Cameroun: Quand Paul Biya voulait éjecter Fame Ndongo du Gouvernement - Jacques Fame Ndongo, le manœuvrier du régime

YAOUNDÉ - 01 Octobre 2012
© GUIBAI GATAMA | L'Oeil du Sahel

Face à son collaborateur, le Président reconnaît avoir été induit en erreur. Par qui?



Jacques Fame Ndongo
Photo: © Archives
Le 23 juin 2002, quelques heures avant de décider du report des élections législatives et municipales prévues ce même jour, le chef de l'Etat reçoit le secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr) d'alors, Marafa Hamidou Yaya, à sa résidence dans l'enceinte du palais présidentiel. Il est environ 4 heures du matin. Il a pris, en dernier recours, l'initiative d'alerter son patron sur l'incapacité de l'administration à organiser lesdites élections et s'est donc rendu chez lui sans prévenir. Marafa Hamidou Yaya explique au Président pourquoi il serait judicieux de reporter les élections, s'appuyant sur les derniers rapports de quelques gouverneurs de province qui invoquent de graves problèmes d'ordre structurels.

Le chef de l'Etat écoute son collaborateur. Quelques jours plus tôt, répondant à ses inquiétudes devant l'afflux d'informations alarmantes, le chef de l'Etat lui avait dit que les élections devaient se tenir à jour et en heure indiqués. Autrement dit, que ses informations n'étaient pas fondées ou à tout le moins qu'elles étaient trop alarmistes. Devant les nouvelles explications de son collaborateur, le Président prend la décision de reporter les élections au 30 juin 2002. Donc, contrairement à la version officielle relayée par les médias et indiquant que le chef de l'Etat n'a été informé des péripéties de l'organisation des élections que la veille, vers 23h30, la vérité est bien que c'est entre 4h et 5h du 23 juin 2002 que la bonne information lui est parvenue et que la décision a été prise.

Face à son collaborateur, le Président reconnaît avoir été induit en erreur. Par qui? Toujours est-il qu'il instruit séance tenante la préparation d'un ensemble de décrets. Outre celui du report, un autre doit modifier le gouvernement. Le chef de l'Etat instruit les limogeages du ministre de l'Administration territoriale d'alors, Ferdinand Koungou Edima, du ministre de la Communication, Jacques Fame Ndongo et du délégué général a la Sûreté nationale, Pierre Minlo'o Medjo. Une seule recommandation est donnée au secrétaire général de la présidence de la République: que Ferdinand Léopold Oyono remplace Koungou Edima au ministère de l'Administration territoriale et de la décentralisation. Le Président se ravisera par la suite, expliquant à Marafa Hamidou Yaya que la mission requérait beaucoup d'énergie et que le «vieux nègre» était déjà trop vieux pour accomplir une telle tâche, l'enjoignant de prendre le strapontin. Le choix des autres ministres à nommer est abandonné à l'appréciation du Sgpr.

Marafa Hamidou Yaya explique toutefois à son patron qu'un remaniement gouvernemental créerait une psychose dans l'opinion, et laisserait croire à l'existence d'une crise au sommet de l'Etat alors que le principal responsable, en l'occurrence le patron de l'administration territoriale, est connu. Le Président se rend aux arguments de son collaborateur, et cela transparaîtra d'ailleurs clairement dans ses propos lus à la télévision nationale le 23 juin 2002. «Le report n'est du ni a une grave raison d'Etat ou de sécurité intérieure». Voilà la tête de Jacques Fame Ndongo sauvée. Le créateur a failli mettre fin à sa créature. En grande partie à cause du soutien aveugle de ce dernier au Président.

Quelques jours plus tôt, le secrétaire général de la présidence de la République avait convoqué une réunion informelle à laquelle assistaient entre autres Jacques Fame Ndongo, Ferdinand Oyono et René Owona. Il s'agissait de dénicher les voies et moyens de convaincre urgemment le chef de l'Etat de la nécessité de reporter les élections, entendu que Marafa Hamidou Yaya avait déjà essayé en vain d'alerter son patron sur les manquements d'alors. Il ne pouvait récidiver. Au cours de ce conclave, Jacques Fame Ndongo, malgré les explications fournies par le Sgpr, aura cette belle repartie lapidaire: « Même en temps de guerre, Ahidjo a organise des élections. Ce n'est pas en temps de paix que nous ne pouvons le faire». Toujours est-il qu'à l'issue de la rencontre, Ferdinand Oyono et René Owona, reconnus pour leur proximité avec Paul Biya, avaient été choisis pour aller lui parler. Jusqu'à ce 23 juin 2002, à 4 heures du matin, quand Marafa Hamidou Yaya se pointe à la résidence du chef de l'Etat, aucun des deux «envoyés spécieux» n'avaient jugé utile de perturber la quiétude présidentielle...

