Cameroun: Paul Biya peut-il renaître?
Cameroun: Paul Biya peut-il renaître?
Paul Biya a failli à sa tâche disent certains. Puisqu’au fil des ans, des discours, son charisme et son dynamisme de 1982 n’ont pas su triompher et donner espoir à une génération qui l’admira et qui croyait tellement en lui. Au moment où il remplaça Ahmadou Ahidjo, il était l’exemple parfait de l’homme du moment, du guide qui pouvait mieux comprendre les aspirations d’une jeunesse, d’une génération. Hélas. Ceux qu’il appelait fer de lance dans son tout premier discours à la jeunesse camerounaise en 1983 vivent aujourd’hui une désillusion totale.
Paul Biya : Briseur de rêves?
Dans leurs discours, les politiciens tenteraint toujours d’utiliser une des fables les plus célèbres de La Fontaine, qui enseigne qu’un laboureur sentant sa fin prochaine, fit venir ses enfants et leur dit ceci: «Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage Que nous ont laissé nos parents : Un trésor est caché dedans. Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût : Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse».
Pourtant, tous les spécialistes des sciences politiques diront que les politiciens dans leurs actions et calculs politiques s’inspireraient plutôt de cette autre célèbre fable de la Fontaine, Le corbeau et le renard, dont le passage célèbre est : «Bonjour Monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli! Que vous me semblez beau! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois» A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie; Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec laisse tomber sa proie. Le renard s'en saisit et dit: "Mon bon Monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l'écoute: Cette leçon vaut bien un fromage sans doute."
De ces deux fables, laquelle répondrait le plus à la réalité camerounaise aujourd’hui? Sans risque de se tromper, on est tenté de dire la deuxième. En effet, 2011 approche à grand pas. M. Biya ayant modifié la constitution dans des circonstances que tout le monde connaît pour se maintenir au pouvoir.
En effet, promettre la création d’une académie de football répondrait plus à une logique de calcul politique et d’amadouer la jeunesse camerounaise qu’à une vision pour l’avenir. Un projet d’académie est peut être louable, mais dans son discours à la jeunesse, il n’est pas clairement défini en quoi le football va régler le problème criarde de chômage chez les jeunes. Comment le football pourrait dans un court et moyen terme éviter aux jeunes de trouver leur salut dans les callbox ou le benskyn. En réalité, comment une académie de football va-t-elle retenir une génération qui ne voit son rêve qu’au delà des frontières du Camerounais?
Qu’avons nous déjà fait du complexe sportif du carrefour Warda à Yaoundé? La jeunesse camerounaise est tentée de croire que, même si le chef de l’État est sincère, l’académie n’est qu’une autre distraction vis-à-vis la jeunesse en manque de repère. Paul Biya se tromperait car aucun pays au monde ne s’est développé parce qu’il a bâti une politique de développement basée unique sur la pratique du football. C’est en donnant plus de moyens aux associations sportives, tous sports confondus, qu’ainsi on pourra revivre les beaux moments de boxes, le sport qui nous a donnée notre première médaille aux Jeux olympiques (médaille d’argent enlevée par Joseph Bessala à Mexico en 1968, suivi en 1984 du bronze à Los Angeles par Martin Ndongo Ebanga toujours en boxe), du judos, de saut en longueur, du javelot et j’en passe.
Oui et cela n’est un secret pour personne les camerounais adorent le football et nous souhaitons tous que nos ambassadeurs, nos vaillants Lions indomptables portent toujours plus haut et le plus loin possible les couleurs de notre pays. Pour un football conséquent et qu’on veut anticiper les résultats, il serait mieux que l’État camerounais mette plus de moyens dans les infrastructures sportives nationales afin de favoriser un bon championnat national de football, de handball, de basket, de tennis, de boxe etc. Il faut investir dans la jeunesse, notamment le sport à l’école toutes disciplines confondues. Cela doit être une priorité, car le sport doit être une manière d’être, une manière de vivre. C’est de cette façon qu’on prépare l’avenir d’une jeunesse en santé, d’une jeunesse fière dans sa peau, d’une jeunesse qui grandit dans un environnement d’égalité pour tous.
