Cameroun : Pourquoi le changement au Cameroun dépend t-il des Camerounais ?

Deux évènements majeurs animent assez souvent la vie politique d’un pays. La session budgétaire au cours de laquelle les gouvernements annoncent les recettes et les dépenses annuelles et prévisionnelles de l’Etat. Les élections permettant de pourvoir le pays en dirigeants légitimes qui auront la délicate tâche d’élaborer et gérer ces budgets. Le Cameroun, à travers la session parlementaire actuelle, planche sur son futur budget. Parallèlement les spéculations vont bon train quant à l’organisation l’année prochaine c’est-à-dire 2010 d’au moins une élection, les sénatoriales, voir deux, les élections présidentielles avec si elles sont anticipées comme les indices nous laissent penser.

En effet, l’organisme chargé d’organiser et conduire, de manière indépendante, le processus électoral ELECAM, s’est dit prêt, par la voix de son président, à le faire dès le début de l’année 2010 alors que certaines tâches pré requises ne sont point accomplies, ce en l’absence de budget et peut-être de volonté tout simplement:

- Transfert du fichier électoral du MINADT à ELECAM,
- Lancement de la campagne d’inscription sur les listes électorales,
- Mise à jour de ce fichier électoral au regard des résultats attendus du dernier recensement de la population de 2006,
- Informatisation de ce fichier,
- Affectation connue à l’avance des inscrits par bureau de vote,
- Formation et campagne de sensibilisation du personnel chargé d’assurer ces tâches sur les risques pénales encourus quant à la fraude.

Et cette liste n’est pas exhaustive.

Ensuite le Président de la République Paul Biya, par sa récente lettre adressée aux militants de son parti, le RDPC et aux camerounais, à l’occasion du 27ième anniversaire de sa prise de pouvoir, a subrepticement chaussé les pieds d’un candidat, tout au moins, à la candidature aux futures élections présidentielles. Cette lettre aux allures de profession de foi d’un candidat, couplée aux appels de pieds ou motions de soutiens de ses partisans puis au « redressement » idéologique qu’appelle de ses vœux, le secrétaire général du parti au pouvoir sont autant de points qui ne trompent même plus les plus naïfs du landernau politique camerounais.

La révision constitutionnelle de l’année dernière avait déjà jeté un premier pavé dans la marre.

Les multiples réponses à cette fameuse lettre notamment celles de Pierre Mila ASSOUTE du RDMC, des jeunes du parti libéral de Louis Tobbie MBIDA et l’annonce de candidats nous renforcent dans l’idée que les deux prochaines années détermineront, au-delà de l’avenir de notre pays, si oui ou non les camerounais c’est-à- dire chacun d’entre nous, pris individuellement, souhaite le changement tel qu’il le proclame urbi orbi.

En effet le changement que semble souhaiter majoritairement les camerounais, à travers les futures élections, sera un match aller-simple, sans retour. Le vouloir est une chose mais le pouvoir en est une autre.

Sommes-nous préparés individuellement et collectivement pour ce changement à la tête de notre Etat? Pouvons-nous demander et obtenir de nos dirigeants qu’ils changent si individuellement nous leur servons, par des comportements égoïstes, de marche pieds politiques? Ou en reproduisant individuellement, à notre petite échelle, les tares dont nous les créditons?

Individuellement le camerounais, au fil des ans, a perdu espoir en lui-même, ne croît plus à son propre avenir ni à celui de son pays. Il se morfond, s’invente un horizon irréalisable, se complaît dans un quotidien moyennant des « raccourcis » dont la durée ne peut être qu’éphémère. Cette atonie voulue, suscitée, entretenue a été amplifiée par la révision constitutionnelle de l’année dernière.

Les émeutes de février 2008, loin d’être la conséquence du renchérissement du coût de la vie, ne furent, en fait, qu’un exutoire pour la jeunesse camerounaise désabusée.

Convaincus qu’à défaut d’un changement à la tête de l’Etat par les urnes, celui-ci viendrait naturellement par la fin du second septennat de l’actuel locataire d’Etoudi.

