Cameroun: Sont-ils vraiment Camerounais ceux qui nous gouvernent?

Douala, 06 mai 2013
© Julins Sepo Tingueu | Le Messager

Les Camerounais, du moins ceux d’en bas développent un tel chauvinisme et une telle fierté béate qu’ils ont l’habitude de dire haut et fort qu’ils n’ont jamais connu la colonisation comme leurs autres frères d’Afrique. Il est vrai qu’on a parlé de colonisation en Afrique et en Amérique parce qu’on a considéré que ceux trouvés en place, à savoir les Noirs et les Peaux rouges étaient plus des sauvages aux yeux de ceux qui arrivaient que de véritables hommes. En Asie par contre, on n’a pas à proprement eu à parler de colonisation parce que les Jaunes étaient en fait un peu plus blancs que jaunes. Il fallait tout de même considérer qu’il y avait une différence, alors on a parlé d’une race « jaune ». Cependant, on les a un peu considérés comme des êtres humains, puisque chez eux on a parlé « d’occupation » et non de colonisation.

Pour revenir à notre cher et beau pays le Cameroun, on a dit qu’il n’a jamais été colonisé. Il a profité d’un « protectorat » allemand, avant que les Français et les Anglais se le partagent au lendemain de la défaite allemande dans la Première Guerre mondiale « sous mandat » de la Société des Nations et plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale, et toujours après une défaite allemande, ils sont restés en tant que « tuteurs » désignés par ce qu’ils avaient baptisé Onu. On peut donc dire au vu de cela que les Allemands qui sont restés chez nous un peu plus de trente ans pour nous « protéger » - de leurs frères européens sans doute – n’avaient pas à trop s’occuper de notre évolution puisqu’en tant que protecteurs, ils étaient en droit de réclamer de nous que nous les payions pour cela. Cependant, un siècle plus tard, les vestiges des réalisations allemandes dans notre pays sont encore visibles. On pourra arguer du fait qu’ils ont réalisé des voies de communication en vue sûrement d’exploiter des richesses du pays pour compenser leurs efforts de protection.

Après eux, les Français et les Anglais se sont retrouvés chez nous « malgré eux » parce qu’il fallait occuper les territoires laissés vacants par l’Allemagne défaite. C’est la Sdn qui les a « obligés » à être là. Ils n’avaient donc pas à s’occuper de notre bien-être. Leur seul souci était de faire contre mauvaise fortune bon cœur en évaluant ce que ce territoire qu’on leur donnait « sous mandat » pouvait leur rapporter pour compenser « leur peine » d’accepter de s’occuper des sauvages que personne « n’avait voulu coloniser » puisqu’ils étaient simplement « protégés » par les Allemands. C’est dont simplement par peur d’être réprimandés par ceux qui les avaient mandatés qu’ils « ont été obligés » de faire quelques réalisations tout en pensant bien entendu à leurs intérêts à eux. Après la Deuxième Guerre mondiale, devenus tuteurs « malgré eux », ils ont simplement continué à se comporter comme par le passé, c’est-à-dire à penser avant toute chose à leurs propres intérêts.

Mais alors, depuis la fin des années cinquante qu’ils sont partis – curieusement ils auraient bien aimé rester alors qu’ils avaient toujours dit se trouver là « malgré eux »– à qui a-t-on laissé la charge de gouverner le territoire Cameroun ? On a l’impression après plus de cinquante ans qu’on a remis le pays à d’autres étrangers d’un genre nouveau qui cette fois-ci ont tous les pouvoirs et tous les droits sans avoir besoin de rendre by Text-Enhance">compte à qui que ce soit de leur gestion, surtout pas au peuple. Alors on se demande de qui ils peuvent tenir leur légitimité, à moins que cela ne soit de ceux qui leur a magnanimement « donné » ce pouvoir en partant. A coup sûr, ils nous ont bien gouvernés, puisqu’après cinquante ans, ils sont toujours là et ne courent pas le moindre risque d’être bougés. Les Allemands ont fait une trentaine d’années ; les Français et les Anglais ont à peine bouclé une quarantaine d’années. Mais eux, ils sont là depuis plus de cinquante ans. S’ils sont là depuis si longtemps, c’est donc sûrement parce qu’ils nous gouvernent bien.

