Cameroun : Tchegho Jean Marie « la femme est la mère de l’humanité »
Cameroun : Tchegho Jean Marie « la femme est la mère de l’humanité »
Monsieur Jean-Marie Tchegho est statisticien , démographe de formation, Maître de recherche retraité. Il vit à Yaoundé, la capitale politique camerounaise. Nous l'avons rencontré il ya de cela quelques temps à Karlsruhe en Allemagne au cours d'une conférence internationale. Dans cet entretien qu’il a accordé à camer.be, il nous parle de la culture africaine, nos moeurs et surtout de la place de la femme africaine dans nos sociétés respectives.[...] Dans la société, le rôle des femmes naguère localisé et discret, s’exerce aujourd’hui, non seulement dans tous les secteurs d’activités et souvent aux avant-postes, mais de plus en plus au premier plan (Chef d'État ou de gouvernement, présidente de l’Assemblée nationale, etc.)...
Bonjour Mr. Tchegho, merci de nous recevoir. Un petit mot sur vous à l’intention de nos lecteurs ?
Merci de l’intérêt que vous portez à ma modeste personne. Je suis bien le Professeur Jean-marie Tchegho, Statisticien Démographe de formation, Maître de recherche retraité. Je réside à Yaoundé au Cameroun et consacre mes derniers à la sauvegarde de notre patrimoine culturel. Vous aurez plus d’amples informations en visitant mon site web www.jifedie.com
Votre passage le 23 Mai 2009 à Karlsruhe, lors de la journée de la femme Africaine couplée de l'Unité Nationale, a été très brillant. Vous aviez tenu une conférence sur le thème: “Le rôle de la femme Africaine dans la famille (couple) et dans la société). Pouvez-vous faire un bref résumé de cet excellent exposé-débat pour les internautes?
Je voudrais tout d’abord vous remercier très sincèrement de votre aimable invitation et des attentions dont j’ai été l’objet de votre part. Mon propos à la conférence s’est articulé autour de quatre points: les préliminaires, le rôle de la femme dans le passé, le rôle de la femme de nos jours et quelles leçons pour l’avenir?
Les préliminaires portent d’abord sur la définition du concept «famille» qui ne revêt pas partout les mêmes réalités sociologiques et ensuite sur le principe de départ de la division du travail dans toutes les sociétés humaines qui est que «le travail domestique et de proximité est essentiellement pour les femmes, alors que le travail dur, risqué et lointain est principalement pour les hommes». Les mutations plus ou moins importantes s’opèrent dans cette division au fur et à mesure des transformations des sociétés dues aux nombreux facteurs tels que la diversification de l’économie, le changement des activités et de mode de vie, l’urbanisation, la scolarisation, la monétarisation de l’économie, l’ouverture des sociétés, etc.
Dans le second point relatif au rôle de la femme africaine dans passé, il se dégage que les travaux ménagers, les travaux des champs, la nutrition de la famille, l’encadrement et l’éducation des enfants, etc., étaient, pour ceux qui ne demandaient pas trop d’efforts physiques ou qui n’exposaient pas aux grands risques, davantage à la charge des femmes dans la famille. Dans le cadre familial, les femmes de chaque concession jouaient avec enthousiasme et un succès indéniable, le rôle de «ministres de l’intérieur». Dans la société par contre, les femmes intervenaient assez discrètement, mais toujours très efficacement dans les affaires de la communauté, directement par celles qui avaient un statut d’hommes, indirectement à travers leurs associations et à travers leurs époux. Ne dit-on pas que derrière chaque grand homme se trouve une grande femme?
Dans le troisième point relatif au rôle de la femme africaine aujourd’hui, on constate que les multiples facteurs de mutation sociale ci-dessus évoqués ont rendu floue et de plus en plus inexistante selon le degré d’évolution des sociétés, la frontière entre les activités naguère féminines et masculines. C’est ainsi que dans les familles, les femmes rivalisent de plus en plus avec les hommes dans les activités extérieures au foyer et dans l’apport des ressources financières pour pourvoir aux besoins de la famille. Dans ces conditions, elles ne comprennent plus pourquoi elles doivent encore assumer pleinement leur fonction de «ministre de l’intérieur», en dépit des appuis multiformes que les hommes leurs apportent de plus en plus.