Car qui peut croire qu’après la dévaluation du FCFA en 1994 qui avait entrainé des coupes drastiques et plongé le pays dans la misère, les Camerounais, habitués déjà à se serrer la ceinture, n’auraient pas pu attendre encore trois années supplémentaires de purgatoire.

Ces années difficiles qui perdurent, ont contribué à mettre en évidence des habitudes jadis inexistantes ou à amplifier celles qui étaient restées jusqu’à présent marginales. Toutes choses, prises individuellement, qui contredisent notre volonté de changement.

Nous ne citerons ici que quelques exemples emblématiques.

Le tribalisme.

Le Camerounais semble avoir été « dressé » comme un animal au stimulus ethnique. A chaque réaménagement ministériel, chaque Camerounais chausse ses lunettes pour lire les noms des ministres dont la consonance peut lui rappeler ses propres origines ethniques mais, avec malheureusement aujourd’hui, une grande marge d’erreur tant notre pays a subi de grands brassages de populations. En effet les unions mixtes y sont désormais légion.

A titre d’exemples, nous avons eu des ministres de parents bamilékés et bétis ou de ministres ou généraux d’une ethnie ayant des conjoints d’une autre ethnie, présentée à tort comme antagoniste dans un pays, à la croisée des chemins, qui a besoin de tous ses fils et filles, quelques soient leur origine ethnique ou linguistique, confession religieuse, obédience pour reconstruire son socle républicain.

Ensuite il prend sa calculette pour dénombrer ceux de sa région comme si cette proportion constituait un facteur multiplicateur de la réussite de l’action gouvernementale y compris chez lui. Avec le recul, depuis notre accession à l’indépendance et la gouvernance de l’actuel régime, si cela avait été le cas, nul doute que les Camerounais auraient apprécié les bienfaits d’une telle pratique.

Quand cela est possible, il s’invite chez le promu pour le féliciter tout en « coupant » à l’occasion une petite bière.
En retour, à peine installé, le promu se rend dans son village qu’il n’a pas revu depuis un bout de temps, pour une messe d’actions de grâce accompagnée d’orgies avec la bénédiction d’ecclésiastes.

Au gré des guerres de positionnement, il cosigne des pétitions ou motions de soutien à la gloire du chef de l’Etat.

Plus grave, toute critique à l’endroit de ce promu est ressentie par ce Camerounais comme une critique dirigée contre lui et au-delà contre son ethnie comme si chez nous l’ethnie était dépositaire du pouvoir politique, économique ou sociale.
Cette grille de lecture ethnique, voire ethniciste, de la vie politique qu’emprunte le Camerounais le conduit à être comptable, malgré lui, des actes qu’il désapprouve en réalité dans son subconscient.
L’aberration est poussée à un tel paroxysme que certains s’attendent même à voir l’épervier de l’opération éponyme épingler ses proies selon la politique de l’équilibre ethnique.

Va-t-on incarcérer, selon ce principe, un pygmée Mbaka innocent qui n’a même pas un représentant de son ethnie dans les sphères du pouvoir?

Les freins au changement commencent dans ces petites choses au quotidien dont se nourrissent ceux qui veulent perpétuer le statu quo.

La corruption.

Simple tumeur bénigne, il y a encore quelques années, elle est devenue maligne au point de métastaser tous les corps de l’Etat, les couches sociales et les esprits chez nous. La corruption est un produit qui s’échange sur un marché où différents acteurs interviennent et dont les principaux sont les corrupteurs et les corrompus. Il ne peut avoir de corruption sans l’un des deux acteurs. Evidence diriez-vous mais celle-ci vaut son pesant d’importance.

En effet en chaque Camerounais sommeille l’un ou l’autre comportement voir les deux.

Pourquoi l’étudiant verserait-il « l’eau » pour obtenir son diplôme si tout le monde se convainc que l’on n’obtient rien sans effort?

Pourquoi un citoyen, en raison d’une panne d’ascenseur social chez nous, se laisserait-il aller à épouser les mœurs que notre morale chrétienne et traditionnelle réprouvent?

