Cameroun,Affaire Albatros : Chacun a pris « sa part »
Cameroun,Affaire Albatros : Chacun a pris « sa part »
Ce que ce dossier d’instruction ne dit pas, c’est que Paul Biya est lui-même punissable de tentative de détournement des fonds publics pour $45 millions et de détournement effectif de fonds publics pour $31 millions. C’est seulement quand ils ont compris que les ordres qui leurs sont donnés par le président de la république sont ceux de détournement des fonds publics que les exécutants, dont quelques uns seulement sont aujourd’hui en prison, ont vu s’aiguiser leurs appétits pour l’enrichissement facile et sans cause. Reportage et analyse des faits retenus par le juge d’instruction dans l’un des scandales financiers les plus lourds après le pillage des banques camerounaises.
Nous sommes en possession d’une copie électronique du dossier d’instruction de l’affaire « Albatros » qui a mené à l’arrestation et au déferrement en prison de l’ancien secrétaire général de la présidence de la république (Sgpr) du Cameroun, Jean Marie Atangana Mebara, de l’ancien ambassadeur du Cameroun à Washington, Jerôme Mendouga, de l’homme d’affaires proche de l’ancien Sgpr René Owona, Otele Essomba Hubert, de l’ancien administrateur directeur général de la Cameroon Airlines (Camair) et directeur général de la Commercial Bank of Cameroon (CBC), Yves Michel Fotso, et de bien d’autres actuellement tous enfermés à Kondengui.
Le document de 50 pages est une « Ordonnance de Disjonction de la Procédure » rendue par le juge d’instruction Magnaguemabe Pascal du Tribunal de Grande Instance du Mfoundi dans ce dossier numéro 617/SOG/08/128 opposant l’Etat du Cameroun (plaignant) aux inculpés cités ci-dessus ainsi qu’à d’autres personnes physiques et morales non encore inculpées ou inculpées mais en cavale, dont l’ancien premier ministre Inoni Ephraïm, l’ancien ministre des finances, Michel Meva’a M’eboutou, l’ancien ministre des transports, Ndeh John Bengheni, l’ancien Sgpr et actuel ministre de l’administration territoriale (Minadt), Marafa Hamidou Yaya, et bien d’autres nationaux et étrangers formant un vaste réseau intercontinental de détournements.
D’abord, le détournement des fonds publics orchestré par Paul Biya lui-même
Pour planter le tableau qui précédait cette avalanche de détournements, et dire ici ce que le dossier d’instruction tait ou évite d’évoquer, il faut noter qu’avant 2001, le Cameroun venait de bénéficier le 16/10/2000 d’un accord de réduction pour 2 milliards de dollars américains de son écrasante dette, ceci contre le passage de l’Etat du Cameroun sous l’initiative « Enhanced Heavily Indebted Poor Countries » (HIPC, ou initiative pour les pays pauvres très endettés renforcée – IPPTER).
L’aide de $2 milliards était une Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance et pour la stabilité budgétaire. Les conditions pour que cette réduction de la dette du FMI, de la Banque Mondiale (BM) et des autres créanciers soit effective étaient les suivantes : la présentation par le gouvernement de Paul Biya d’une stratégie de réduction de la pauvreté, l’application d’une ambitieuse stratégie d’éducation (construction de 2500 salles de classe), de santé (vaccination de 70% d’enfants), et de lutte contre le paludisme, un progrès important dans la lutte contre le Sida (à inscrire au budget de l’Etat), des réformes structurelles et macroéconomiques, la bonne gouvernance, et la lutte contre la corruption.
L’impact de cette réduction de la dette sur le budget était important. Pour rappel, le budget étatique de 2.2 milliards de dollars pour l’an 2000 était déficitaire de 14,2%, c’est-à-dire que le gouvernement n’avait pas pu collecter toutes les recettes prévues et n’avait pas pu financer 14.2% des dépenses prévues, soit 312.4 millions de dollars de déficit.
Cette réduction de la dette devait réduire le service de la dette de 23% des revenus budgétaires en 2000 à 12% en 2001 et moins de 10% vers 2008. Rapportée sur les revenus d’exportations, elle permettait au service de la dette de baisser de 14% à 8% en 2002. De même, la valeur actualisée nette du total de cette dette d’un montant total de $6,6 milliards par rapport aux recettes d’exportations devait passer de 200% ( !!!) en 2000 à moins de 100% vers 2007.
Il faut aussi rappeler que ces chiffres ahurissants de dette sont ceux d’un pays que Paul Biya avait reconnu disposer de « finances saines » au moment où il prenait le pouvoir en 1982. Après avoir pioché à volonté de l’argent, sous forme de vols et de détournements systématiques, aussi bien dans les banques parapubliques que dans les caisses de sa banque privée qu’était devenue la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH dont les recettes jusqu’en 2000 n’étaient pas comptabilisées dans le budget de l’Etat) pour s’enrichir personnellement en un temps record, Paul Biya avait dès 1986 engagé le Cameroun dans l’endettement auprès du FMI. Depuis lors, la dette du Cameroun s’alourdissait d’année en année malgré les fameux ajustements structurels et leur lot de bradages des biens du peuple que sont les sociétés parapubliques et publiques, Paul Biya répondant systématiquement qu’il n’y a pas de preuves à chaque fois que la corruption et les détournements de ses collaborateurs étaient dénoncés.