Ils nous ont si bien gouvernés que dans le même pays, dans une région qui a moins de quinze mille kilomètres carrés, il faut deux jours pour partir d’un point à l’autre, et qui ne sont même pas aux extrêmes. Allez demander aux Camerounais d’Edéa comment ils font pour se rendre à Ndom, ville – ou village – situé dans le même département, pour ne prendre que cet exemple-là.

Ils nous ont si bien gouvernés que pour traverser le carrefour Ndokoti en plein centre de Douala, à pied, en moto ou en voiture, il faut compter une bonne trentaine de minutes pour couvrir une distance de deux cents mètres, ça dans le meilleur des cas. Ils nous ont si bien gouvernés que les quelques rares pistes d’atterrissage que les Anglais et les Français avaient laissées sont habités aujourd’hui par des lézards et autres bêtes rampantes. Ils nous ont si bien gouvernés que les rails montés par les Allemands pour aider au développement du pays ont été déterrés depuis bien longtemps sans que cela ne leur fasse le moindre effet. Ils nous ont si bien gouvernés que sur les cents premières universités classifiées et classées en Afrique, il n’y a pas une seule qui soit camerounaise. Les Camerounais qui quittent le territoire dotés d’un diplôme universitaire quelconque sont réévalués sous d’autres cieux et remis sur les bancs afin de pouvoir trouver un travail.

Ils nous ont si bien gouvernés que les infirmières et infirmiers pourtant « formé(e)s » ne savent pas faire la différence entre une intraveineuse et une intramusculaire. Comment dès lors s’étonner du taux de mortalité dans nos hôpitaux ? Ils nous ont si bien gouvernés que les problèmes de santé, d’éducation, de fourniture d’eau et d’électricité ne relèvent plus du service public. Ils nous gouvernent si bien qu’ils nous mentent constamment sur notre nombre pour ne pas engager des politiques conséquentes en faveur des populations. Mentir sur la population fausse d’avance toutes les données et projections pour l’avenir. Mais puisque les seules projections d’avenir sont celles d’être là pour fêter le centenaire de l’indépendance…Ils nous ont si bien gouvernés qu’ils nous avaient dit qu’en l’an 2000 il y aura « santé pour tous ». Depuis les pauvres populations n’ont de cesse de lutter contre les épidémies et des pandémies, et cela sans que ça leur donne la moindre colique.

Ils nous ont si bien gouvernés et pensent tellement à bien nous gouverner qu’ils ont pensé depuis près de vingt ans que toute personne qui occupe une charge publique et doit gérer un budget doit déclarer ses avoirs avant toute prise de fonction. Sûrement ils ne se sont pas très bien entendus sur la question car cette clause (pourtant article de la constitution) est restée lettre morte et le restera encore pour très longtemps car comment un petit gestionnaire public pourra revendiquer un patrimoine de plusieurs milliards de francs Cfa dans un pays très pauvre et très endetté alors que le plus riche ministre de la France, ci-devant sixième puissance économique mondiale a un patrimoine de moins de quatre milliards de francs Cfa après être pourtant passé aux affaires plusieurs fois ?