GUIBAI GATAMA


Politique: Jacques Fame Ndongo, le manœuvrier du régime

L'actuel ministre de l'Enseignement supérieur est un homme à part dans le dispositif du chef de l'Etat.

Son calme actuel ne doit pas faire illusion. Au contraire, c'est le moment que les contempteurs de Jacques Fame Ndongo doivent le plus redouter: quand il n'agit pas à la lumière, c'est qu'il tire les ficelles dans l'ombre. Dans tous les cas, le secrétaire à la communication du Rdpc est à la manœuvre, jamais dans l'hésitation, toujours à l'affût pour soutenir le régime de Paul Biya, à la régulière comme au noir, prenant, comme très peu d'autres dans le gouvernement, le pari du soutien aveugle quand les autres ne voient parfois que les risques. L'histoire retiendra que celui qui figure dans le gouvernement sans discontinuer depuis 12 ans est le porte-flambeau de la riposte médiatique du Renouveau contre l'«impertinent» Marafa Hamidou Yaya. L'activité épistolaire en prison de l'ancien Minatd a en effet mis en déroute l'establishment, semé la confusion dans les rangs du parti au pouvoir et écorné l'image du gouvernement, dont certains membres en poste sont gravement mis en cause pour des actes de corruption. Les trois premières lettres publiées par l'ancien SG/PR sont accompagnées d'un silence sidéral du sérail, à peine perturbé par le bruit inaudible de quelques agités du système qui amusent plus qu'ils ne convainquent.

L'idée d'un pouvoir vermoulu fait son chemin. L'opinion observe bien qu'on ne se bouscule pas pour défendre une nomenklatura mitée et qui subit les coups de boutoir d'un homme qui en connaît bien les anfractuosités. Les vingt ans de Marafa Hamidou Yaya dans la barque ne sonnent pourtant pas, aux yeux d'une bonne frange de l'opinion, comme un aveu de complicité avec un système, mais de crédibilité, renforcée par des pièces à conviction. Jacques Fame Ndongo comprend que le jeu de coulisses ne peut plus suffire à contenir la vague pro-Marafa qu'on sent monter. Les journaux mis en service pour le noircir et le diaboliser ont fait la preuve de leur inefficacité. Les francs-tireurs et les snippers placés dans toutes les radios urbaines et qui squattent les chaînes de télévision pour faire contrepoids sont inaudibles. Reclus à Etoudi, Paul Biya ne dit mot, alors qu'il faut donner le ton. Le 30 mai, dans un éditorial, Jacques Fame Ndongo se dévoile dans une contre-attaque en règle contre son camarade, membre comme lui du bureau politique du Rdpc. Il sonne le tocsin.

Ce jour-là, l'actuel ministre de l'Enseignement supérieur ne vient pas que déchirer le silence, il fixe le cap d'une offensive anti-Marafa, qui servira pendant tout le temps de son procès et perdure, Jacques Fame Ndongo inaugure l'habile manœuvre de dépolitisation du procès, en invitant Marafa Hamidou Yaya à apporter des réponses judiciaires et non politiques à son affaire. Il sait pourtant que le seul fait que c'est à son titre politique qu’il répond à Marafa lui donne tort. Mais c'est une brèche dans laquelle tous les thuriféraires du régime vont s'engouffrer, comme s'ils n'attendaient que le signal du penseur attitré. De fait, personne n'a oublié que Jacques Fame Ndongo fut la plume de Paul Biya pendant près de 17 ans. En effet, à peine a-t-il soutenu sa thèse d'Etat en sémiologie que celui qui dirige l'Ecole supérieure des sciences et techniques de l'information et de la communication (Esstic) depuis 1981 est appelé comme chargé de la communication au cabinet civil de la présidence de la République. C'est ici qu'on le créditera d'inspirer et d'écrire les discours présidentiels, ce qu'il n'a jamais démenti.