Dans la société, le rôle des femmes naguère localisé et discret, s’exerce aujourd’hui, non seulement dans tous les secteurs d’activités et souvent aux avant-postes, mais de plus en plus au premier plan (Chef d'État ou de gouvernement, présidente de l’Assemblée nationale, etc.), même dans les pays naguère considérés comme machistes. C’est également dans le domaine économique que les femmes ont fait d’énormes progrès. L’association mondiale des femmes chefs d’entreprise dont une camerounaise est Présidente en exercice, est révélatrice d’un dynamisme certain des femmes dans le domaine des affaires.
Quant au quatrième relatif aux perspectives d’avenir, l’évolution du rôle de la femme dans la famille et dans la société, bien qu’à de niveaux différents selon les milieux, est une réalité palpable et irréversible. Elle permet une mobilisation sans cesse croissante des énergies créatrices et productrices de plus de la moitié de la population pour le développement des familles et des sociétés, avec un zeste d’amour, de sentiment et de sensualité maternels qui vient très souvent adoucir la rudesse et la brutalité masculines. Mais de nombreux dérapages montrent que cette évolution fulgurante et souhaitable de la femme dans le domaine de la maîtrise des techniques et des technologies et dans la possession des biens matériels ne s’accompagne pas toujours d’une évolution positive des mentalités, du sens de la responsabilité, de la confiance en soi et du respect de soi. Ainsi, on assiste dans les collèges et les universités au phénomène regrettable mais envahissant de «notes sexuellement transmissibles» et dans la vie professionnelle, aux recrutements et aux promotions «canapés» qui dévalorisent et chosifient les femmes. De même, la femme désormais égale ou supérieure à l’homme sur le plan matériel ou ne dépendant plus de ce dernier pour sa vie, n’entend plus ça et là assumer convenablement son rôle d’épouse et de mère. En plus des mots déplacés et désobligeants qui fusent à temps et à contretemps, des sorties intempestives du foyer et parfois de la débauche à peine voilée, beaucoup de femmes qui hier dans le besoin tendaient avec respect la main pour prendre, semblent ignorer, maintenant qu’elles ont des moyens, qu’elles doivent la tendre pour donner.
Alors les divorces pleuvent, les familles mono-parentales augmentent, l’homosexualité emprunte le modèle des justificatifs des fumeurs et des saoulards pour s’installer.
Devant le combat justifié des femmes occidentales sur de nombreux aspects de la vie (droit de vote, nom, liberté, etc.), les femmes africaines, naguère honorées, respectées et pleinement responsabilisées, cherchent à enfoncer des portes depuis longtemps ouvertes et débouchent plutôt sur la radicalisation des hommes qui, après avoir concédé volontiers le pantalon se demandent aujourd’hui s’ils ne vont pas perdre leur masculinité.
C’est dire que les femmes africaines doivent se convaincre que la nécessaire quête de la science, des techniques et de la technologie occidentales qui accroît, diversifie et renforce leur rôle dans la famille et dans la société, ne doit venir qu’en complément de ses valeurs sociales d’avant-garde pour assurer leur plein épanouissement. Elles doivent savoir que ce sont ces valeurs qui leur permettent aujourd’hui de conquérir le cœur des Occidentaux. Elles doivent donc éviter de jeter ce que les autres recherchent ardemment au profit de ce que ceux-ci veulent abandonner le plus vite possible. C’est dire qu’en ce moment où l’avenir semble incertain, les hommes et surtout les femmes doivent retourner vers leur riche patrimoine culturel pour se refonder.
Quelles sont la valeur et la place de la femme africaine sur le plan culturel, économique, politique et social?
Dans la société traditionnelle, la femme africaine avait une très grande valeur et une place de choix sur tous les plans. Ce sont les valeurs dites de la modernité non appropriées qui ont tendance de nos jours à la dévaloriser et à la couper de ses racines culturelles au profit des valeurs matérielles, égoïstes et individualistes de l’Occident.
