Cameroun: Qui finance les partis politiques?
Cameroun: Qui finance les partis politiques?
Nerf de la guerre, l'argent n'est pas moins le moteur du fonctionnement d'une formation politique. Or, dans l'environnement camerounais, les financements publics aléatoires, les cotisations des militants difficiles à recouvrer et la trésorerie pas toujours bien tenue en interne font que les partis politiques, surtout de l'opposition, soient particulièrement fragiles. Pendant ce temps et fort des moyens de l'Etat, le Rdpc tourne à plein régime.Dans la plupart des cas, les partis (plus de 200) qui peuplent la scène politique camerounaise vivent des financements publics, des cotisations des membres ainsi que des dons et des legs.
Les statuts de l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) indiquent par exemple en leur article 40, titre 5, que "les ressources du parti et de ses organisations annexes proviennent des droits d'adhésion, des cotisations, des produits de la vente des travaux et publications, des produits artistiques et des manifestations organisées par le parti, des contributions de toute nature versées par les membres et sympathisants, des revenus locatifs des biens du parti, des revenus de placements [et] du financement public des partis politiques et des campagnes électorales". Une résolution du président national, Bello Bouba Maïgari signée le 25 février 2002, fixe les taux et modalités de cotisations dans le parti.
Il en ressort que les cotisations des maires s'élèvent à 10.000 Fcfa par mois, les députés et les directeurs généraux 40.000 Fcfa, les ministres, 60.000 Fcfa. Selon Kuma Peter Kombain, responsable de la communication de l'Undp, "le parti vit des cotisations des membres, surtout des maires, des députés, des membres du gouvernement et autres directeurs généraux [le parti a deux Dga, l'un au Crédit Foncier et l'autre au Conseil national des chargeurs, Ndlr]. Les caisses sont régulièrement approvisionnées ". L'article 6 de la résolution sus évoquée, dispose qu' "une défaillance de cotisation de plus de six mois entraîne la suspension du membre de l'organe national auquel il appartient jusqu'à la régularisation de sa situation". Kuma Peter soutient par ailleurs que "l'Undp ne vit pas de fonds secrets que lui fourniraient des lobbies ou des membres du Rdpc. Cela n'est écrit nulle part dans la plate-forme qui nous lie". M. Kuma signale également que la misère ambiante ne permet pas au gros des militants d'honorer leurs engagements financiers vis-à-vis du parti. A propos du budget du parti, le responsable de la communication de l'Undp affirme simplement qu'il varie selon qu'on est en année électorale ou non, sans avancer de chiffre. M.Kuma précise toutefois que l'organisation d'un congrès ordinaire du parti coûte généralement près de 7 millions Fcfa.
Redressement fiscal
Le Social democratic Front (Sdf) n'a pas moins de soucis de financements. A en croire Me Augustin Mbami, trésorier général du parti, outre le financement public, le Sdf s'autofinance essentiellement pour assurer son fonctionnement. Les membres du comité exécutif national sont assujettis à des cotisations de 24.000 Fcfa, les maires 10.000 Fcfa et les députés étaient jusqu'à très récemment (cela est désormais coupé à la source et reversé par le bureau de l'Assemblée nationale, Ndlr) tenus de reverser dans les caisses du parti 10% de leurs revenus. "Le taux de recouvrement se situe à plus de 35%", souligne Me Mbami, qui se félicite de la mise en place d'un groupe communal qui permettra de mieux recouvrer les contributions des maires.
Le trésorier général du Sdf dément également les informations faisant état du financement de ce parti par le Rdpc, par des puissances étrangères ou par l'Internationale socialiste.
"Si ce financement était officiel, le trésorier que je suis en serait informé. Le Rdpc ne finance ni le chairman Ni John Fru Ndi, ni le Sdf. Comment le Rdpc pourrait-il nous financer alors que lui-même s'impatiente au Minadt lorsque le financement public tarde à tomber. S'agissant de l'Internationale socialiste, c'est plutôt le Sdf qui cotise à hauteur de 2 millions Fcfa par an. Je dois quand même dire qu'il y a des opérateurs économiques qui nous font des dons. Mais ces contributions sont en baisse, car une fois que le Rdpc se rend compte que M.X nous soutient, il s'empresse de commanditer contre son entreprise, un contrôle ou un redressement fiscal fantaisiste". Me Augustin Mbami indique que le budget du Sdf pour l'année 2010 s'élève à 510 millions Fcfa. "Nous faisons les comptes à la fin de chaque exercice budgétaire.
