Cameroun. Quand l'inflation ambiante agite le spectre de février 2008
Malgré les assurances et certaines dispositions mises sur pied par les pouvoirs publics, force est de reconnaître que sur le marché, la réalité est toute autre. Depuis les émeutes dites de la faim, les prix sont passés du simple au double. Enquête.
Lors de la célébration de la journée mondiale des droits du consommateur, le 15 mars 2012, invité à une conférence de presse tenue à Douala, le délégué régional du Commerce pour le Littoral, David Tsegui s’est voulu rassurant. Il n’a pas caché son satisfecit devant l’esquisse du bilan de la lutte contre la vie chère, qui selon lui, est « prometteur ». Ce jour-là, il a brandi le comportement du taux d’inflation qui est resté en deçà du seuil tolérable qui est de 3% le critère régional de convergence. En 2009, a-t-il argué, « le taux d’inflation était de 3%, en 2010 1.3% et en 2011, 2.9% ». Et de conclure en se gargarisant : « La politique de la lutte contre la vie chère menée par le gouvernement porte des fruits. Et le label Cameroun en la matière est un exemple pour certains pays sur le continent ». Ces pays à en croire le délégué régional du Commerce pour le Littoral, viennent s’abreuver à la source des « magasins témoins, les caravanes de la Mirap (Mission de régulation des approvisionnements des produits de grande consommation, Ndlr) et la défiscalisation de certaines denrées de première nécessité ».
Si on loue l’implémentation de ces mesures et la cote qu’elles ont à l’extérieur des frontières nationales, à l’intérieur, leur efficacité peine à se faire sentir dans le panier de la ménagère qui est de plus en plus difficile à remplir. Ce qui a fait dire à Bikidik le président du Réseau des associations des consommateurs de l’énergie, Race, que « cette politique est un échec total ». Pour lui, « l’inflation, loin d’être en dessous du seuil tolérable, oscille depuis 2008, entre 20%, 30% et 40% ». Il est à noter que pour le bureau de la Banque mondiale au Cameroun (Cf Cahiers économiques du Cameroun, janvier 2012) ce taux a dépassé en septembre 2011, le critère de convergence sous-régional pour atteindre 4.7%. Que ce taux d’inflation soit de 20% ou même de 4%, s’emporte Sylvie Nanga, une ménagère rencontrée au marché Sandaga à Douala, « toujours est-il que sur le marché, les prix connaissent une constante hausse ». Une hausse que le bureau de la Banque mondiale reconnaît tout aussi. Et l’explique : « La pression des prix s’est accentuée essentiellement à la suite de la hausse des prix des produits alimentaires ».
Toutefois, de manière tout à fait empirique, les prix sur le terrain donnent plutôt raison à Sylvie Nanga. La mercuriale de prix chez différents grossistes, le riz Neima qui est le plus prisé, il y a trois mois, le sac de 50kg valait 16.800 Fcfa au mois de mars, il faut débourser 17.800 Fcfa. Le lait en poudre de 20kg coûtait en début d’année, 55.000 Fcfa maintenant la même quantité vaut 63.000 Fcfa. Et pour 1kg de sucre, il y a deux mois, il fallait avoir 600 Fcfa en mars 700 Fcfa. Des chiffres corroborés par les conclusions du dernier rapport de l’Association camerounaise des intérêts des consommateurs (Acdic), qui est sans complaisance et donnent froid au dos : « Avant 2008, un kilogramme de poisson coûtait 700 Fcfa, en 2012, il est à 1200 Fcfa ; un litre d’huile végétale valait en 2008, 500 Fcfa en 2012, 800 Fcfa ; 1kg de maïs 190 Fcfa et en 2012, 250 Fcfa ».
Avec cette inflation qui n’est visiblement pas maîtrisée, l’Etat camerounais gagnerait à insuffler une politique plus agressive tant au niveau de la défiscalisation des denrées qu’au niveau du contrôle effectif des prix. Bien plus, il gagnerait aussi à encourager la production locale agricole et industrielle…toutes choses qui garantiraient au Cameroun une souveraineté alimentaire et le mettrait à l’abri des émeutes comme celles de 2008.
Jacques Willy NTOUAL