La solidarité empreinte de chaleur humaine, l’esprit de libre et enthousiaste partage et le sens aigu de vie communautaire sont des valeurs qui tapissent le soubassement socioculturel des sociétés africaines et qui sont de nos jours ardemment recherchées par l’Occident.Certains hommes pensent que c'est la femme africaine qui gère la vie sociale en Afrique et pour cette raison c'est la femme africaine qui est en avant garde de la culture africaine. Il ne doit pas avoir une femme qui ignore la culture. Que pensez vous de cette pensée?
On dit avec raison que la femme est la mère de l’humanité. C’est elle le gardien du temple et le garant de l’harmonie sociale. En cela, elle devrait maîtriser la culture afin de la transmettre aux générations futures. Mais malheureusement, elle est de nos jours plus empreinte à épouser sans discernement les valeurs occidentales.
Un internaute traditionaliste affirme que l'homme ne doit jamais regarder l'argent de la femme, un homme après avoir construit la maison de sa femme, n'a plus le droit d'y entrer comme il veut, par contre la femme peut entrer chez l'homme sans le prévenir de son arrivée ou de sa permission. Autre point, l'homme n'a pas le droit de vivre avec l'énergie d'une femme (par exemple, prendre son argent, profiter de ce que la femmes a souffert pour obtenir) à l'exception de la nourriture. Alors notre question: Est-ce toujours le cas dans la société africaine?
Il s’agit là des clichés et des idées reçues sans prise directe sur la réalité du terrain. La société africaine est une société communautaire et les membres de la communauté ont presque tout en partage. L’indépendance résidentielle de l’homme et de la femme ne répond qu’à un mode d’organisation de la vie du groupe qui garantit une certaine intimité, laquelle permet de prendre le recul face aux problèmes interpersonnels.
Dans un de vos ouvrages “La modernité dévalorise la femme africaine”, vous montrez les valeurs que la femme africaine abandonnent au profit de celles de la modernité; Quelles sont les mesures à prendre pour contenir la femme africaine dans sa culture et dans ses Droits?
Les nouvelles générations des Africains sont moulées dans la culture occidentale véhiculée à l’école depuis la colonisation. La «mission civilisatrice» de l’homme blanc mettait d’ailleurs un point d’honneur à couper les Africains de leurs racines culturelles. Pour renverser la vapeur, nous devons reconquérir notre personnalité, nos originalités et notre spécificités afin d’avoir confiance en nous. Pour ce faire, nous devons nous retremper à la source vivifiante de nos valeurs sociales.
Au cours d'un entretien vous déclariez: “Nous devons être très lucide pour ne pas tomber dans le piège de l'Occident ou des Africains acculturés qui malicieusement ou par ignorance nous détournent parfois de nos vrais problèmes” Comment résister aux africain(e)s acculturé(e)s qui prennent des leçons de l'Occident, les plantent et enseignent en Afrique?
Nous devons désormais nous informer à la bonne source en nous replongeant dans les œuvres culturelles authentiquement africaines. Pour ce faire, nous devons rompre avec la culture de l’oralité et développer sensiblement notre propension à la lecture. En effet, il est dit avec une certaine dose de vérité que si on veut cacher quelque chose à un plus grand nombre d’africains, et même en Occident, il faut le mettre dans un livre.
En plus vous ajoutiez que “L'Occident n'a pratiquement rien à nous apprendre sur le plan des relations sociales, voir à ce sujet votre ouvrage “Lumières des Ténèbres.”” Par exemple?
Dans la culture Africaine, une femme qui va en mariage, ne change pas de nom, comment sommes-nous arriver à cet égoïsme qui renverse la loi culturelle de nos jours, et comment peut-on retourner à cela? Que signifiait le fait qu'une femme garde son nom?
Le nom est le premier élément de l’identité d’une personne. En Afrique, le nom confère en outre une mission d’immortalisation d’un ascendant ou d’un événement marquant, un témoignage de gratitude, etc. Il va sans dire que perdre son nom c’est perdre son identité ou mettre fin à la mission de représentation. Par contre en Occident, la femme mariée est traitée comme une propriété de son mari, au même titre que sa voiture qu’il doit immatriculer en son nom. Pour restaurer aux femmes leur identité, les pièces d’identité des femmes mariées au Cameroun portent désormais leur nom de jeune fille, suivi seulement du nom du mari. ( A suivre)