Pourquoi l’opérateur économique ou le simple particulier paierait-il simplement une partie des frais de douane moyennant un bakchich?

Pourquoi un citoyen monnaierait-il les services d’un notaire pour sceller la vente d’un terrain dont il sait illégale? Ou d’un magistrat pour obtenir gain de cause devant une juridiction? Ou d’un agent en tenue pour se faire justice dans une affaire privée?

Pourquoi accepterait-il quelques billets et présents pour voter un candidat dont il sait qu’il ne reviendra le voir qu’à la veille de la prochaine élection?

Autant de « raccourcis » éphémères qui expliquent l’amplification et la persistance de ce mal qui ronge notre pays.

Les sceptiques diront toujours « MEBOYA », « ON VA FAIR COMMENT ».Le changement tout court implique malheureusement un changement individuel qui passe par des actes de contrition, des remises en cause, des sacrifices douloureux au vu des habitudes prises individuellement, des renoncements, une mutilation de nos égos, de nos égoïsmes.  C’est aussi à ce prix que les autres changeront et que le glaive de la justice des hommes pourrait avoir chez nous une vertu disciplinaire.

Le militantisme.

Le militantisme est à la politique ce qu’est l’essence à une voiture. Sans militantisme, un parti est voué au clientélisme et donc à la disparition à terme. Celui-ci ne survivra point au départ du fédérateur instantané des intérêts des apparatchiks. L’implosion est quasi assurée.

Beaucoup de camerounais, sans culture politique, rejoignent les partis et n’y trouvent pas de cadre approprié pour leur apprentissage. Le contraire aurait été étonnant et pour cause.

Même au sein du RDPC dont l’ancêtre l’UNC disposait d’une école des cadres du parti, le militantisme a foutu le camp. Très peu de militants de base sont promus aux postes de responsabilité politique notamment ministériels qui sont par définition des fonctions éminemment politiques. C’est plutôt l’inverse qui est la règle. Des personnes qui ont, certes un parcours académique, professionnel étoffés, sont propulsés à la tête des départements ministériels, à charge pour eux non seulement de diriger ses entités mais également de consolider voir élargir l’assise électorale du parti alors qu’ils ne disposent d’aucune qualité militante pour le faire.

Connaissent-ils vraiment le règlement intérieur de leur parti ? Les procédures internes ?

Possèdent-ils leurs cartes à jour de cotisations ? On peut en douter. Combien de ministres se sont-ils fait recalés à l’assemblée nationale lors de la présentation de leur budget? Disposent-ils au moins d’assistants parlementaires au sein de leur cabinet pour les aider, indépendamment de l’existence d’un ministre chargé des relations avec le parlement, dans leur relation avec l’hémicycle de Ngoa Kélé? Un médecin est-il la personne idoine pour gérer un ministère de la santé? Un magistrat celui de la justice? Un ingénieur celui des travaux publics, des mines ou des télécommunications? Un professeur celui de l’enseignement?
Bien évidemment non. Ces erreurs de casting sont à l’origine de graves dysfonctionnements constatés dans la gestion des affaires de notre pays.

Un juste retour en arrière de notre histoire politique permet de constater que les ministres, même bardés de diplômes, battaient les estrades, haranguaient les foules, débattaient malgré l’absence de multipartisme. Le débat interne a disparu pour être remplacé par les memoranda, les motions de soutien, les tracts anonymes parfois attribués à des nébuleuses au gré des guerres de positionnement. Les critères de sélection du personnel politique au sein de chacune des formations politiques que compte notre pays doivent évoluer pour s’appuyer sur le duo fief électoral-programme politique. Une telle évolution aura l’avantage de rendre plus difficile les phénomènes de transhumance politique ou de débauchage que l’on constate toujours à la veille des grandes échéances électorales. Il deviendra désormais périlleux pour un homme dont la légitimité ne tient qu’à ce duo de passer avec armes et bagages chez l’adversaire qu’il a critiqué sévèrement quelque temps auparavant, sans courir le risque d’une mort politique certaine.