Le taux d'exécution du budget se situe généralement à 85%. C'est en prélevant dans ce budget que nous organisons toutes les manifestions et nous soutenons le fonctionnement du parti. Par exemple pour l'anniversaire du Sdf, le 26 mai prochain, nous avons prévu une provision de 25 millions Fcfa". Au sein de l'Union démocratique du Cameroun (Udc), les plaintes fusent également par rapport au renflouement des caisses du parti. "Chaque militant doit verser par an 5200 Fcfa. Mais ce n'est pas évident dans un environnement de pauvreté généralisée. Les membres du bureau politique, du bureau national et du conseil exécutif cotisent aussi. Mais le taux de recouvrement se situe entre 50 et 60%. La présidence nationale fait des efforts incommensurables pour soutenir financièrement le fonctionnement du parti.
Les maires et les députés sont exemptés des cotisations statutaires. Tous sont tenus de verser des contributions spéciales, surtout à l'occasion d'évènements qui engagent la vie du parti", fait savoir Jean Claude Soptieu, communicateur du parti. Quant au budget du parti, M. Soptieu se garde de donner un chiffre. "Le budget de l'année 2010 est en cours d'élaboration, il faudra rentrer dans les documents pour vous indiquer le montant des années écoulées. Lorsqu'il y a un congrès, le président national lance un appel aux militants afin de réunir les moyens financiers pour assurer le succès de l'évènement", se contente-t-il d'indiquer. D'après lui, "l'Udc a été le premier parti à soutenir l'avènement d'un statut de l'opposition lors de la tripartite tenue en 1992 pour régler ces problèmes de financement, entre autres. Mais les pouvoirs publics attendent la veille des élections pour verser quelques subsides aux partis d'opposition".
Le Rdpc fait également face au déficit de ressources financières, du moins dans son fonctionnement courant. Le 21 juillet 2006, à la tribune du dernier congrès extraordinaire du Rdpc, le président national du parti, Paul Biya, faisait cette exhortation: "Pour être en mesure de jouer pleinement son rôle, notre parti devra s'appliquer à régler le problème de ses finances et qui repose seulement pour le moment sur la part du financement public et sur les contributions des députés retenues à la source. Il devra être rappelé aux élites quels sont leurs devoirs en la matière".
Face aux pesanteurs liées à l'autofinancement, l'espoir des partis politiques se fonde sur le financement public. Selon la loi du 15 décembre 2000 relative au financement des partis politiques, il est inscrit chaque année dans la loi de Finances une subvention destinée à contribuer à certaines dépenses de fonctionnement des partis politiques légalement reconnus : "La subvention est une allocation publique servie par l'Etat à un parti politique pour concourir notamment au fonctionnement de son administration courante, à la diffusion de son programme politique, à la coordination de l'action politique de ses membres, à la préparation aux consultations électorales, à la participation du parti politique aux différentes commissions électorales prévues par la législation en vigueur".
Moyens d'Etat
La subvention de l'Etat est répartie en deux tranches d'égal montant : une première tranche destinée aux partis politiques représentés à l'Assemblée nationale. Une deuxième tranche destinée aux partis politiques en fonction de leurs résultats à la dernière élection législative. La tranche destinée au financement des partis politiques représentés au Parlement leur est allouée proportionnellement à leur nombre de sièges respectifs. L'Etat participe également au financement des campagnes électorales par la prise en charge de certaines dépenses des partis politiques à l'occasion des consultations électorales.
Dans leur majorité écrasante, les partis d'opposition dénoncent le caractère aléatoire de cette subvention des pouvoirs publics qui est débloquée depuis 2002. La dernière répartition de cette subvention étatique (1,2 milliard Fcfa) date de 2009. "C'est généralement à l'approche des élections que l'Etat verse de l'argent aux partis politiques. En 2009, nous avons perçu environ 240 millions Fcfa contre 900 millions Fcfa pour le Rdpc", déclare Me Mbami. Pour Jean Claude Soptieu, "ce financement est devenu une arme de chantage du parti au pouvoir". Quant à Kuma Peter, il observe que "l'administration débourse le financement public tard afin de paralyser le fonctionnement des partis d'opposition. Au même moment, le Rdpc est permanemment en campagne avec les moyens de l'Etat ".
© Mutations : Georges Alain Boyomo