Depuis cette date, nombre de ses congénères pensent que Jacques Fame Ndongo est dépositaire de la pensée présidentielle, en tout cas lui-même en est convaincu. Il sait sur quelle corde tirer et semble avoir testé la sensibilité de Paul Biya sur certaines questions comme la jalousie du pouvoir. Aussi joue-t-il constamment sur le registre de la gratitude ou de la sollicitude présidentielle et érige en ennemi du système ceux qui n'en font pas œuvre. Les motions de soutien, les «appels du peuple» et d'autres fumisteries du même genre ont été systématisés comme la preuve d'une soumission et d'une adhésion, là où ne se nichent en vérité qu'hypocrisie et mise en scène. Fame Ndongo sait que le «chef» aime ça, il en produit en quantité. D'où les attaques en ingratitude que Fame Ndongo introduit dans sa réponse à Marafa, qui oublie qu'il ne «serait rien sans Paul Biya». Avant cela, Il était déjà le premier à monter au front pour minimiser le contenu du livre d'Ateba Eyené intitulé «Les paradoxes du pays organisateur» ou encore plus récemment, le 27 avril 2011, quand il a fallu défendre publiquement dans un amphithéâtre de l'Université de Yaoundé I. au cours d'un débat de haute facture, la motion de déférence et de gratitude de certains enseignants-chercheurs au chef de l'Etat Paul Biya.

L'une des célèbres saillies de celui qui fut ministre de la Communication est en effet un modèle de dépersonnalisation, mieux, d'émasculation politique. «Ministres, députés, nous sommes tous des créatures du président Biya. Sans son décret, je ne serais rien. C'est la même chose pour les députés. On ne peut pas être député si l'on n'a pas été investi par le Rdpc qui a été créé par le président Biya» est sa déclaration dans l'émission de Canal 2 «Parole d'homme» en mars 2010. Comme s'il n'avait été bien entendu, il récidive en 2010 devant ses frères du Sud, médusés mais muets. «Nous sommes tous des créatures ou des créations du président Paul Biya, c'est à lui que doit revenir toute la gloire dans tout ce que nous faisons. Personne d'entre nous n'est important, nous ne sommes que ses serviteurs, mieux, ses esclaves», déclare-t-il.

Jacques Fame Ndongo a compris avant les autres à quoi marche Paul Biya et devient l'exégète du Renouveau, l'un des hommes à penser d'un système sans vraie idéologie motrice, seulement celle de «tout pour le prince et son plaisir». Il l'a théorisé en sublimant la négation de l'être en dehors du système Biya.

C'est qu'il y a bien longtemps que Fame Ndongo travaille à forger à Paul Biya une image d'Epinal et au Renouveau une apparence publique séduisante. A peine le nouveau chef de l'Etat a-t-il pris les rênes du pays en 1982, que le doute sur ses capacités managériales parcourent le pays et les partenaires du Cameroun, voilà Fame Ndongo, tout spécialiste en communication qu'il est, qui publie «Paul Biya ou l'incarnation de la rigueur» aux éditions Sopecam. Une balade dans la vie du nouveau président de la République, qui sort de cet ouvrage avec une image d'un homme qui a voué sa vie au service de l'Etat, qui a un parcours académique brillant et est issu d'une famille modeste. Bref, l'homme qu'il faut à la place qu'il faut. Il rentrera dans les bonnes grâces de Paul Biya et n'en sortira plus.

Seulement, avec Marafa Hamidou Yaya, Jacques Fame Ndongo règle aussi un problème avec le Grand-Nord, qui a failli lui faire perdre son poste à la suite de la publication des résultats du premier concours d'entrée à école normale supérieure (ENS) de Maroua en 2008. Aujourd'hui âgé de 62 ans, il n'a pas oublié qu'il avait subi un désaveu public du président de la République à la suite de la pression de l'élite nordiste, qui avait fait le compte qu'à l'ENS il y avait plus d'admis originaires des autres régions que celles du septentrion.

En se payant leur champion, Fame Ndongo s'offre une revanche inespérée. Marafa Hamidou Yaya n'est en effet pas le premier haut responsable du Rdpc en rupture de ban, mais jamais on n'avait vu autant d'entrain à déconstruire un «camarade».

Chef de son village Nkolandom près d'Ebolowa, Jacques Fame Ndongo est donc un inspirateur qui passe souvent à l'action. Mais son jeu favori est d'agiter les ombres pour mieux se saisir des proies, jusqu'à ce qu'il en devienne une lui aussi.

RAOUL GUIVANDA



04/10/2012
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