Et cette égalité ne semble pas faire partie des priorités de Paul Biya. Car comment comprendre qu’une bourse soit attribuée aux meilleurs élèves tout en négligent ceux qui éprouvent des difficultés? Cette politique calculée et de navigation à vue, basée sur la théorie de la pyramide inversée ne peut pas produire de bons résultats. Car fonder sa stratégie d'attribution des bourses et de football sur une théorie de pyramide inversée pourrait être considérée comme une mise sur pied d’une tactique de discrimination qui consisterait, sans doute sans le vouloir, à sélectionner dès la base ceux qui doivent réussir et abandonner la majorité.
Or, une théorie inverse consisterait à donner la chance à tout le monde en trouvant un équilibre entre tous les jeunes universitaires. À ce titre, par exemple équiper les laboratoires, mettre plus d’argent dans les recherches, donner plus d’accès aux technologies de l’information, financer des projets académiques ou même envisager une diminution des frais universitaires seraient plus appropriés pour une égalité à la base : c’est la théorie de la pyramide simple. Non M. Biya il faut plutôt agir pour régler le sous financement des universités et écoles qui dure depuis plus de 20 ans car le modèle actuel de financement est un échec. Il faut faire de notre pays une société du savoir.
Paul Biya a-t-il des regrets?
M. Biya manquerait de temps. Il sait qu’il ne pourrait pas réaliser les projets qu’il a négligés pendant 28 ans. Et c’est légitime que les camerounais commencent à se demander quel héritage leur lèguera-t-il ? Et quelle place lui réserve l’histoire de notre pays?
Et pour cause, récemment, son nom figurait dans la liste des chefs d’états épinglés par le Comité catholique contre la faim. L’ONG l’accusait de détournement de fonds publics. Il y a surtout la plainte déposée contre lui à Paris par le Conseil des Camerounais de la diaspora (CCD), ses propres compatriotes qui l’accuseraient de recel et de détournement de fonds publics.
Même si cette présumée accusation n’aboutit pas, elle fait très mal à l’image du président Biya. Il en est conscient. Car la médiatisation qu’elle a connue est déjà un succès pour les auteurs. Et cela sème un doute sur les avoirs du chef de l’État. D’autant plus qu’en 14 ans, il n’a jamais promulgué la loi qui l’oblige lui, les membres du gouvernement, les députés et les directeurs d'entreprises d’états de déclarer leurs biens au moment de prendre leur fonction. La plainte que déposera sous peu le CODE pour des supposés crimes viendra ternir encore plus l’image de M. Biya. Image qu’il tentait tant bien que mal de redorer depuis des années par le biais d’une grosse boite de communication basée en France.
À tout cela s’ajoute la modification de la constitution pour rester au pouvoir à vie. Pourtant il est celui qui se déclarait « être l’homme par qui la démocratie est arrivée au Cameroun ». La structure du bureau d’Élecam est aussi un élément qui ferra toujours croire aux peuples camerounais que M. Biya adhèrerait à la célèbre phrase d’un politicien selon laquelle « en Afrique on n'organise pas une élection pour la perdre ».
Pourtant que d’espoir les camerounais n’ont porté en M. Biya? De voir, aujourd’hui, que deux mandats présidentiels non renouvelles, chèrement acquis aux sortirs des troubles des années 90 et gage d’une alternance à la tête de l’état ne soit plus une réalité au Cameroun, de voir que ce changement ne soit même plus réalisable dans un Cameroun de Paul Biya, est bien regrettable. M. Biya a mis le couvert sur ce qui aurait pu être un véritable héritage légué à la future génération dont il parle dans ses discours et dont-il encourage à prendre la relève demain. Cette relève commence par une alternance, l'exemple valant mieux que la leçon, dit-on. On ne peut non plus négliger l’importance des cicatrices des manifestations de février 2008 qui ne disparaîtront jamais. Il y a également l’enlèvement présumé et la disparition des neuf jeunes de Bépenda à Douala en janvier 2001 qui reste toujours non résolu. Ce sont autant de faits réels qui sont à jamais entrés dans l’histoire du Camerounais et attribuable à la gestion sociétale de Paul Biya.
