television en juillet dernier. Avant de s’étendre dans tous les médias
et les autres composantes de la société. Deux principaux camps
s’affrontaient : l’un soutenait que les subventions de l’Etat devaient
être supprimées pour être réinvesties dans des secteurs porteurs de
développement ; l’autre expliquait qu’il serait difficile de le faire
car une augmentation des prix des carburants entraînerait de manière
drastique une augmentation du coût de la vie au Cameroun.
Dans tous les cas, tout portait à croire que dès le mois d’août, le
gouvernement allait effectivement procéder à la suppression de ces
subventions. Mais, jusqu’à présent, certaines craintes ne se sont pas
vérifiées et le débat en lui-même n’est plus aussi vif qu’il l’a été
durant trois semaines. Certains observateurs de la scène camerounaise
estiment que l’Etat a fait volte-face pour «préserver la stabilité
sociale et la paix».
Mais, ils pourraient déchanter dans peu de temps. Car, selon des sources très introduites autour de ce dossier, la hausse des prix des carburants est inéluctable, et même imminente. De même que les prix du gaz de pétrole liquéfié (Gpl), encore appelé gaz domestique. D’après des chiffres communiqués récemment dans le secteur, l’on pourrait s’acheminer vers l’incapacité des pouvoirs publics à supporter la subvention des importations de ces produits.
S’agissant spécifiquement du gaz domestique, ces
subventions sont passées de 53% en 2006 à 73,3% en 2011. Certains
observateurs pensent qu’il vaut mieux supprimer progressivement ces
subventions, plutôt que de traverser une pénurie (l’Etat n’ayant plus
les moyens de subventionner) dont les effets seraient plus néfastes sur
le plan social.
Appui sur trois réformes
L’action de communication n’ayant pas porté véritablement ses fruits, du
moins comme l’espéraient les pouvoirs publics, l’Etat va passer à la
seconde phase. Nos sources indiquent que des réunions stratégiques se
multiplient à la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures
(Csph) et que toutes montrent le caractère inéluctable de la suppression
des subventions qui sera accompagnée de mesures de compensation de
sorte que la hausse des prix des carburants et des gaz n’influe pas
négativement sur les bourses des consommateurs, notamment les ménages
les plus pauvres.
Se penchant sur les analyses de l’Institut
national de la statistique (Ins), les hauts cadres de la Csph concluent
qu’il serait plus efficace de protéger le revenu des ménages pauvres au
moyen d’un mécanisme effectif de protection sociale avec, au préalable,
la mise en place de certaines réformes. On pense principalement à :
l’élimination des subventions, l’application de la seule Tva et la
taxation efficace qui consiste à appliquer à tous les types de produits
pétroliers une taxe égale.
La première réforme, engagée en réalité depuis 2005, a permis de
reverser la structure des prix des carburants au régime de taxation de
droit commun et de faire ressortir le niveau réel de la subvention de
l’Etat. La deuxième réforme, en vigueur depuis mars de cette année,
devrait se traduire par une baisse du niveau de la subvention de l’ordre
de 50 milliards Fcfa par an, à travers la mise en œuvre de mesures
fiscalo-douanières et administratives. Enfin, la troisième réforme, qui
est d’ordre budgétaire et qui a consisté à prévoir autant que possible,
un niveau de subvention au titre de la ligne « transferts et subventions
», en adéquation avec les besoins réels de couverture budgétaire.
Des mesures compensatoires
A la Caisse de stabilisation des prix des
hydrocarbures, l’on est convaincu qu’il faut procéder à la mise en œuvre
de ces réformes. Mais, elles doivent s’accompagner, dit-on, par la mise
en œuvre de mesures dites compensatoires directes ou indirectes qui
viseraient à protéger le revenu réel des ménages les plus pauvres. Cela
est possible, affirme-t-on, à travers les infrastructures physiques
(routes, développement offre de transport, amélioration de l’accès à
l’électricité, etc.) et sociales (amélioration qualitative des services
de l’éducation, de la santé et de la nutrition, etc.).
Il y a également les transferts sociaux (transferts en espèces ou en
nature aux ménages recensés comme étant en situation d’extrême pauvreté
par la mise en place d’un système de filets sociaux appuyé par la Banque
mondiale). Tout est donc prêt pour qu’on puisse procéder à une
suppression, même progressive, des subventions de l’Etat, ce qui
occasionnera à coup sûr une augmentation des prix de ces produits.
L’unique difficulté, pour les gouvernants, est de passer à cette phase
tout en amadouant les consommateurs.
Focal. Le front reste permanent
Depuis le lancement du débat sur la question de la suppression des
subventions de l’Etat sur les prix des carburants (et donc une hausse de
ceux-ci), il s’est formé un véritable front face aux pouvoirs publics.
Les plus virulents sont les syndicats des transporteurs et certaines
autres organisations de la société civile. Pour les transporteurs, il
n’est pas question qu’on procède à une augmentation des prix des
carburants.
« L’Etat doit éviter cela à tout prix, et même à tous les prix. Une
augmentation des prix du carburant doit, de toute manière, s’accompagner
de certaines décisions gouvernementales comme le réajustement des prix
des transports urbain et interurbain. Si ce n’est pas fait, les
transporteurs ne pourront pas travailler dans de bonnes conditions »,
soutient un syndicaliste de Yaoundé. La menace des transporteurs,
d’observer un mouvement d’humeur, pèse sur la tête des dirigeants comme
une épée de Damoclès.
Alors que la Csph et le gouvernement, véritablement dos au mur,
s’apprêtent à supprimer les subventions, le front d’en face reste
permanent et suit avec attention cette actualité. Selon les révélations
d’un transporteur qui a requis l’anonymat, son syndicat multiplie aussi
les concertations internes axées sur ce sujet.
Des syndicats des travailleurs avaient saisi le gouvernement, à l’exemple de la Confédération syndicale des travailleurs du Cameroun, pour expliquer au Premier ministre qu’une augmentation des prix devrait s’accompagner d’une augmentation des salaires. Tout au long du mois de juillet, des concertations entre pouvoirs publics et société civile ont eu lieu, avec parfois des discussions houleuses, des menaces de manifestations de contestation, etc.
Nos sources indiquent que ces concertations continuent et «de toute façon, l’Etat reste ouvert à toutes les propositions au sujet de cette affaire de subventions des prix de produits pétroliers». On attend de voir où elles conduiront.