Cameroun,Livre, ENOH MEYOMESSE : Guerre et paix au Cameroun, Le rôle de l’armée nationale en question
Cameroun,Livre, ENOH MEYOMESSE : Guerre et paix au Cameroun, Le rôle de l’armée nationale en question
A quoi sert l’armée nationale ? A défendre le territoire contre une attaque en provenance de l’étranger, ou le régime en place ? Telle est la cruelle question qui se pose, au Cameroun, depuis l’indépendance, au vu de la propension des régimes d’Ahmadou Ahidjo, puis de Paul Biya, à recourir à celle-ci, toutes les fois où ils se sont retrouvés en désaccord avec la population.Ce livre jette un regard critique sur l’histoire de l’armée camerounaise, de sa création à nos jours. Il propose une redéfinition de la notion de « maintien de l’ordre au Cameroun », avec le retrait de l’armée de celui-ci, et préconise la traduction en justice, dans l’avenir, des policiers et gendarmes ayant causé des morts d’hommes en cas d’émeutes. (…)
Sous d’autres cieux, l’armée est prudemment tenue à l’écart des batailles politiques. D’où l’appellation qui lui est consacrée : « la grande muette ». Au Cameroun, l’armée a hérité de l’usage qui en a été fait par les colons allemands, d’abord, puis britanniques et français, à savoir, un instrument de consolidation du pouvoir politique. On se souvient, en effet, des massacres perpétrés par l’armée coloniale allemande, pour imposer le pouvoir d’Otto von Bismarck, chancelier de l'Empire allemand de 1871 à 1890, au Cameroun. Cet épisode macabre de l’histoire de notre pays, est joliment qualifié, dans les manuels d’histoire au programme dans les établissements scolaires, de « pacification ». En quelque sorte, un discours précurseur à celui sur la paix qui a cours actuellement au Cameroun. Et pourtant derrière ce gentil et ô combien innocent mot de « pacification », se trouvent de très grosses monticules de cadavres, des hectolitres, pour ne pas dire des milliers de litres de sang, un nombre incalculable de villages incendiés, des torrents de larmes.
Une fois le Kamerun « pacifié », c’est-à-dire, après que la « paix » y fut instaurée, les Allemands s’étaient mis à tenir un discours similaire à celui du Renouveau, à savoir, qu’il fallait maintenir, coûte que coûte, la « paix », que la guerre était du « désordre » et retardait, considérablement, la mise en valeur du territoire. Ceux-ci, naturellement, faisaient allusion, non pas à leurs propres massacres innombrables des populations camerounaises, mais, plutôt, aux interminables guerres tribales dans lesquelles ils avaient trouvé les peuples du Cameroun.
Lorsque les Britanniques et les Français envahissent le Kamerun en 1916 après deux années d’une rude guerre contre l’armée coloniale allemande, eux aussi se mettent à tenir le même discours : « la paix est primordiale pour la mise en valeur du territoire ». Au mois de septembre 1945, lors de la grande grève historique, parce que la toute première que notre pays ait connue, le discours des colons s’était enrichi de vocables nouveaux : « fauteurs de troubles », « délinquants ». Des sous-hommes s’attaquaient aux pauvres Blancs qui ne leur voulaient que du bien. Et pourtant, cette grève portait sur des revendications salariales… Les cheminots avaient estimé que leurs salaires étaient exagérément bas, et qu’il fallait les revaloriser. On connaît la suite : l’armée coloniale avait tiré sur la foule, les grévistes étaient morts en grand nombre, impossible de dire d’avantage, car nul ne pouvait rendre public le nombre exact de personnes tuées au cours de cette manifestation inédite dans notre pays, et qui, rappelons-le, avait été réprimée même par le clergé catholique aux mains des Blancs, à l’époque. Inutile d’évoquer les innombrables arrestations qui s’en étaient suivies…
Tout juste dix années plus tard, à savoir au mois de mai 1955, l’armée coloniale avait de nouveau repris du service. Cette fois là, un nouveau vocable avait fait son apparition : « terroriste ». Ce mot sera récupéré par le régime d’Ahmadou Ahidjo, qui y adjoindra simplement un autre : « rebelle ». Ainsi, de 1958, année de sa nomination, par le Haut-commissaire Jean Ramadier, au poste de Premier ministre, à 1982, année de sa démission, Ahmadou Ahidjo instaurera une terreur inégalée, en Afrique, au nom de la lutte contre le « terrorisme », d’une part, et la « rébellion », d’autre part, et, naturellement, dans le but de préserver « la paix » et « l’unité nationale ».