Les conditions fixées par le FMI et la BM pour cette réduction de dette de $2 milliards (bonne gouvernance, lutte contre la corruption, contre la pauvreté, contre le Sida, éducation et santé) étaient donc acceptées par les Camerounais comme la bonne chose que le gouvernement devait faire. Et particulièrement par Paul Biya, qui avait instruit la signature de cette convention avec le FMI après la préparation d’une lettre d’intention signée en 2000 et qui s’arrangeait, depuis sa demande en 1997 d’une FASR (facilité d’ajustements structurels renforcés), à faire que le Cameroun réponde aux critères d’éligibilité comme pays pauvre.
Mais malgré tous les problèmes dans lequel le pays était plongé, notamment la pauvreté grandissante, l’incapacité de l’Etat à payer ses dépenses, la corruption et les détournements des fonds publics en cours, Paul Biya s’était aussitôt attelé, non pas à remplir ces conditions auxquels il avait souscrit pour sauver le pays, mais plutôt à les contourner, à tricher, à voiler les termes de la convention que son gouvernement avait signé sur ses instructions avec le FMI et la BM. Tout ceci parce que le vieux dictateur ne pouvait pas contenir sa soif de prestige individuel, sa soif de faciliter ses déplacements fréquents à l’extérieur, en s’achetant un avion neuf.
Plusieurs approchés par son gouvernement, le FMI et la BM avaient sèchement dit non à sa demande de financement des telles « dépenses de prestige » alors que le pays croulait dans la misère. C’est ainsi que Paul Biya ourdit le plan de s’acheter un avion neuf pour lui, malgré l’avis du FMI et de la BM, en trichant, en détournant les fonds publics de la SNH et du Trésor public de la manière suivante :
Cameroon Airlines (Camair) étant une société d’économie mixte avec un actionnariat étatique majoritaire (70%), il fallait faire acheter cet avion présidentiel en le faisant passer comme un avion que la Camair achetait pour elle-même. De cette manière, le FMI et la BM qui contrôlaient le budget de l’Etat ne verraient rien. C’est seulement plus tard, après l’achat, que la Camair devait ensuite céder cet avion au président de la république.
Mais comme les caisses de la Camair étaient vides, il fallait que la SNH vire les fonds nécessaires à la moribonde compagnie aérienne. Et Paul Biya se frottait enfin les mains, en se disant qu’il avait bien « entubé » ces organismes de Bretton Woods. Tant pis si je viole les engagements auxquels j’avais souscrit, se disait le président camerounais.
Il était d’autant plus jubilant de son exploit que le peuple camerounais, le propriétaire et financier par ses impôts et par ses ressources naturelles (dont le pétrole) de cette organisation à but non lucratif qu’est l’Etat, n’y comprendrait absolument rien. Donc, Paul Biya était convaincu qu’il avait bien « entubé » tous ceux qui pouvaient le contrôler.
Il donna aussitôt en début 2001 l’ordre d’exécution de son plan à son chef d’état-major particulier (chargé de faire le bon choix d’un avion bien sécurisé), Bénaé Mpecke, et à son secrétaire général de la présidence et président du conseil d’administration (PCA) de la SNH, Marafa Hamidou Yaya (chargé d’assurer le règlement financier de l’avion).
A ce niveau, si détourner veut bien dire utiliser les fonds à des fins autres que celles pour lesquelles ils sont destinés, il est clair que toute l’affaire connue aujourd’hui sous le non de Albatros est partie d’une tentative de détournement s’étant matériellement matérialisée par le détournement effectif des fonds publics. En effet, tous fonds publics, d’après l’engagement du gouvernement auprès du FMI et de la BM, devant servir uniquement pour remplir les conditions souscrites et dans le cadre du budget de l’Etat, ordonner à la SNH (les fonds publics provenant des ressources naturelles du Cameroun) de transférer plutôt ces fonds publics pour l’achat d’un bien de prestige au lieu de les transférer au budget de l’Etat, contre l’avis du FMI et de la BM, est bel et bien un détournement des fonds publics. De tels faits, commis par Paul Biya, sont prévus et réprimés par les articles 74, 96 et 184 du code pénal camerounais.
Paul Biya est bel et bien punissable de tentative de détournement des fonds publics pour $45 millions et de détournement effectif de fonds publics pour $31 millions, comme nous le verrons dans les lignes qui suivent.
C’est seulement quand ils ont compris que les ordres qui leurs sont donnés sont ceux de détournement des fonds publics (ceux du peuple camerounais) que les exécutants, dont quelques uns seulement sont aujourd’hui en prison, ont vu leurs appétits pour l’enrichissement facile et sans cause s’aiguiser. Tous ceux qui étaient impliqués dans cette opération d’achat d’avion présidentiel ont en effet pris leur « part » du butin rendu ainsi possible par Paul Biya.
(La suite est en cours de rédaction et sera publiée dans la journée)