Ils nous ont si bien gouvernés et pensent tellement à bien nous gouverner qu’ils ont pensé qu’il fallait une grande décentralisation avec une large autonomie des régions. Seulement, ils ont compris que la chose allait être plus que compliquée parce qu’il faudra transférer beaucoup d’argent aux collectivités décentralisées et aux régions, ce qui leur causerait des pertes énormes en termes de retenus car il ne leur resterait pas grand-chose à gérer. Ils nous ont si bien gouvernés et pensent tellement à bien nous gouverner qu’ils ont pensé qu’il nous fallait un Sénat, qui devait cependant arriver pour consacrer le processus de décentralisation. Seulement, c’est maintenant que nous comprenons que le Sénat ne devait être qu’une structure superfétatoire de plus pour faire manger les copains qu’il fallait automatiquement caser quelque part. Sinon, comment comprendre l’urgence d’un tel projet dont la simple mise en place demande plusieurs milliards de francs sans compter le fonctionnement quotidien ? Avait-on besoin d’un Sénat qui va coûter au bas mot quatre milliards par an pour entretenir cent personnes dans un pays où des gens ont un salaire de moins de vingt mille francs par mois ? Avait-on besoin de dépenser autant d’argent pour faire vivre une poignée de personnes dans un pays où des milliers de retraités n’accèdent pas à leur pension retraite ? Où les enseignants sont en grogne chaque jour parce qu’ils n’ont pas de primes alors que les salaires sont déjà excessivement bas ? Dans un pays où les hôpitaux publics manquent cruellement de matériels et de personnels ? Cela fait bien des années qu’on cherche un ou deux milliards pour créer une banque agricole ou une banque des Pme.

On nous dit que pour cela il faut trouver des partenaires. Mais on a trouvé l’argent pour faire fonctionner le Sénat parce qu’il fallait rassurer les amis qui avaient les poches profondes, mais pas assez pleines. Combien de centaines de milliers de Camerounais aurait-on pu financer avec cet argent ? Ils auraient créé des emplois, directs et indirects, ils auraient payé des impôts, ils auraient remboursé cet argent qu’on prêterait à d’autres Camerounais et ainsi de suite. On aurait pu en cinq ans résoudre le problème de plus d’un million de Camerounais en leur faisant simplement des prêts de deux millions au plus ; ce qui de manière directe et indirecte aurait permis à pas moins de cinq millions de Camerounais de croire à un avenir meilleur dans leur pays. Au lieu de cela, on prend ces milliards pour mettre sur pied une institution dont le seul rôle semble être que son président pourra être intérimaire à la tête de la République en cas de vacance au poste. C’est-à-dire un rôle qu’il pourrait ne jamais jouer.

Ils nous ont si bien gouvernés et pensent tellement à bien nous gouverner qu’ils nous ont fait une nouvelle trouvaille : émergence en 2035. On nous avait dit à un certain moment qu’à partir de 2000, il y aura la « santé pour tous ». Seulement, tout le monde aura constaté que depuis ce temps des Camerounais continuent de mourir de choléra tout simplement parce qu’on ne peut pas distribuer de l’eau potable à tout le monde. Peut-être qu’il s’agit de l’an 2000 d’une autre ère que celle que nous vivons en ce moment. Chaque Camerounais a au moins une idée sur la notion de santé. Ils ont donc compris que cela n’avait été qu’un slogan creux. Alors, que nous dira-t-on cinq ou dix ans après 2035 ? Et même s’ils nous disaient maintenant qu’on a atteint l’émergence, qui le discuterait ? Ils sont les seuls à savoir ce qu’ils mettent dans cette notion, de même qu’ils nous disent qu’il y a croissance économique alors que la plus grande masse s’appauvrit chaque jour un peu plus et les salaires restent les plus bas de la sous-région.

Alors ne nous gouvernent-ils pas bien ? Les Allemands, les Français et les Anglais pouvaient se foutre de nous parce qu’ils savaient que tôt ou tard ils s’en iraient. Cependant, on voit encore des choses qui nous rappellent qu’ils ont été là. Alors, si des Camerounais ne se soucient pas de ceux qu’ils gouvernent, c’est probablement qu’ils ne sont pas Camerounais. Alors nous pensons que cinquante ans et plus c’est assez pour ces étrangers d’un autre genre. Décidément, que le Cameroun revienne enfin aux Camerounais !

Par Julins Sepo Tingueu, Ecrivain
77.32.81.36



06/05/2013
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