En 2008, l’heure est aux « apprentis sorciers ». (…)
L’indépendance du Cameroun a abouti à quelque chose de totalement paradoxal. Plutôt que d’être une grande fête aux réjouissances infinies et aux retrouvailles fraternelles entre les Camerounais, indistinctement de leurs opinions d’avant, celle-ci a, plutôt, reconduit les conflits de l’époque coloniale. Les Camerounais se sont, de nouveau, retrouvés classés en deux catégories : les « fauteurs de troubles », d’un côté, à savoir ceux qui avaient eu le courage inouï de réclamer la réunification et l’indépendance, et qu’il fallait à tout prix anéantir, et de l’autre, les « sages », qui étaient demeurés insensibles à ces batailles, indifférents à celles-ci, collaboraient tranquillement avec l’administration coloniale, et à qui avait été confié le pouvoir, c’est-à-dire cette indépendance à laquelle ils n’avaient versé aucune goutte de sueur : Ahmadou Ahidjo, Assale Charles, Charles Onana Awana, Njiné Michel, Ekwa-bi Ewané, Marigoh Mboua, Sadou Daoudou, Njoya Arouna, Moussa Yaya Sarki Fada, Simon Pierre Tsoungui, Jean Faustin Bétayéné, Enoch Nkwayep, Keutcha Jean, Fokam Kamga, Tobie Kouoh, Okala Charles, etc…
En continuateurs des colons, ceux-ci, tout naturellement, ont repris la persécution des « fauteurs de troubles ». Ils ne se sont pas comportés comme nous l’avons vu faire Robert Mugabé, au Zimbabwé, ou Samora Machel, au Mozambique, à savoir, tourner la page des conflits d’avant. L’armée coloniale française, qui assistait, désormais la jeune armée nationale camerounaise, a accru ses effectifs au Cameroun, une fois l’indépendance proclamée. Un général est même venu remplacer le colonel Lamberton. Il s’agit du général Briand. Les jeunes officiers camerounais, fraîchement diplômés des écoles militaires de France, et qui sont tous, actuellement, nos généraux, se sont mis à exercer leur savoir, non pas sur une puissance étrangère venue envahir notre pays, mais, bel et bien, sur les Camerounais, c’est-à-dire, leurs propres compatriotes. Ils ont, pour la plupart, commencé leur basse besogne en Sanaga-Martime. Au bout de quelques mois, ils ont été affectés dans l’Ouest du pays. Là-bas, ils ont bombardé un nombre incalculable de villages au napalm, tranché d’innombrables têtes, laissé des milliers de veuves et d’orphelins. Les intellectuels Bamiléké avancent le chiffre de 500.000 morts !!! A chacun d’apprécier. En tout cas, le bilan en vies humaines de l’œuvre de nos jeunes officiers de l’époque, a été monstrueux. Il faudra bien qu’un jour ou l’autre, ces hauts gradés de l’armée camerounaise, avant qu’ils ne meurent, rendent des comptes à la nation, sur leur action passée. Ont-ils défendu le Cameroun, ou un homme : Ahmadou Ahidjo ? Par qui, lorsqu’ils se sont retrouvés en guerre, le Cameroun avait-il été attaqué ? Le Nigeria ? Le Tchad ? Le Gabon ou le Congo ? (…)Les dernières têtes tranchées par l’armée camerounaise que nous avons vues, avaient été exposées à Compani, une petite bourgade non loin de Bafang. C’était en 1969. Nos parents nous avaient emmené en week-end là-bas, chez le sous-préfet, un ami à eux, et ce dernier nous avait demandé d’aller effectuer un tour à Compani. Arrivé en ces lieux, horreur ! Sur la place du marché, une vingtaine de têtes de maquisards y étaient exposées. Elles étaient posées, à même le sol, sur des sacs de café vides et gardées par des soldats…
(…)1973. Fin novembre, début décembre. Grève à l’Université de Yaoundé. Les étudiants se plaignent pour diverses raisons. Jean Fochivé, le terrifiant patron de la police politique du régime, est le premier sur les lieux. Comme à l’accoutumée, son diagnostic, connu d’avance, est énoncé : les étudiants sont manipulés par les opposants au régime, ces « pêcheurs en eau trouble » qui, bien que vaincus, « n’ont pas baissé les bras ». C’était le genre de propos qu’adorait entendre Ahmadou Ahidjo. Aussitôt, l’armée est dépêchée sur les lieux. Elle tire. Combien de morts il y a-t-il eu ce jour-là ? Le samedi d’après la fusillade, le ministre des Forces Armées, Sadou Daoudou, au cours de l’émission de Radio Cameroun consacrée aux militaires, « Honneur et fidélité », justifie l’action de l’armée : « … ce pays a beaucoup trop souffert pour obtenir la paix, nous ne transigerons pas devant les fauteurs de troubles. Ce n’est pas parce que l’on est étudiant que l’on peut se permettre de faire de la subversion. Si c’était à recommencer, nous recommencerons… »
Contact : enoh.meyomesse@gmail.com