Le désamour entre le camerounais et la politique d’une part et les femmes et hommes politiques d’autre part s’estomperait peu à peu.

Faut-il alors crier haro sur tous les hommes politiques qui peuvent évoluer dans leur raisonnement ou positionnement? Non à moins que l’on s’imagine qu’en tant qu’individu, on n’aurait pas le droit de changer, je dirai d’infléchir ses positions.
 
Sinon après de nombreuses trahisons, doit-on systématiquement faire des procès d’intention aux hommes politiques qui se déclarent ? Jeter l’opprobre sur toute la classe politique camerounaise? La politique n’étant pas une science exacte, attention à ne pas faire le lit aux extrémismes qui pourrait ne s’exprimer qu’à travers la chienlit.

Une femme ou un homme qui a connu de nombreuses déceptions affectives, bien que prudents, ne peut et ne doit point jeter l’anathème sur l’ensemble de la gente masculine ou féminine.

Au-delà des blessures nées des années de braises et du comportement ambigu de certains de nos hommes politiques, le Camerounais a désormais l’obligation de réinvestir le champ politique, non plus en spectateur mais en acteur. De par son implication assortie des règles qu’il souhaite voir appliquer, dépendra l’écrémage de ce milieu.

Projet et programme politique.

C’est la sécheresse voir le quasi désert en la matière sur l’échiquier politique camerounais. Les partis politiques légendaires du Cameroun n’ont jamais proposé de projet et programme politique et leurs dirigeants ne s’expriment que rarement sur les sujets brûlants et pourtant Dieu seul sait combien l’actualité politique fut riche et trépidante chez nous ces dernières années.
Alors que l’on se serait attendu que le RDPC, le plus grand parti de la majorité présidentielle impulse la politique gouvernementale, à travers un programme étoffé, c’est plutôt l’inverse qui nous est servi.  Le programme horizon 2035 du gouvernement servira peut-être d’aiguillon au parti des flammes sans grande chance de le voir amender si tant est qu’il y ait des propositions.

On peut en douter au vu du traitement dont fait l’objet les parlementaires y compris ceux de la majorité. L’arrivée, avec trois semaines de retard, du projet de budget 2010 sur le bureau de l’assemblée, en est une preuve. Le SDF en plus de 20 ans d’opposition n’a pas non plus produit de projets ni de programmes politiques. Le vide n’aura même pas été comblé par le fameux « Shadow government » dont on pensait que les membres allaient critiquer le  gouvernement de la République et proposer une alternative crédible. Que ne ni !!!

A la veille des futures élections présidentielles, seuls à ce jour le RDMC (Rassemblement Démocratique pour la Modernité du Cameroun) de Pierre Mila ASSOUTE, le parti libéral de Louis Tobie MBIDA à travers ses 100 propositions, le parti de Garga Haman ADJI ont publié leur programme.

Qu’en sera-t-il dans quelques mois ?

En tout cas, les Camerounais doivent désormais juger les idées, les projets, les programmes, les femmes et hommes qui peuvent mieux incarner le changement qu’ils attendent. C’est aujourd’hui et non demain que ce changement commence. Les petits ruisseaux faisant les grands fleuves, un test simple en deux points qui permettrait de juger notre volonté de pousser au changement est celui que je vous propose modestement et humblement.

• Allez-vous inscrire dès maintenant sur les listes électorales : la politique de la chaise vide est inefficace et contre productive ;
• Confectionner vous-même un badge, un pin’s avec la mention « Stop à la corruption » que vous arborerez au revers de vos vestes, chemises, kabas, robes. Cette opération citoyenne, même symbolique, permettrait de distinguer parmi les camerounais ceux qui veulent vraiment tordre le coup à ce machin. Chaque fois que vous vous trouverez dans un service où vous êtes susceptibles d’être en prise avec ce phénomène, mettez-le en évidence pour gêner le potentiel corrupteur ou corrompu.

© Correspondance particulière (Camer.be) : Adrien Macaire Lemdja
Paru le 28-11-2009 00:01:02


28/11/2009
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres