Cameroun : Tchegho Jean Marie « Quand c’est la femme qui était stérile, elle s’arrangeait à ce que son mari ait une autre femme »
Cameroun : Tchegho Jean Marie « Quand c’est la femme qui était stérile, elle s’arrangeait à ce que son mari ait une autre femme »
Monsieur Jean-Marie Tchegho est statisticien , démographe de formation, Maître de recherche retraité. Il vit à Yaoundé, la capitale politique camerounaise. Nous l'avons rencontré il ya de cela quelques temps à Karlsruhe en Allemagne au cours d'une conférence internationale. Dans la suite de cet entretien qu’il a accordé à camer.be, il revient sur la place de la femme dans la culture africaine, quelques dérives de nos chefferies traditionnelles tout en les conseillant de consentir à ne pas se mêler ouvertement des affaires politiques dans un contexte de multipartisme, en se consacrant exclusivement aux affaires traditionnelles de leur territoire de commandement.Lisez plutôt...
Lors d’un récent un entretien vous déclariez: “Nous devons être très lucide pour ne pas tomber dans le piège de l'Occident ou des Africains acculturés qui malicieusement ou par ignorance nous détournent parfois de nos vrais problèmes” Comment résister aux africain(e)s acculturé(e)s qui prennent des leçons de l'Occident, les plantent et enseignent en Afrique?
Nous devons désormais nous informer à la bonne source en nous replongeant dans les œuvres culturelles authentiquement africaines. Pour ce faire, nous devons rompre avec la culture de l’oralité et développer sensiblement notre propension à la lecture. En effet, il est dit avec une certaine dose de vérité que si on veut cacher quelque chose à un plus grand nombre d’africains, et même en Occident, il faut le mettre dans un livre.
Depuis un certain temps, des couples de plus en plus se séparent dans nos zones urbaines et rurales, en tant que démographe de fonction, pouvez expliquer les raisons d'une telle perte de culture ou renonciation au mariage?
Les raisons de cette situation sont nombreuses et ne relève pas de la démographie en tant que science. Il s’agit d’abord de la conception moderne du mariage qui est une union entre deux personnes et non entre plusieurs familles comme dans l’Afrique traditionnelle. Il s’agit ensuite des mutations sociales qui ont permis aux femmes de rivaliser avec l’homme en tout point de vue et de ce fait, les pousse parfois à remettre en question leur rôle de mère et d’épouse au profit de leur carrière. Il s’agit des conditions d’habitation qui favorisent une extrême promiscuité, laquelle ne permet pas souvent de digérer les problèmes et d’en rechercher les solutions dans la solitude, en retrait de l’autre partenaire. Au total, cette évolution des divorces relève de la perte de nos valeurs traditionnelles.
Parlons de la Procréation au sein du couple, comment cela se passait-il au temps de nos ancêtres, lorsqu'un membre du couple était stérile?
Dans la société traditionnelle, le but ultime du mariage était la procréation. Il va sans dire que la stérilité était très mal vécue. Quant l’homme était stérile, la femme s’arrangeait en toute discrétion et parfois en simulant un traitement avec son époux, à avoir un homme qui lui fait les enfants, étant entendu que les enfants sont nécessairement ceux de son mari. C’est ainsi que la stérilité de l’homme n’était connue que des intimes. Quand c’est la femme qui était stérile, elle s’arrangeait à ce que son mari ait une autre femme si ce dernier ne prenait pas les devants. Elle participait ensuite à l’encadrement des enfants des coépouses, parfois au point de susciter la jalousie de ces dernières.
Comment faire pour que le gouvernement ne se mêle plus aux activité des rois, quand nous savons que leur injonction apporte toujours des grincements de dents au point où certains notables perdent le goût à la vie pour avoir vu certaines choses aller contre la culture?
Ce sont les rois qui se laissent caporaliser en poursuivant les prébendes matérielles ou les positions politiques pour certains. Les rois ayant un ancrage traditionnel, c’est-à-dire dont la dynastie existait avant la colonisation, semblent ignorer que c’est eux qui ont concédé, très souvent sous la contrainte, une partie de leurs prérogatives au pouvoir colonial et par conséquent au pouvoir postcolonial. La solution est donc du côté des rois qui, en dépit de fortes velléités de leur subordination par le pouvoir d’Etat, doivent consentir à ne pas se mêler ouvertement des affaires politiques dans un contexte de multipartisme, en se consacrant exclusivement aux affaires traditionnelles de leur territoire de commandement.
Que pensez-vous d'un statut pour les rois, fait avec l’accord et les propositions de ceux-ci?
En réalité, les rois n’ont pas besoin d’un statut. Leur fonction leur confère déjà un statut dans leur communauté. En effet, un roi, gardien des traitions de son territoire de compétence, n’a pas vocation à intervenir au-delà. Les classifications opérées ça et là ne visent qu’à les caporaliser et à les diviser.
Est-ce que les jeunes âgés de 20 à 40 ans ont-t-ils le devoir de s'en prendre à leurs parents qui ne leur ont rien enseigné comme par exemple les langues nationales, les valeurs culturelles?
Non. En Afrique, les parents sont pour les enfants quelque chose de sacrée. Un regard attentif et exercé sur la situation montre que les parents ont été aveuglés par les mirages de la « mission civilisatrice » de l’homme blanc sous la colonisation. Il en est de même aujourd’hui pour les jeunes vis-à-vis des valeurs pourtant déshumanisant à vue d’œil de la civilisation occidentale. Pour renverser la vapeur, les parents et les jeunes doivent se mettre à l’école de notre culture en passant de la civilisation de l’oralité à celle de l’écrit. Et c’est le lieu d’inviter les intellectuels à mettre par écrit les éléments de notre culture et les gouvernants à introduire l’enseignement des cultures et des langues nationales dans les programmes scolaires. Pour la Diaspora, les TIC permettent aujourd’hui d’asseoir sans avoir à se déplacer certains éléments de base de la culture africaine. Ces éléments pourront seulement être complétés et enrichis lors des séjours au terroir d’origine. Voir par exemple notre site www.jifedie.com .
Après 50 ans d’indépendance, quel avenir pour les futures femmes Africaines?
Je crois que les 50 ans d’indépendance ont montré à
suffisance que les valeurs occidentales fondées sur le matériel et
l’individualisme sont sans avenir, non seulement pour les Africains,
mais aussi pour les Occidentaux eu égard aux multiples dérives de leur
société de l’opulence matérielle. Il faut inventer un nouveau système
dont le « HA’A FUCK HA’A DZU » (philosophie sociale) et le « WA’AGAPE »
(système économique) Bamiléké (voir mes œuvres et surtout « Lumières des
Ténèbres ») peuvent en être une source d’inspiration.
En ce qui concerne spécifiquement les femmes, elles doivent se
convaincre, d’une part qu’en matière des relations sociales qui
façonnent le vrai épanouissement de l’homme, les Occidentaux n’ont pas
grande chose à leur enseigner et d’autre part que le matériel seul ne
fait pas la vie tel qu’on peut le voir en Europe. Par ailleurs, elles
doivent également se convaincre que leur épanouissement véritable est
dans la recherche des meilleures relations sociales possibles avec leur
époux et les familles alliées. Contrairement à ce que la vie moderne qui
fabrique des marginaux sociaux a tendance à nous faire avaler, une
femme africaine, quels que soient son niveau d’éducation, ses
responsabilités sociales et ses richesses matérielles n’est
véritablement et sincèrement respectée et honorée du fond du cœur que
lorsqu’elle est dans un ménage harmonieux.