Pourtant à son accession à la magistrature suprême en 1982, la jeunesse camerounaise adopta rapidement Paul Biya et voyait en lui un libérateur, un inspirateur, de tribun lyrique, un politicien responsable, voire un visionnaire. Tous espéraient qu’il parviendrait à donner espoir aux Camerounais. Mais le peuple aujourd’hui se sent désabusé. Et pour cause, certaines personnes nommées en toute conscience par M. Biya et qui sont membres de son propre parti se sont révélés être de véritables fossoyeurs de la république. Ils se sont servis au lieu de servir leur pays. L’opération épervier et ses multiples rebondissement plane sur tellement de gens qu’on ne sait plus vraiment qui est qui dans ce gouvernement.
Il y a aussi le fait que tous pensent désormais que Biya quittera la magistrature suprême sans promulguer la loi sur les déclarations de biens, sans promulguer la loi sur la création du Sénat. Bref il partira sans tracer une véritable voie à suivre au Cameroun.
À travers ses discours, on décèle désormais un voile de regret de ce qui aurait pu être fait et ne l’a pas été. On sent en lui une colère amère contre ces bandits en cols blancs qui ont abusés de sa confiance pendant des décennies. Le président Biya voit aussi une colère dormante chez les jeunes, un volcan qui pourrait se réveiller à tout moment. Il sait qu’il n’a pas su en presque 30 ans donner une fierté aux Camerounais. La Camair jadis fierté nationale ayant disparu sous son règne. Il y a aussi la pénurie d’eau, le délestage, l’Albatros, la faillite de la Caisse d’épargne postale, de l’ONCPB, la Société Camerounaise de Banque, l’état lamentable de l’aéroport de Douala, vitrine de notre pays.
On ne s’imagine pas que le Président de la république puisse vraiment, en son âme et conscience, croire que les Camerounais diront de lui qu’il est le fossoyeur de la démocratie, de la tolérance et de la liberté ou qu’ils applaudiront son départ. Penser à tout traitement négatif de sa personne lui fait très mal.
Paul Biya : Père de la nation?
Lors de la dernière clôture de la saison sportive au Cameroun, Angèle Aimée Djeumo Kahenou, capitaine d’un club de football, tente de remettre une lettre au chef de l’État. Son geste est surpris par le protocole, qui l’écarte brutalement des rangs et arrache le pli fermé, sous le sourire gêné de M. Biya qui a tout vu. Un père de la nation aurait demandé que cette lettre lui soit remise. Il aurait même après coup demandé qu’on lui face venir cette jeune camerounaise de 19 ans. Car c’est de cette façon qu’on peut comprendre les problèmes et les cris d’une jeunesse désemparée.
Pourtant, Paul Biya est un humain et sait que cette lettre ne lui parviendra jamais en utilisant le canal habituel. Malheureusement, Paul Biya a fait fi et aujourd’hui, la jeune brave camerounaise est bannie de toutes compétitions, malgré son statut de capitaine de l’équipe de football féminin. On apprendra finalement que sa lettre faisait simplement mention de la mauvaise gestion du football féminin au Cameroun. Ce qui est vraie.
Le manque de contact avec son peuple est un autre fait regrettable du règne de Paul Biya. Paul Biya ne va jamais vers son peuple. En pratiquement 30 ans de pouvoir, à quand remonte la dernière fois qu’il a fait le tour du Cameroun? Une des fonctions du père de la nation consiste justement à effectuer une visite de courtoisie auprès de ses compatriotes, question de s’imprégner de la réalité quotidienne et surtout d’être près des citoyens. Dans chaque pays, les chefs d’États vont réconforter les populations sinistrées. Paul Biya n’a jamais jugé utile de se déplacer après de multiples sinistres qui ont endeuillés des milliers de familles camerounaises.
Mais comme on dit souvent, un an en politique c’est beaucoup. Paul Biya a encore le temps de rentrer dans l’histoire positivement et de devenir un père de la nation. Et c’est ce qu’on lui souhaite, car prendre ses responsabilités c’est écouter son cœur, «c’est grandir, c’est savoir partir la tête haute, quand la table est desservie, c’est de ne pas chercher à radoter pour chercher un autre mandat » comme le disait si bien Mamadou Tandja à Sarkozy en mars 2009.
© Icicemac.com : Martin Stéphane Fongang