Canada-Cameroun,Médias,Blaise K., l’adieu au petit génie de Cameroon Voice…Vie et mort du guitariste de l’information anti-colonialiste.
Éternel flegmatique, la bouteille de blonde belge Leffe au bout d’une poignée si coutumière à la cigarette et à la fumée, Blaise K. - de son vrai nom Blaise Tanonkou Kamgang -, passait presque inaperçu dans le capharnaüm montréalais.
Cet informaticien de l’école allemande dont l’un des passe-temps favoris fut de grincer de la guitare basse avec son voisin Valery était issu de la plus dure réalité de l’immigration européenne. Il rejoint le Canada muni, entre autres, du projet Cameroon Voice (radio, website, etc.) qu’il implémente avec une compatriote, l’autre informaticienne et co-fondatrice, Ema…
La transition fut très rude. Mais Blaise, «l’artiste» né à Mbanga dans le Moungo il y a une quarantaine d’années, avait la peau dure. C’était «un gars de Nkong» (Nkongsamba), fin connaisseur de son pays et, surtout, un patriote hors pair.
Il a fait ses études à Douala où il a brièvement exercé comme chargé de TD à l’Université avant de quitter le Cameroun.
Après l’Allemagne, le Québec… Puis naquit Cameroon Voice des fonts baptismaux.
Au four et au moulin entre la radio, le très visité website, la
guitare basse, quelques voyages à Ottawa, aux USA et au Cameroun ainsi
que son travail d’informaticien à la banque, Blaise K. est devenu en une
demi douzaine d’années de labeur inhumain l’élément incontournable
d’une machine alter-mondialiste infernale.
Sa ligne : une information de haut vol esquivant le «chien écrasé» sordide, une maintenance impeccable…
Nous faisions ensemble de la stratégie éditoriale. C’est la ruse des
petites phrases et titres qui permet aux médias du Nord de «dominer»
psychologiquement ceux du Sud.
Il attira mon attention sur la «réinformation», les indispensables
systèmes alternatifs au cynisme va-t-en-guerre des médias occidentaux
aux mains des multinationales.
Je pense lui avoir instillé les options panafricaniste et anti-colonialiste au-delà de sa perspective nationale originelle.
Information stratégique…
Plus de huit mois qu’on ne s’est pas vus depuis que j’ai quitté
Montréal - contre son gré... Nous nous parlions néanmoins une, deux,
trois fois par jour au téléphone…
«Tout va très vite. Il faut réfléchir stratégie en permanence» disait-il.
Son secret : la détermination, une capacité d’analyse et de décryptage
exceptionnelle de la manipulation impérialiste. Il savait très bien le
risque couru…
D’une perspicacité extrême qui ne se voyait jamais à première vue du
fait de son humilité et une autodérision à toute épreuve, Blaise
décodait chaque allocution, chaque geste politique, chaque rapport,
chaque information diffusée en main-stream.
On pouvait donc prédire, prévoir et anticiper des mises en scène «humanitaires» de la «communauté internationale».
Pour lui c’était le plus important : travailler sur les scénarios machiavéliques en perspective.
Il était régulièrement le premier sur l’information stratégique. Et il répétait : «Nous sommes en guerre».
Ce n’est pas faux.
Il ne fallait jamais se laisser berner par l’intermittence des «crises».
Eux «ils travaillent en permanence à nous duper. La seule différence c’est que nous autres sommes bénévoles».
Il avait trop tôt compris ce qui se passait en Libye à l’aune de
l’opération United Protectors de l’OTAN et de la Résolution 1973 de
l’ONU. Avant le verdict final de la CPI, il avait prédit sans surprise
qu’on ne libérerait jamais le président Laurent Gbagbo malgré la vacuité
du chef d’accusation. Tout est planifié. Y compris Boko-Haram...
Ce n’est pas la théorie du complot, mais le réalisme…
Il rappelait que le rapport de force face à la coalition impérialiste
est déséquilibré. Mais il était confiant : «l’arme la plus efficace
entre nos mains est l’Internet, et les réseaux sociaux à la disposition
des peuples opprimés». Les nationalistes africains, décimés par les
colons, n’ont pas eu une telle aubaine à leur époque.
Vint la journée fatidique du 26 juillet, rue de Lorimier à Montréal. Il
avait tenté de me joindre la veille. En vain. Il ne put parler qu’à ma
fille. Je l’ai rappelé le lendemain sans succès. Il ne rappelait plus.
Inaccoutumé. Qu’importe. Il y a si longtemps que j’ai quitté la ville de Montréal. Nous avons une synchronisation parfois difficile.
Police criminelle.
Puis on m’annonça la nouvelle. Dans la matinée, la police criminelle
québécoise avait établi un périmètre de sécurité autour de son
appartement pour récupérer des indices avant l’autopsie. Au Québec, un
coroner détermine la cause de chaque décès et en produit un rapport
public.
On avait retrouvé Blaise là, le matin, inerte. Seul. Que s’est-il passé?
Sa conjointe – jeune médecin diplômée en Allemagne dont il fut le répétiteur de maths au lycée - et ses deux enfants n’y étaient pas, en villégiature hors de la grande île métropolitaine depuis la veille.
Du lieu du décès, des amis me rendaient compte par téléphone. Le
président de l’Association des Camerounais, mon ami Guy Epassy, y était…
La perte est incommensurable pour le combat des peuples africains! C’est une lapalissade.
Mais la cofondatrice de Cameroon Voice, l’autre informaticienne, promet de maintenir le flambeau allumé. Puissions-nous l’aider dans cette tâche inhumaine et ingrate qui a déjà fait une victime de taille sous nos yeux! Comment l’aider à rester indépendante? Question.
Je n’aurai plus droit à la bouteille de rhum Baccadi qu’il m’avait promis et re-promis depuis plusieurs mois. Noyé aussi son projet de retour définitif au pays «dans cinq ans» (sic) pour lancer un groupe médias.
Mais au moins une maigre consolation pour son âme : Blaise est peut-être décédé comme il l’eût souhaité...
Au cours de sa dernière nuit sur terre, témoignent des voisins, on l’a
entendu faire ce qu’il aimait le plus. Il jouait de la guitare
amplifiée. De la guitare basse. Jusqu’au petit matin…
Adieu Blaise!
Ne m’appelle plus aussi tard dans la nuit…
Salut l’Artiste!